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sur 364 notes
Commenter une pièce de théâtre en ayant seulement lu son script incite nécessairement à la prudence car le lecteur, privé du jeu des acteurs, des décors et surtout de l'ambiance de la salle et des réactions des spectateurs, ne voit que la partie visible de l'iceberg …

Il n'y a pas de Ajar commence par une méditation sur le binôme Romain Gary / Emile Ajar et s'interroge sur le Compagnon de la Libération, prix Goncourt 1956, qui se réincarne vingt ans plus tard en Romain Gary en trompant la critique avec la complicité de son petit cousin Paul Pavlowitch. La vie de l'aviateur de la France Libre est une épopée qui fascine à juste titre Delphine Horvilleur et son suicide interpelle le Rabin.

Commence alors la seconde partie, le « monologue contre l'identité », où Abraham Ajar disserte sur ce mot d'identité et livre un festival de questions, de formules à l'emporte pièce, de jeux de mots qui doivent combler les spectateurs de la pièce.

Mais, à aucun moment la tragédienne, la philosophe, ne définit ce qu'est l'identité et le monologue part dans tous les sens en se complaisant dans la tonalité « en même temps » à la mode chez les communicants et certains politiques.

D'où une certaine déception, car ne pas définir, ne pas rappeler, ce qu'est l'identité, laisse le champ libre aux apôtres de la « théorie du genre » qui après avoir tué le sport féminin relativisent l'âge d'une personne en ouvrant ainsi la voie à la pédophilie, et en confondant nature humaine et nature animale plaident pour la légalisation de la zoophilie.

Si l'identité n'existe pas, si chaque personne peut se définir comme elle l'entend, si chacun peut ainsi se prendre pour un dieu, la vie en société devient impossible ce qui nous condamne inexorablement au suicide.

« Il n'y a pas de Ajar » est peut être l'ultime cri de Romain Gary se tirant une balle sur son identité ?
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A partir de la fascination pour le seul écrivain qui a pu obtenir deux fois le prix Goncourt , par un subterfuge qui suscite à la fois l'indignation et l'admiration, Delphine Horvilleur nous parle de l'identité, de ce qu'elle signifie et de ce qu'elle implique. À partir de nombreux parallèles et des coïncidences (construites, tout de même), elle revient sur la relation intellectuelle privilégiée qu'elle entretient avec celui qui a osé se réinventer, et qui aurait pu le faire incognito si son talent n'avait pas été suffisant pour mériter une deuxième récompense !

Suit une réflexion courte mais vivante sur la notion d'identité , sur la judéité, l'intégrisme, le racisme et même l'épigénétique.

C'est brillant, éclectique mais guidé par une idée centrale de tolérance.

Ce court texte a été l'occasion de découvrir l'écriture cette autrice très médiatique , dont je ne peux qu'admirer le talent à l'écrit après avoir été fascinée par ses propos sur les ondes

140 pages Grasset 14 septembre 2022
#IlnyapasdeAjar #NetGalleyFrance

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En russe, Gary signifie « brûle » et Ajar « braise », en plus d'être le nom d'actrice de la mère de l'écrivain. Mais, par un étrange hasard (décidément) des mots, ils évoquent aussi « l'étranger en moi » et « l'autre » (Ah'ar) en Hébreu, sonnant ainsi étonnamment propitiatoires pour un auteur qui a su si bien refuser les limites de l'identité unique et se réinventer si génialement multiple.


Sa passion littéraire pour ce surdoué de la métamorphose de l'identité a inspiré à Delphine Horvilleur une fantaisie originale, dont chaque trait d'humour est un coup de griffe aux clivages communautaristes, notamment entretenus par le sectarisme et le fondamentalisme religieux. Jouée sur les planches dès sa sortie, cette « farce théâtrale » donne la parole à un personnage fictif, Abraham Ajar, qui, fils d'Emile Ajar, revient dans un monologue sur le janusisme de son père et nous interpelle sur les menaces identitaires qui fleurissent aujourd'hui.


