Encore un album témoin du génie de
Hergé, mais aussi de ses faiblesses.
Au niveau de la narration, il s'agit d'un des albums les plus aboutis,
Hergé à cette force du symbole dans l'image, ce champignon possède une prégnance rétinienne très forte, tout le monde connaît cette couverture si emblématique avec ce champignon aux couleurs psychédéliques, il en est de même pour cette araignée qui revient comme un leitmotiv dans l'histoire, symbole de la frayeur. L'étoile mystérieuse est un récit glaçant, qui parle d'apocalypse, le seul album où
Hergé est allé si loin dans l'angoisse, mais c'est toujours parsemé de moments burlesques, comme pour dérider l'atmosphère. L'essentiel de la tension tient par le graphisme, la simplicité du trait révèle quelques astuces, simples mais si efficaces. Par exemple, la ligne claire se caractérise par l'absence d'ombres portées, et pourtant, les pages 6, 7 et 8 seront les seules de toute sa production à en posséder. Un élément graphique n'a d'intérêt, chez
Hergé, que s'il apporte quelque chose au récit. L'oeuvre d'
Hergé est remplie de trucs très judicieux qui marquent chaque planche pour lui apporter sa tension narrative. Il y a beaucoup d'éléments de découpages, d'ellipses qui rythment l'histoire avec génie, comme par exemple la scène du mal de mer qui est une pure merveille d'invention.
Par contre, ce récit est assez bancal d'un point de vue scientifique, un aérolithe dépassant d'autant le niveau de la mer est assez énorme pour provoquer bien plus qu'un petit tremblement de terre, mais cela n'est pas bien gênant pour le plaisir de lecture.
C'est encore un récit qui propose plusieurs niveaux de lecture, comme toujours chez
Hergé, le burlesque vient toujours compenser le sérieux, enfant, je ne comprenait rien à cet accordéon que tenait dans la mains le collaborateur du professeur Calys, l'analyse spectroscopique est un concept sans doute obscur pour beaucoup d'enfants, et même d'adultes, et dans cette scène, je retenais l'absurdité des caramels mous qui étaient sans doute là pour nous dire, on va parler de choses sérieuses, allez vous chercher des caramels pendants que les adultes discutent. C'est aussi le seul album vraiment fantastique, le rêve est présent, comme souvent dans les Aventures de Tintin, mais ici, on pourrait se demander si le séjour sur l'île ne participe pas aussi au rêve et au fantasme, d'où le retour de l'araignée géante. C'est sans doute la seule oeuvre onirique de
Hergé, mais c'est plutôt du côté du cauchemar, sans doute pas un hasard dans l'ambiance de l'époque (1942).
Pour les faiblesses, cet album reflète l'air du temps de façon bien moins glorieuse que la plupart des autres albums (à part Tintin au Congo), il fait partie des albums les plus controversés, non sans raisons, malgré ses grandes qualités, vous ne le verrez jamais figurer parmi des listes du genre “les 5 meilleurs albums de Tintin selon Tartempion”. Il a été écrit pendant l'occupation de la Belgique par les Allemands en 1942.
Hergé, dans une période prolifique de sa carrière, aura publié d'autres albums pendant cette période,
le crabe aux pinces d'or et le diptyque du Secret de la Licorne, ils resteront beaucoup plus neutres par rapport au conflit en cours.
Dans sa première version, il y avait quelques éléments marquant l'antisémitisme, il y avait un gag bien malheureux dans les scènes du début où un commerçant du nom de Lévy au nez crochu se réjouissait de la fin du monde parce qu'il avait des dettes, ce mauvais gag a été enlevé dans l'édition de 1954, de même, le banquier finançant l'expédition concurrente s'appellait Blumenstein, le nom a été remplacé dans la nouvelle version, pour Bohlwinkel qui malheureusement est aussi un nom juif, correction ratée. Dans la version de 1942, l'expédition concurrente était américaine, l'histoire était ouvertement anti-américaine, à cause de ça,
Hergé a longtemps été brouillé avec son frère, prisonnier de guerre à ce moment. Dans la version de 1954, Les États-Unis sont remplacés par un pays fictif. Ensuite, je n'y avais jamais fait attention jusque là, mais les scientifiques embarqués proviennent tous de pays neutres sauf un d'Allemagne et un
De Belgique, pas d'Anglais ni de Russe bien sûr, pas d'Italien cependant, mais quand même un Espagnol.
En voulant effacer les éléments douteux du récit dans la version, quelques traces subsistent.
Voilà donc, un album un peu à part dans la série, graphiquement excellent, inventif dans son contenu, sa narration, mais malheureusement entaché par le contexte historique, même dans sa version “nettoyée”.
Personnellement, je retiens surtout l'aspect onirique de cette histoire, ainsi que cet équilibre entre l'humour et l'angoisse, et la force du graphisme au service de la narration.