Si vous avez envie de tuer des gens, ou bien de vous tirer une balle dans la tête parce que vous considérez que le monde qui vous entoure est trop pourri, et l'a toujours été, alors ce livre finira de vous convaincre du bien-fondé de votre geste.
On ne sort pas indemne de cette lecture.
Sweet Sixteen est l'un des derniers romans d'
Annelise Heurtier. Il est violent, rude, et met en plein jour une réalité qui fut, et qui continue d'être par endroits.
Les gens ont tendance à oublier de prendre du recul dès lors qu'il s'agit d'Histoire, car ils ont tendance à toujours tout ramener à notre époque. Pourtant, chaque période a des valeurs et des principes différents, et on ne peut pas les juger en fonction.
Sweet Sixteen se déroule dans l'Amérique d'après-guerre: le Ku Klux Klan est officiellement dissout au milieu des années 1940, mais il reste présent, de façon plus ou moins légale (oui, cette organisation a été légale pendant un temps). Encore dans les années 1950, le racisme anti-noir était considéré comme normal, pas perçu dans le sens de la légitimité (quoique, ce sont ces mêmes personnes obtuses qui ont taxé le rock'n'roll de musique diabolique), mais dans le fait que le plus grand nombre pensait réellement que les noirs étaient plus proches des animaux que des humains, et personne ne cherchait à remettre en doute cette pensée, exceptée une poignée d'individus. C'est assez facile de juger la mentalité des gens de cette époque: ils traitaient les personnes noires de peau de sauvages, de débauchées, de barbares, alors que ces mêmes blancs "propres sur eux" étaient encore plus bestiaux que les autres... Mais, si vous aviez vécu à cette époque, si vous aviez été élevés dans un milieu dans lequel on pensait que les blancs étaient supérieurs aux autres et qu'on vous aurait lavé le cerveau avec ça, est-ce que vous auriez été capables d'avoir du recul et de remettre en doute la légitimité de ces propos? (et oui je n'ai pas mis "légitimité" entre guillemets, puisqu'à l'époque la question ne se posait pas... n'oubliez pas que dès qu'il s'agit d'Histoire, il faut être objectif et penser différemment).
Le roman d'
Annelise Heurtier est violent, tant sur le fond que sur la forme. Sur la forme, parce qu'elle ne censure pas la violence du quotidien de l'Amérique des années 1950. Elle montre ce qui était, sans parti pris. En effet, l'auteure nous propose une histoire vue de deux points de vue: celui de Grace, petite fille blanche vivant dans une famille blanche qui est contre l'intégration des minorités telles que les noirs. Et Molly est une petite fille noire qui va entrer au fameux lycée de l'Arkansas. La confrontation des deux points de vue permet une meilleure compréhension de ce qui s'est passé. Cela me permet, par l'intermédiaire d'une transition qui arrive à pic tellement je suis génialement doué pour écrire des dissertations (en même temps, être sur le point d'entrer en 3ème année de licence de lettres modernes devrait être gage de qualité pour ce genre d'exercice), d'évoquer le fond. Je disais plus haut que le fond était tout aussi violent pour nous. Car ce qui est écrit dans ce roman s'est réellement passé. Ce n'est pas une fiction, c'est
L Histoire, et voilà pourquoi je vous bassine avec ça depuis le début de l'article. La théorie littéraire parle souvent du pacte de lecture: pour faire simple, c'est quelque chose qui se transmet entre l'auteur et le lecteur. L'appellation de roman est un pacte de lecture: à partir de là, le lecteur sensé est censé (oui, je fais des jeux de mots) avoir du recul pour se dire "je sais que tout ce que je lis n'est pas vrai, mais je fais comme si". C'est un exemple de pacte de lecture. Des genres comme la science-fiction ou la fantasy déterminent chacun leur pacte de lecture. C'est ce qui nous permet d'être objectif, plus ou moins facilement, et on se protège en fonction. En réalité, la chose est beaucoup plus complexe, mais disons que c'est UNE (et non pas LA) base. Pourquoi je vous embête avec ça? Ben justement pour vous dire que la lecture de
Sweet Sixteen part sur un pacte de lecture du genre: "ce que vous allez lire s'est réellement passé, ce n'est pas de la fiction, en dépit du changement des noms des personnages" et, quelque part, cette protection que nous sommes censés avoir s'envole carrément: la violence des événements a pour conséquence l'équivalent d'un coup de poing dans la tronche.
Je ne connaissais pas
Annelise Heurtier avant ce roman. Elle a un style agréable, fluide, facile à comprendre. Elle gère correctement le rythme et le découpage en chapitres, plus ou moins irrégulier vient donner une sensation de malaise, qui s'ajoute à celle déjà ressentie lors de la lecture en elle-même. Son choix d'adopter deux points de vue, mais de quand même prendre parti pour les jeunes lycéens noirs est intelligent. Elle ne donne aucune leçon de morale: l'histoire elle-même suffit à nous faire réfléchir sur la condition de chacun.
Au final, c'est une lecture fortement recommandée, limite obligatoire! Pour ne pas oublier... Enfin de compte,
Annelise Heurtier se base sur un événement pour évoquer un problème majeur, celui du ségrégationnisme qui continue de sévir aujourd'hui.
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