« Nous sommes », dit-il, « esclaves des définitions figées et finies de nous-mêmes, de nos origines, de nos ancrages, de nos assignations ethniques ou religieuses ». Avec une verve pleine d'esprit et de savoureux jeux de mots, il évoque la « folie littéraire » qu'est l'histoire d'Abraham dans la Bible, la circoncision qui fait des juifs des « presque », le sang impur de la Marseillaise qui « coule dans nos veines, même dans celles du pauvre type qui se raconte que son monde est bien propre, aseptisé et hygiénique à souhait », la transmission épigénétique qui prouve que « l'origine, ça ne compte jamais autant que ce qui t'arrive en route »… Il raille les juifs qui ne peuvent prononcer le nom de « vous-savez-qui », ceux qui, « hyper-connectés à la volonté de Dieu », « savent parfaitement te l'interpréter comme s'ils faisaient partie de Sa garde rapprochée » et, parce qu'« ils croient dur comme fer qu'ils sont qui ils sont, et que leur croyance est la bonne » crient très fort à leur seule vérité tout en adoptant le comportement de l'idolâtre « qui croit que Dieu s'intéresse vraiment à ses problèmes, qu'il peut lui demander de l'argent, du succès ou un vélo électrique, du moment qu'il ne le vexe pas et le caresse avec ferveur dans le sens du poil ». Et de s'interroger : « de qui se moque-t-on ? »


Ironique, volontiers provocateur, mais jamais moralisateur, le texte pointe les mille étroitesses et incohérences hypocrites de nos sociétés, anciennes ou modernes, qu'il s'agisse par exemple de racisme mais aussi d'objection à l'appropriation culturelle. Il s'élève contre ceux qui rejettent l'altérité au nom d'une prétendue pureté, ou d'une soi-disant vérité divine, dont ils auraient l'apanage et qui leur donneraient jusqu'au droit de tuer. Et sur le modèle de Gary/Ajar, il nous pousse à sortir de nos carcans identitaires pour toujours nous réinventer, à nous ouvrir à l'autre plutôt que de rester figés dans de rigides et subjectives certitudes, soulignant le rôle essentiel de la littérature dans la construction de ces échanges et de cet enrichissement.


Brillant, drôle, irrésistible tant il fait mouche sans jamais se prendre tout à fait au sérieux : voici un petit bijou de plaidoyer pour l'ouverture d'esprit et la tolérance, à l'opposé de la bêtise, de l'obscurantisme et du fanatisme, qui conforte le classement de Delphine Horvilleur en tête de mes personnalités préférées. Coup de coeur.

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Le dernier livre de Delphine Horvilleur, auteure récemment découverte lors de la lecture de son très bel essai, « Vivre avec nos morts », semblait me narguer : quelle que soit la librairie de mon quartier du nord parisien, je le croisais en devanture, agrémenté d'un bandeau où figure une photographie de l'auteure.

Contemplant d'un oeil songeur ce petit livre, je m'étais interrogé sur son titre en forme d'énigme, « Il n'y a pas de Ajar ». Au-delà du jeu de mots, bien senti mais un peu facile entre « Ajar » et « hasard », j'ai évidemment songé à Romain Gary, lauréat du prix Goncourt 1956 avec les « Racines du Ciel » qui avait pris le pseudonyme d'Emile Ajar afin de poursuivre une double carrière d'écrivain. Et ce dédoublement littéraire lui avait permis d'obtenir par deux fois, un prix qui n'est attribué qu'une seule fois, lorsqu'Emile Ajar s'était vu décerner le prix Goncourt en 1975 pour la « La vie devant soi ». M'étant rappelé le destin singulier de Romain Gary, j'ai lu le titre autrement, au pied de la lettre pour ainsi dire : « Il n'y pas de Ajar », signifie qu'Emile Ajar n'existe pas, n'a jamais existé et n'est que le pâle avatar de Romain Gary, né Roman Kacew. Je me suis enfin attardé sur le sous-titre qui épouse à la perfection l'air du temps, « Monologue contre l'identité », et j'y ai vu le signe d'une faille dans mon raisonnement : s'il n'y a pas de Ajar, alors Romain Gary est réduit à son identité initiale et singulière, et que contient donc ce petit livre qui s'annonce paradoxalement comme un pamphlet contre l'identité ?

Voilà, je n'avais toujours pas acheté le dernier essai de Delphine Horvilleur, et mon inclination pour une forme de pensée spéculative m'avait déjà conduit à m'interroger sur la signification d'un titre qui m'avait paru successivement amusant, lumineux et paradoxal. Et tandis que je continuais inlassablement à arpenter les rues qui serpentent autour de la butte Montmartre, je songeais que le temps était venu de lire « Il n'y pas de Ajar ».

