Vous avez déjà lu la bible ? je veux dire, en prenant votre temps comme si c'était un vrai livre ? Allez jetez un coup d'œil aux Lamentations. C'est là qu'on en est, plus ou moins. On se lamente, plus ou moins. On se vide le cœur comme on fait couler de l'eau, plus ou moins.
Il y a une douleur que tu ne peux pas soulager par la pensée. Ou par la parole. Si tu avais quelqu’un à qui parler. Tu peux marcher. Un pied devant l’autre. Inspirer expirer. Boire de l’eau de la rivière. Pisser. Manger de la viande de gibier. Laisser la viande sur le chemin pour les coyotes les geais. Et. Impossible de métaboliser la perte. Elle est dans les cellules de ton visage, de ta poitrine, derrière les yeux, dans les méandres de tes entrailles. Muscle tendon os. Elle est toi tout entier.
Je suis resté immobile et je l'ai regardée. Une sorte de fascination en suspens. De la même façon qu'un jour j'avais regardé un orignal surgir des trembles : ce que tu vois, Hig, ne peut pas être réel, c'est bien trop sublime. Ne bouge pas le moindre muscle ou ça disparaîtra.
La douleur est allongée à côté de toi, très près. Elle ne t'embête pas, ne fait même pas entendre le son de sa respiration.
Le plaisir me déchire comme la peau d'une tomate farcie en pleine cuisson. Mon cœur qui gonfle et la peau qui s'affine et s'affine encore dans la chaleur. Avec de la compagnie.
Et il y a ce moment où, durant le vol, à voir tout ceci avec l'œil du faucon, je me sens comme libéré des détails pénibles : je ne suis pas malade de chagrin, ni moins souple qu'avant, ni jamais seul, je ne suis pas cette personne qui vit avec la nausée d'avoir tué et qui semble destiné à tuer de nouveau. Je suis celui qui survole tout cela et observe de haut. Rien ne peut me toucher.
Le cœur battant aussi fort qu'une créature aveugle qui tenterait de s'échapper en me défonçant la cage thoracique.
Tous ces choix qu'on ne voit pas. A chaque instant.
Puis elle s'assoit avec toi, la Douleur, passe son bras autour de tes épaules. C'est ta meilleure amie. Indéfectible. Et la nuit tu ne supportes pas d'entendre ta respiration qui n'est plus accompagnée d'une autre et sous le grand silence, comme une partition, le rugissement torrentiel de de tout ce qui vit et de tout ce qui est anéanti. Et puis. La Douleur est allongée à côté de toi, très près. Elle ne t'embête pas, ne fait même pas entendre le son de sa respiration.
*
C'est vraiment la merde, hein [XXX] ? Ça se la joue super poétique quand la vérité c'est que tu me manques. Tu me manques terriblement, putain.
Nous étions au bord d’un petit bassin au-dessus de la cime des arbres et au fond se trouvaient des plaques de vieille neige et un petit lac récemment délivré de sa glace. Nous. Je. Il est possible de continuer ensemble. Pense ce que tu veux moi j’ai cette impression. Restant derrière, explorant les abords du sentier, le même mais invisible. Pas en tant que. Un lac comme un joyau serti dans un chaton de toundra touffue et d’éboulis abrupts, l’eau verte, de ce vert lumineux d’une pierre semi-précieuse qui ne s’excuse pas de l’être mais qui gagne en texture avec le vent. Et puis plus rien. La surface calme, lisse, polie en un instant, l’eau reflétant les nuages noirs qui s’amassaient et se déversaient de l’autre côté des crêtes comme des résidus pourris et soudain il a fait très froid et les flocons ont commencé à toucher la surface. Sans un rond dans l’eau, en silence, disparus. J’ai lâché la bride du traîneau. J’étais à cinquante mètres de l’eau. La neige plus lourde. Un écran blanc qui assombrissait l’air, accélérait la tombée du jour à la façon dont le feu rend la nuit plus profonde. J’étais cloué sur place. Le froid trop intense pour des mains nues et mes mains étaient nues. Les flocons se collaient à mes cils. Ils tombaient sur mes manches. Énormes. Des fleurs et des étoiles. Ils s’amoncelaient, gardaient leur forme, des petits tas d’astérisques et de fleurs parfaites en vrac comme des cubes d’enfants, selon leur géométrie discrète.