On est tous conçus par procréation littérairement assistée.
Tu savais qu'en hébreu, le verbe être, ça n'existe pas au présent ? Tu ne peux dire ni "je suis", ni "je ne suis pas". Tu peux conjuguer le verbe être au passé ou au futur. Mais au présent, ça disparaît comme le lapin dans le chapeau du magicien. Bref, en hébreu, tu peux "avoir été" et tu peux être "en train de devenir", mais tu ne peux absolument pas "être"... ni binaire, ni non-binaire, ni homme ni femme.
Tu as été et tu deviendras, mais tu es forcément en plein dans ta mutation.
En clair, l'hébreu c'est la langue des trans.
Je crois que c'est pour ça que Dieu l'a utilisé pour écrire son best-seller. C'était censé dire que ça n'a jamais fini de dire ce que ça pourrait encore vouloir dire. Mais j'avoue : c'est beaucoup trop subtil pour le commun des lecteurs. Un peu comme La Marseillaise.
Y'avait marqué que les deux premières lettres, placées côte à côte, s'énoncent comme une inspiration. Comme de l'air qui traverse toute la trachée, depuis les narines jusqu'à l'extrémité des bronches. Et que les deux dernières lettres collées l'une à l'autre se prononcent comme un souffle qui emporte l'air depuis tes poumons jusqu'à tes lèvres.
Et là, sans me demander mon avis, sans amortir le choc, le texte m'a forcé à prononcer malgré moi le nom de Celui-dont-on-ne-doit-pas-pronocer-le-nom. Y avait personne aux alentours pour me sauver au cas où l'Éternel se pointerait parce qu'on L'a appelé. Et j'ai alors prononcé le nom imprononçable et ça a donné ça : ... (une respiration)
Je me suis débarrassé de cette idée morbide qu’il y aurait une possibilité d’être vraiment soi.
Et voilà le résultat : il y a des millions de gens qui cherchent dans la Bible, les Évangiles et le Coran une justification à toutes leurs consolidations identitaires, la formule magique de chacun-chez soi, un titre de propriété légitime pour être vraiment eux-mêmes . Ils s'accrochent à leur livre comme à un test ADN, qui les ancrerait quelque part. Un truc qui les fixerait dans l'existence.
Mais nous sommes aussi, et pour toujours, les enfants des livres que nous avons lus, les fils et les filles des textes qui nous ont construits, de leurs mots et de leur silence.
On est tous en chemin vers ce qu’on peut encore être, et cela implique forcément de quitter ce qu’on était.
Tout obsédé de l'identité finira par prendre en grippe celui qui refuse de se laisser enfermer dans une définition. Il sera alors submergé par l'irrepressible envie d'en finir avec lui
(p. 19)
Certains pensent qu'on écrit pour se débarrasser de quelque chose ou de quelqu'un qui vus hante, mais c'est le contraire. On écrit toujours pour retenir, et poursuivre une conversation avec ce qui n'est plus là, un dialogue qui sans ça, la vie vous force à interrompre. On écrit parce que les mots consolident toujours les liens. Ça fait famille, beaucoup plus solidement que le sang et la filiation biologique.
Et le plus drôle, c'est que ceux qui me répète constamment que les peres fictifs, ça n'existe pas et qu'on est forcément l'enfant d'un homme, d'un vrai...ce sont des gens qui affirment tranquillement être les enfants de Moise, Jésus ou Lacan - des types dont l'existence n'a jamais été démontrée .