Ce court essai comporte un prologue très érudit, où l'auteure rabbin revient sur la dichotomie Gary/Ajar et enrichit sa réflexion en empruntant à sa riche culture talmudique. On y apprend que Romain Gary s'est suicidé en 1980 au moment même où elle apprenait à lire et que depuis plus de quarante ans il est ainsi devenu son « dibbouk », « un revenant qui vous colle à la peau ou à l'esprit, un être dont l'âme s'est attachée à la vôtre pour une raison mystérieuse, et qui ne vous lâche plus ». Delphine Horvilleur nous enseigne également qu'en hébreu un autre se dit « Ah'ar », et qu'en choisissant le pseudonyme d'Emile Ajar, Romain Gary s'est inconsciemment dédoublé littérairement en un « autre » que lui. Elle nous confie enfin sa visite fantasmée à Romain Gary le jour de son suicide, et les récits issus du Talmud qu'elle lui aurait narrés, dans une tentative aussi poétique que désespérée de faire échouer ce qui est déjà advenu.

La seconde partie est le monologue imaginaire en forme d'« hommage à toutes les filiations littéraires » d'un homme qui se dit le fils d'Emile Ajar. Ce texte, volontairement écrit dans un langage relâché, est un plaidoyer désarticulé contre l'identité, en même temps qu'un retour sur les fêlures qui traversaient le grand écrivain d'origine russe qui fut successivement aviateur, résistant, romancier, diplomate, scénariste et réalisateur. L'auteure y dénonce tout à la fois la tentation « identitaire » d'un retour à une identité figée et fantasmée, et la concurrence victimaire qui assigne chacun à son identité ethnique, religieuse, sexuelle ou raciale.

En nous rappelant qu'en hébreu, le verbe être n'existe pas au présent, que l'on « n'est pas » même si l'on peut « avoir été », ou être « en train de devenir », Delphine Horvilleur nous suggère que l'identité n'est pas un concept figé et que nous sommes toujours en pleine mutation. « Who's not busy being born is busy dying » chantait déjà Bob Dylan en 1965...

Voilà, j'ai fini par lire ce petit livre sur le bandeau de couverture duquel figurait le regard perçant de l'auteur qui semblait me poursuivre dans le crépuscule de mes ballades montmartroises. Et si son titre garde une part de mystère, je saisis enfin qu'il n'y a pas de Ajar, mais qu'il y a eu un auteur immense dénommé Emile Ajar et qu'il y aura d'autres auteurs au talent incomparable, qui continueront d'interroger les fluctuations de notre identité, qui ne saurait être figée ou réduite aux tentations victimaires de l'époque.
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Un livre sur l'identité mais pas n'importe lequel puisqu'il s'agit d'un monologue de Delphine Horvilleur écrit avec intelligence, amour, humour et bienveillance.
Une quête d'identité qui rassemble au lieu de séparer.
Il n'y a pas de Ajar commence avec l'admiration et l'intérêt que notre auteure porte à Romain Gary et à son autre identité. En lisant ce texte j'ai réalisé à quel point il suffit de très peu pour se sentir proche de quelqu'un.
En vivant à l'étranger face aux stéréotypes et aux clichés dans lesquels on voulait m'enfermer. J'ai découvert que je n'étais « pas que » mais « bien plus que ».
C'est aussi un texte érudit et passionnant où Delphine Horvilleur nous explique la signification du mot Ajar, le passage de Therak à Taré ( une petite dose d'humour) ,et bien d'autres exemples…
Ce monologue est une longue tirade contre la bêtise, un moyen de vider son sac, d'exprimer un malaise. le besoin d'entrer dans des cases, d'être conforme au moule. Mais quel moule ? Pourquoi se restreindre à un seul état alors que tout un tas de possibles s'offrent à nous.
C'est une réflexion utile et peut-être une façon de penser autrement mais aussi un bel hommage à Romain Gary. Et encore un COUP DE COeUR !
Merci aux éditions Grasset
#IlnyapasdeAjar #NetGalleyFrance
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Comme beaucoup d'entre nous, je vous une admiration particulière pour Roman Kacew alias Romain Gary, alias Emile Ajar, alors ce texte ne pouvait que me réjouir à l'avance. Il s'agissait au départ d'un texte destiné à être lu, sur une scène, devant des spectateurs à la manière d'une pièce de théâtre. Dans un premier temps, l'auteure revient sur sa fascination pour Romain Gary, le tour de force de recevoir deux fois le prix Goncourt, la première en son nom pour le magnifique « Les promesses de l'aube » la deuxième sous une autre identité, pour « La vie devant soi » tout aussi magistral, en brouillant bien les pistes : une belle mystification !

