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EAN : 9782724627954
172 pages
Les Presses de Sciences Po (16/09/2021)
3.83/5   3 notes
Résumé :
Pourquoi certains problèmes - la pollution des sols et les cancers professionnels par exemple - restent-ils durablement invisibles ? Pourquoi les décideurs publics semblent-ils attendre qu'un énorme scandale éclate pour se sentir contraints à leur apporter des réponses politiques ? Comment expliquer le désintérêt persistant à leur endroit, au point qu'ils deviennent des "non-problèmes" , contrairement à d'autres qui font l'objet de politiques volontaristes ? Le poli... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un livre de sociologie appliquée court et dense sur un sujet immense qui brasse bien des domaines tels les déchets nucléaires, l'amiante, le Dieselgate, le réchauffement climatique, la pollution chimique, les catastrophes industrielles...
L'auteur s'appuie sur des faits pour décrire les mécanismes et processus, délibérés et pas toujours conscients, aboutissant à l'enlisement, voire à l'oubli de questions graves, préjudiciables à la santé publique et à l'environnement, facteurs d'accroissement des inégalités. Emmanuel Henry évoque notamment la Cancer Alley, en Louisiane, concentré de fabriques pétrochimiques dans des villes et des quartiers majoritairement noirs et pauvres.
Producteurs et pouvoirs publics s'ingénient à maintenir hors champ des problèmes sérieux, soit en organisant l'ignorance et en créant le doute, soit en biaisant le cadrage d'un dysfonctionnement.
Certains problèmes absorbent la lumière, comme les cancers liés à la consommation d'alcool ou de tabac, tandis que les cancers professionnels restent cantonnés aux cercles de spécialistes, et du coup sont délaissés par l'action publique. Pourtant les cancers liés à des activités de travail et/ ou à des expositions professionnelles représentent 4 à 8 % des tumeurs.
Il existe des non-problèmes , c'est-à dire des situations qui ne s'imposent pas comme prioritaires. Pour qu'ils deviennent visibles, les faits nocifs doivent dépasser un seuil de tolérance ou d'acceptation sociale. Ils ont alors l'occasion de descendre dans l'arène judiciaire ou médiatique, sous la pression de citoyens, d'ONG et d'organes de réglementation.
Encore faut-il disposer des ressources nécessaires à une action collective ; savoir produire une expertise solide et être patient. L'utilisation de logiciels trompeurs dans l'industrie automobile a mis vingt ans à sortir du cercle des initiés alors que Renault et Volvo avaient déjà été condamnés en 1998.
Débattus sur la place publique, les solutions portent sur le court terme, rarement à longue échéance. Les dispositifs juridiques ont tendance à épargner les producteurs et à défavoriser les consommateurs.
On comprend après lecture de cet ouvrage écrit pour des chercheurs en sociologie (ne vous laissez pas rebuter) les causes d'une inertie voulue et orchestrée au profit d'un développement économique inégalitaire, terriblement dangereux à long terme, insidieux par malice de la course au profit.
Le changement viendra peut-être des ethnographes dont la récolte de témoignages divulguera au monde la souffrance et la détresse de populations directement touchées par de soi-disant non-problèmes.
La pandémie actuelle offre de belles perspectives aux sociologues de terrain.


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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Les travaux menés par Gerald Markowitz et David Rosner, dans le prolongement de leur histoire de la silicose, sur les industries du plomb et du chlorure de vinyle mettent de la même manière en évidence ces stratégies industrielles d’opposition à la production de connaissances scientifiques dans le but de continuer à déployer leurs activités dangereuses. Ces recherches montrent les cas très nombreux où des industriels ont refusé de publier certains résultats, ont encouragé des recherches qui favorisaient leurs intérêts ou ont concentré la recherche sur des sujets qui ne les remettaient pas directement en cause, voire ont directement financé des scientifiques afin que ceux-ci critiquent publiquement des recherches académiques gênantes pour la poursuite de leurs activités.

La principale difficulté à mettre au jour ces stratégies tient à l’accès aux sources, les industries ou les scientifiques impliqués n’ayant aucun intérêt à rendre publiques leurs relations. Le système judiciaire états-unien présente l’intérêt de rendre publiques les pièces liées à l’instruction du dossier, soit dans le cadre de la procédure d’instruction elle-même, au cours de laquelle les avocats de l’ensemble des parties ont un droit d’accès aux pièces qui seront mobilisées au cours du procès, soit, comme cela a été le cas pour les industriels du tabac dans les années 1990, en contraignant les firmes à financer la mise à disposition publique de leurs archives, ce qui a été fait sur le site de l’Université de Californie à San Francisco. C’est ainsi que l’essentiel des sources mobilisées par ces travaux provient d’archives industrielles rendues publiques dans le cadre de procès. Le fonctionnement très différent du système judiciaire français permet aux entreprises de maintenir à l’abri de l’investigation scientifique ou journalistique l’essentiel de leurs activités sous couvert d’un « secret des affaires » renforcé encore récemment par la loi du 30 juillet 2018. Il est pourtant fort peu probable que les entreprises françaises soient plus vertueuses que leurs homologues d’autres pays et le faible nombre d’enquêtes sur leur situation spécifique s’explique d’abord par ces difficultés juridiques et judiciaires d’accès à l’information.

