Un livre de sociologie appliquée court et dense sur un sujet immense qui brasse bien des domaines tels les déchets nucléaires, l'amiante, le Dieselgate, le réchauffement climatique, la pollution chimique, les catastrophes industrielles...
L'auteur s'appuie sur des faits pour décrire les mécanismes et processus, délibérés et pas toujours conscients, aboutissant à l'enlisement, voire à l'oubli de questions graves, préjudiciables à la santé publique et à l'environnement, facteurs d'accroissement des inégalités.
Emmanuel Henry évoque notamment la Cancer Alley, en Louisiane, concentré de fabriques pétrochimiques dans des villes et des quartiers majoritairement noirs et pauvres.
Producteurs et pouvoirs publics s'ingénient à maintenir hors champ des problèmes sérieux, soit en organisant l'ignorance et en créant le doute, soit en biaisant le cadrage d'un dysfonctionnement.
Certains problèmes absorbent la lumière, comme les cancers liés à la consommation d'alcool ou de tabac, tandis que les cancers professionnels restent cantonnés aux cercles de spécialistes, et du coup sont délaissés par l'action publique. Pourtant les cancers liés à des activités de travail et/ ou à des expositions professionnelles représentent 4 à 8 % des tumeurs.
Il existe des non-problèmes , c'est-à dire des situations qui ne s'imposent pas comme prioritaires. Pour qu'ils deviennent visibles, les faits nocifs doivent dépasser un seuil de tolérance ou d'acceptation sociale. Ils ont alors l'occasion de descendre dans l'arène judiciaire ou médiatique, sous la pression de citoyens, d'ONG et d'organes de réglementation.
Encore faut-il disposer des ressources nécessaires à une action collective ; savoir produire une expertise solide et être patient. L'utilisation de logiciels trompeurs dans l'industrie automobile a mis vingt ans à sortir du cercle des initiés alors que Renault et Volvo avaient déjà été condamnés en 1998.
Débattus sur la place publique, les solutions portent sur le court terme, rarement à longue échéance. Les dispositifs juridiques ont tendance à épargner les producteurs et à défavoriser les consommateurs.
On comprend après lecture de cet ouvrage écrit pour des chercheurs en sociologie (ne vous laissez pas rebuter) les causes d'une inertie voulue et orchestrée au profit d'un développement économique inégalitaire, terriblement dangereux à long terme, insidieux par malice de la course au profit.
Le changement viendra peut-être des ethnographes dont la récolte de témoignages divulguera au monde la souffrance et la détresse de populations directement touchées par de soi-disant non-problèmes.
La pandémie actuelle offre de belles perspectives aux sociologues de terrain.
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