Puis, Delphine Horvilleur donne la parole au fils présumé d'Émile : Abraham Ajar, double A comme s'il s'agissait d'une identité primordiale, Abraham pour le père des Hommes, dans les religions monothéistes. Abraham se livre à un monologue très intéressant sur l'identité, les pseudos, les revenants alias « dibbouks », et ce qui fait l'identité d'un être humain, homme ou femme.

L'auteure nous livre une réflexion truculente sur l'identité, sur les dérives vers l'identitaire, le communautarisme, l'appropriation culturelle (vérifier que l'auteur a le droit de se mettre dans la peau d'un autre). Truculente est le terme adéquat, à mon sens, car ce texte, sur fond de colère, est teinté d'humour, notamment quand Abraham reprend la notion de « Trou juif » : au départ la cave dans laquelle s'était réfugiée sa mère, avec une interprétation freudienne à la clé qui m'a beaucoup plu.

La préface, déjà, se déguste avec plaisir, et déborde de belles citations… Un seul bémol: le résumé révèle trop de choses…

Ce texte est très fort, comme toujours avec Delphine Horvilleur, que j'aime retrouver dans ses livres comme lors de ses apparitions télévisées. Je n'ai pas appris à lire avec Romain Gary car je suis plus âgée, mais comme elle, j'aime lire et revoir ses apparitions à la télévision, notamment « Apostrophes »

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume de son auteure.

#IlnyapasdeAjar #NetGalleyFrance 
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C'est un tout petit livre de moins de 90 pages avec une préface qui en fait déjà presque trente. Datée du 19 avril 2022, elle n'est pas signée. On partira du principe qu'elle est de l'autrice du livre tout entier, soit Delphine Horvilleur. Une longue préface découpée en sept parties et un « monologue contre l'identité » surtitré Il n'y a pas de Ajar où le je qui écrit se dit Abraham Ajar, soit le fils fictionnel d'un pseudonyme littéraire. On n'a pas débuté que ça commence déjà.

Emile Ajar donc. Souvenez-vous, l'entourloupe la plus célèbre de l'histoire, l'auteur de Gros câlin, La vie devant soi (Ah Momo !) pour le quel il a reçu le prix Goncourt en 1975. Lequel prix avait déjà été décerné à Romain Gary quelques années plus tôt pour Les racines du ciel en 1956. Ce qui ne serait pas un problème si ces deux auteurs n'étaient pas en fait un seul et même homme.

Enfin… ça, c'est encore un peu trop s'avancer que de le prétendre. Car ne sommes-nous jamais qu'un ? Ne sommes-nous jamais entièrement circoncis à une seule et unique identité ? Mais il n'a pas été nécessaire au jury littéraire d'entrer dans de telles réflexions métaphysiques pour être bien enquiquiné de se trouver avec deux prix et un seul homme. La réalité est parfois trop chiche.

A partir de la biographie de Gary et des événements de sa vie à elle, à commencer par sa naissance, la même année que celle d'Emile Ajar, celui qui n'existe pas et dont le nom, en hébreu, signifie l'Autre, ainsi que sa première rencontre à six ans avec la lecture au moment où Gary se suicide, Delphine Hortvilleur tricote ces deux - trois ? - existences et fonde entre elles un nécessaire lien. « Depuis des années je lis l'oeuvre de Gary/Ajar, convaincue qu'elle détient un message subliminal qui ne s'adresse qu'à moi. Je ne cesse d'y chercher une clé d'accès à ma vie, un passe-partout qu'un jour, un homme aux multiples identités a déposé. »

Le fond de cette conviction ? L'idée que Gary/Ajar est le guide de ceux qui pensent que ni le langage ni l'existence ne seront jamais clos, définitivement appréhendés. Gary est devenu le fantôme, le dibbouk de la tradition juive, qui hante nos existences de sa présence tenace, qui leur impose une incertaine mais indéniable profondeur.