Les travaux sur le rôle de l’industrie dans la production d’ignorance ont ainsi tendance à la réduire à des actes intentionnels de scientifiques et d’industriels et à en faire une lecture normative, réduisant ces cas à des exceptions révélatrices de dysfonctionnements ponctuels. Or, des travaux récents ont mis en évidence des dimensions plus structurelles de l’influence de l’industrie et des acteurs économiques sur l’action publique.
Ce renforcement de l’influence des industriels sur le cours de l’action publique intervient dans un contexte de profonde transformation de l’État, fragilisé par des réformes d’orientation néolibérale limitant ses domaines d’intervention directe et le conduisant à jouer un simple rôle d’arbitre entre intérêts contradictoires et de régulation d’activités privées. Un des effets de ces transformations a été la multiplication des agences d’expertise et de régulation ayant un statut indépendant mais intervenant dans la régulation de différentes activités économiques potentiellement dangereuses comme, en France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou, à l’échelle européenne, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). C’est dans le domaine médical que l’influence des laboratoires pharmaceutiques sur les acteurs scientifiques et les agences de régulation a été mise en évidence de la façon la plus systématique. Au-delà du ghostwriting déjà évoqué, il a été démontré que les laboratoires jouent un rôle déterminant au cours de l’ensemble des étapes allant des essais cliniques aux incitations à la prescription auprès des médecins en passant par les décisions d’autorisation de mise sur le marché délivrées par les agences de régulation.
Au-delà des scandales médicaux les plus retentissants comme en France, celui du Médiator, de récentes recherches en sciences sociales invitent à dépasser l’analyse de cas supposés individuels de corruption ou de conflits d’intérêts pour mieux prendre en compte des modalités plus routinières de l’influence des industriels sur les différentes étapes de la régulation de leurs activités. De fait, les agences de régulation sont elles-mêmes prises dans des contradictions entre protection de la santé publique et accompagnement de logiques marchandes et leur mode de fonctionnement s’en trouve fortement impacté. Des travaux ont ainsi montré comment certaines formes d’ignorance stratégique sont mobilisées y compris par les agences de régulation et les administrations pour poursuivre leurs objectifs et leurs activités. C’est ce qu’a démontré Linsey McGoey grâce à son analyse de la mise sur le marché états-unien par la Food and Drug Administration d’un antibiotique, le Ketek, pourtant soupçonné de provoquer des problèmes au foie. Dans son analyse, la sociologue montre comment cette administration en charge de l’autorisation des médicaments maintient dans l’ignorance certains effets secondaires de ce médicament pour ne pas avoir à se déjuger et risquer ainsi de ternir sa réputation. De façon plus générale, certains savoirs gênants pour une organisation peuvent être mis de côté afin de ne pas entraver la poursuite de ses objectifs. Ces constats invitent à repenser la place de l’ignorance dans les processus de décision publique. [pp. 69 à 73]
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Proposer un ouvrage sur l’invisibilité, l’ignorance et l’inaction, ne va pas de soi. Comment enquêter sur ces choses qui justement n’existent pas ou sont, a minima, principalement caractérisées par une absence (de connaissance, de politique, de problème...) ? Malgré les difficultés de l’entreprise, il y a, à l’origine de ce livre, la conviction que non seulement cette exploration des absences est nécessaire mais qu’elle nous apprend beaucoup sur le fonctionnement de nos sociétés et sur les choix qui y sont faits, qu’ils soient explicitement assumés ou plus tacitement effectués…
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Les réglementations relatives aux produits chimiques et notamment la directive REACH ont certes pour objectif de protéger la santé des consommateurs, mais elles sont aussi, voire avant tout, conçues pour mettre en place des règles communes de mise sur le marché des produits chimiques, dans le but de faciliter le développement économique des firmes chimiques européennes.
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Alors que les travaux sur la construction des problèmes publics et leur mise à l'ordre du jour focalisent majoritairement leur attention sur les acteurs mobilisés pour faire émerger un problème, des chercheurs se sont intéressés aux stratégies déployées par d'autres acteurs pour éviter qu'un problème ne s'impose comme prioritaire et ne fasse l'objet d'un traitement de la part des autorités publiques. Ces travaux s'intéressent particulièrement aux moments de conflits autour de l'émergence d'un problème. Ils ont repéré le déploiement de stratégies plus ou moins coûteuses qui vont du dénigrement de l'importance d'un problème ou des groupes qui le portent aux procédures-baillons lancées contre des universitaires trop gênants, voire, dans certains cas extrêmes, à l'élimination physique des opposants. [p. 33]
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L'hypothèse centrale au cœur de ces travaux sur l'action publique est qu'un instrument n'est jamais neutre ou transparent mais qu'il contient , au contraire, un ensemble d'implicites qui vont orienter l'action publique dans une certaine direction, indépendamment de ses objectifs affichés ou revendiqués publiquement.
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