Citations sur Le Trésorier-payeur (43)
C'est surtout parce qu'il n'allait pas à leurs fêtes qu'il passa pour un type négligeable : dans ce genre d'école, il est de bon ton d'avoir l'air décontracté, festif et nonchalant, quitte à simuler l'insouciance ; les étudiants passent leur temps à faire savoir bruyamment qu'ils ne travaillent pas : être pris pour quelqu'un de besogneux est un péché capital. Ces fêtes étaient le plus souvent des prétextes à beuverie, et les étudiants s'y défoulaient selon la tradition, c'est à dire jusqu'à des extrémités vomitives; elles possédaient aussi une fonction sociale, car celui qui s'y révélait grand fêtard était reconnu comme un des leurs, il était désormais admis et considéré.
Sa manière de fuir le monde du pouvoir dénotait peut-être une modestie sociale qu'il avait tenue secrète : personne ne savait très bien d'où il venait, ni même comment il vivait. Politiquement, c'était une sorte d'anarchiste, ce qui est très curieux pour le directeur d'une succursale de la Banque de France. Beaucoup de banquiers sont de gauche ; ils dédaignent le profit et la finance est leur ennemi. On peut le concevoir car ils travaillent dans des lieux d'où le commerce est exclu : la Banque de France est une institution, pas un casino. Ainsi ces banquiers pensent-ils régulation, pas spéculation ; il arrive qu'ils rêvent d'égalité et certains parviennent même à changer, un peu, le système.
La métamorphose de l'argent en œuvre d'art qui avait cours de nos jours, notamment dans le monde du luxe - lequel ne cessait d'investir dans l'art contemporain -, relevait avant tout d'un processus qui, croyant s'affranchir de l'économie, ne faisait que s'asservir à la finance.
Les mains se joignent pour étrangler ou pour prier. Mais qui serait capable de les joindre pour dénouer les liens qui vous enserrent le cou - pour dégager de l'espace au lieu d'en occuper, comme font la plupart des hommes ? Là où les brides sont dénoués, le feu va libre.
Le Trésorier-payeur dit à son ami que le silence était comme cette eau qui glisse sur nos lèvres quand nous commençons à parler; et que la vérité du langage résidait selon lui dans ce silence, dans cette eau légère qui humecte nos lèvres comme la rosée du matin. Il déclara que tous ceux qui parlaient, tous ceux qui écrivaient, cherchaient en un sens à faire entendre ce silence à travers leurs phrases, et que l'important n'était pas ce qu'ils disaient, mais ce silence, cette eau, cette rosée qu'ils transportaient secrètement avec eux.
- C'est la même chose, dit le Trésorier-payeur, lorsque nous embrassons un être aimé: nous buvons sur ses lèvres un peu de cette eau, nous accédons au silence intérieur du langage, nous approchons de la source.
Une telle lumière le ravissait comme un ami fidèle, mieux, comme un amour, son seul et véritable amour: la lumière, dont il avait lu qu'elle était une fleur dans l'espace. Il souriait et refermait les yeux: elle était là, elle existait sans lui, sans rien, sans pourquoi, comme la rose qui fleurit parce qu'elle fleurit. Alors il pouvait bien replonger dans sa nuit: un jour, il serait de retour, et le couple qu'il formait avec la lumière reprendrait ses aventures.
La société ne comprend rien à l'amour; elle en parle sans cesse, mais en réalité elle lui est contraire, et blâme ceux qui lui consacrent leur vie, réduisant leur comportement à du donjuanisme.
Le mouvement qui pousse à la charité comme celui qui en éloigne compose exactement notre solitude.
Il devina que le monde du travail consistait précisément en cela: supporter l'existence des autres.
Ceux qui ne font pas l'effort d'aller sous terre ne voient rien; ils se croient préservés, mais ils ont beau rechigner à entrer dans le labyrinthe, ils s'égareront de toute façon; et ce sera dans la platitude.