Alors nous voilà avec Abraham, dans une cave où se trouvent aussi Rosa, Jo Dassin, Stromae, d'autres personnages aussi. On y cherche nos « filiations fictives », celles qui nous ont constitué aussi sûrement que les gènes dont nous avons hérité. On n'y cherche surtout pas Dieu, celui dont on ne doit pas prononcer le nom et dont l'absence inonde toutes nos existences. En ne le cherchant absolument pas, il se pourrait bien qu'on l'ait déjà sous le nez. Dieu aurait le sens de l'humour.

Avec l'intelligence et la finesse qui caractérisent tous ses textes, Delphine Horvilleur propose une réflexion érudite et délirante sur la place de la fiction dans nos identités, sur la manière dont le « je suis ce que je suis », plénitude tautologique et mortifère dont se revendiquent les puristes de l'affiliation communautaire, promet un enfermement abominable.

Être l'autre, rentrer dans sa peau en tant que non lui, devenir Rosa sans souci d'authenticité et de la caution de légitimité que donnerait le fait de l'avoir vécu, c'est ce que fait Gary/ Ajar pour ne pas exister, pour ne pas être réduit aux limites d'un moi déterminé, fini.

Dans son monologue, Abraham Ajar proclame, à propos d'un homme de 69 ans qui a fait un procès à l'Etat pour discrimination à cause de son âge et exigé d'être rajeuni de 20 ans sur son passeport, « Je crois qu'au fond, aucun de nous n'est uniquement ce qu'on dit qu'il est. Qu'est-ce qui t'empêche, toi, par exemple, d'engager une transition de genre, de sexe, de couleur ou de religion ? On est tous en chemin vers ce qu'on peut encore être, et cela implique forcément de quitter ce qu'on était. » Et de nous révéler cette vérité linguistique aux conséquences métaphysiques abyssales : en hébreu, le verbe être n'existe pas au présent. « Bref, en hébreu, tu peux « avoir été » et tu peux être « en train de devenir », mais tu ne peux absolument pas « être »… ni binaire, ni non-binaire, ni homme ni femme. Tu as été et tu deviendras, mais tu es forcément en plein dans ta mutation. »

Nous y voilà. Ne jamais être assigné, ne jamais avoir un rapport avec ce qui se passe, ne jamais figer le mouvement, faire de l'entourloupe, de la feinte, de la prestidigitation le moteur d'une quête à ne pas être. « Chaque fois qu'un jour nouveau se pointe, j'ouvre la fenêtre et j'appelle au secours. Je saute sur le téléphone, j'appelle la Croix-Rouge, le Secours catholique, le Grand Rabbin de France, le petit, les Nations Unies, Ulla notre Mère à tous, mais comme ils sont parfaitement au courant, qu'ils voient de leurs propres yeux qu'un jour nouveau se lève et qu'ils prennent même leur petit déjeuner pour cette raison, je me heurte au quotidien familier, et c'est le bide. Alors je deviens un python, une souris blanche, un bon chien, n'importe quoi pour prouver que je n'ai aucun rapport » écrit Ajar dans Pseudo.

Au-delà de la mise en scène littéraire d'un délire réactionnel que des médecins expliqueraient très bien et qui a été, pour Romain Gary, à la fois une échappatoire et un échec, il y a dans cette proposition un appel à la fantaisie, un rappel à ne jamais clore l'interprétation, une ode à la fiction et à ses pouvoirs qui m'ont ravie.

