Le Trésorier-payeur

L’argent n’est le négatif de rien. Tout le monde aime l’argent. Les riches, les pauvres, ceux qui l’ont, ceux qui ne l’ont pas : chacun veut la richesse.

Ce qu'il y a de plus solidaire en nous excède la raison, et ne cesse de nous ouvrir à une simplicité qui déjoue le confort : cet après-midi là, le visage noyé par une pluie de lumière, Bataille se rendit compte que sa vie avait pris une tournure aussi passionnée qu'aberrante, car en misant tout sur le feu--sur une lumière aussi dangereuse qu'aléatoire--il prenait le risque de perdre son existence : la vérité qui l'animait n'existait peut-être pas, mais elle valait plus que tout.
Bref à vingt ans, il ne savait sans doute pas très bien ce qu'il voulait, mais une chose était claire à ses yeux : il refusait d'enfermer l'univers dans des proportions satisfaisantes.

Je n'ai jamais vraiment cru à la différence entre réalité et fiction ; elle ne mène qu'à l'assèchement du langage. La vérité brille entre les deux, à l'endroit de l'échancrure, lorsque le voile, en flottant, révèle un peu l'abîme où elle a été déposée.

Quiconque n'a pas porté un cercueil ne connaît pas le poids des choses.

Il n'y a rien de plus beau qu'un roman qui s'écrit ; le temps qu'on y consacre ressemble à celui de l'amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant. On ne cesse d'avancer, de reculer, et c'est tout un château de nuances qui se construit avec notre désir : on s'exalte, on se décourage, mais à aucun moment on ne lâche sa vision. Parfois un mur se dresse, on tâtonne le long des pierres, et lorsqu'on trouve une brèche, on s'y rue avec un sentiment de liberté inouïe. Les lueurs, alors, s'agrandissent, et c'est toute une mosaïque de petites lumières qui s'assemble peu à peu, jusqu'à former non seulement un soleil, mais aussi une lune : un univers complet, avec ses nuits et ses jours.

En faisant monter le désir, l’attente compose une région ardente où le corps se prépare.

Chacun mène comme il le peut le mystère de sa propre existence; notre blessure s'apaise ou s'infecte selon la manière dont nous considérons notre âme. Mais il arrive un moment où chacun de nous parvient à se cacher non plus dans l'obscurité, mais dans la lumière, et il ne faut pas rater ce rendez-vous.

Il y a quelque chose d'obscène dans l'argent, vous ne trouvez pas ?
En prononçant cette phrase, il avait planté ses yeux dans les yeux de Bataille avec un sourire cruel.
Il lui fit un topo rapide : la région était aux socialistes, ils avaient le pouvoir ici depuis une dizaine d'années, ils régnaient sur le tissu industriel. La dernière mine venait de fermer et les Charbonnages de France n'embauchaient plus personne. Il suffisait d'interroger n'importe qui à Béthune : les socialistes n'avaient plus qu'une image de naufrageurs, ils avaient sombré dans l'affairisme. Quand tout meurt, on fait encore de l'argent avec les cadavres. Depuis la réélection de Mitterrand, ça sentait très mauvais, même le maire de la ville était de mèche avec Tapie. Et quand il y a trop de magouilles, on sait comment ça finit : le Front National se répand comme un virus et un jour il gagne les élections.

La société ne comprend rien à l’amour ; elle en parle sans cesse, mais en réalité elle lui est contraire, et blâme ceux qui lui consacrent leur vie, réduisant leur comportement à du donjuanisme.

Assia l'écoutait, bouche bée. Bénédicte, ravie, avait éclaté de rire, et Rousselier, hilare lui aussi, avait dit à Bataille qu'il ne fallait plus jamais qu'il s'arrêtât de boire du champagne: il avait l'ivresse inspirée, et s'il pouvait rester ivre toute sa vie, alors même le plus ennuyeux des métiers lui paraîtrait passionnant, même la banque deviendrait une aventure. Tant qu'il y aurait du champagne, il vivrait une féerie, et toutes les portes lui seraient ouvertes.