Evidemment, il ne s'agit pas de renier d'où l'on vient, « et je ne vois pas quel problème il y aurait à ce que des gens veuillent conserver des éléments psychiatriques intacts de leur famille » (j'adore !) « Je dis simplement : oui à l'entre-soi, mais à condition qu'on sache toujours qu'on est plusieurs chez soi. »

C'est fin, subtil, déjanté jusque ce qu'il faut pour ne pas se prendre au sérieux. « L'humour est une affirmation de supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive. » Romain Gary, encore. En exergue du monologue. Et finalement, dans un vertige souriant, enivrés de mots et de possibles, on se plait à cet appel désespéré à n'être jamais tout à fait achevé.
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Un peu surprise en voyant la très fine épaisseur de ce livre de 90 pages.
Surprise également par ces deux parties, la préface d'une vingtaine de pages dans laquelle Delphine Horvilleur évoque la double identité d'un auteur qu'elle adule, son dibbouk, né Roman Kacew, alias Romain Gary, alias Émile Ajar. Dans la seconde partie, l'auteure nous livre quelques réflexions bien senties sur l'identité.
Cependant, j'ai trouvé que l'ensemble manquait de cohérence, de liant, d'une réflexion qui prenne un peu plus de hauteur. J'ai eu l'impression de petites histoires, comme des anecdotes, sans avoir une trame générale conductrice et éclairante. J'ai été ainsi étonnée que l'auteure ne nous livre pas sa propre définition de l'identité.
J'attendais un peu plus de profondeur de ce texte, qui reste agréable à lire grâce à l'humour et l'érudition de l'auteur. J'ai beaucoup apprécié d'apprendre par exemple qu'en hébreu le verbe être ne se conjugue pas au présent, mais uniquement au passé ou au futur, être ne pouvant définir qu'une transition d'un état à un autre.
Un essai intéressant, pas complètement réussi de mon point de vue, un peu brouillon, un peu bâclé qui aurait gagné à être doté d'une véritable structure et de développements plus approfondis.
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Non il n'y a pas de hasard : « Il n'y a pas de Ajar » est un excellent livre.

D'abord parce qu'il est écrit par Delphine Horvilleur, brillante intellectuelle qui est par ailleurs une femme rabbin, qui nous a enchanté avec « Vivre avec nos morts » - entre autres.
Mais aussi parce que cet essai (mais est-ce un essai ? Difficile à cataloguer) est sous-titré : « Monologue contre l'identité ».

Et c'est vrai que ça fait du bien, dans ces quelques phrases, d'entendre un souffle totalement différent de ces messages identitaires qu'on entend sur toutes les ondes et sur tous les réseaux sociaux.

« - Tu veux un cachou ? »

Pour tenir son propos, elle prend le parti d'entrer dans la peau d'un homme qui n'existe pas : Emile Ajar. La première partie rend un hommage appuyé à ce subterfuge bien connu des littéraires maintenant, avec le dédoublement de Romain Gary obtenant deux fois le Prix Goncourt sous deux identités différentes.

Mais la seconde partie est encore plus intéressante.

« L'humour est une affirmation de supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive », cite-t-elle en exergue de cette partie, une citation de Romain Gary lui-même, bien sûr.

Et elle imagine que Romain Gary/ Emile Ajar n'a pas appuyé sur la détente du pistoler destiné à son suicide. Non. « Ajar n'est pas mort ce jour-là. Il a continué à être bien vivant, et il s'est planqué là. »

Audacieux, non ?
Mais mieux encore.
Elle imagine que Emile Ajar a eu un fils, Abraham. Et que de cette sorte de cave, de grotte où il se cache, il peut envoyer quelques messages.
Nous avons droit alors à un passage par la bible ancienne, mais surtout un appel à échapper aux étiquettes et définitions qu'on nous colle et qui nous empêche d'être soi.

« Abraham et mon père ont compris tous les deux qu'il y avait une urgence à n'avoir aucun rapport avec le contexte et pour ça, qu'il fallait se soustraire, se casser, le plus loin possible, et en tout petits morceaux. Tout faire pour échapper à ceux que vous comprenez et qui vous comprennent, ceux qui savent tout de vous parce qu'ils vous ont vu naître ou appris à parler, et qui s'imaginent que ça crée des liens.
Non, non, pas question d'appartenir ! Et merde à l'engendrement. »

« - Tu veux un cachou ? »

C'est très rafraichissant de lire ces propos.
Elle invente des concepts. Comme celui de « Intactiviste » pour s'apposer à la circoncision, qui détermine le peuple juif. Et nous appelle à nous débarrasser de « cette idée morbide qu'il y aurait une possibilité vraiment d'être soi ».

Que nenni.

Dieu lui-même est convoqué. Ou plutôt invoqué puisqu'on ne peut prononcer son nom. Et Dieu aussi est contre le déterminisme. Ou contre l » appropriation culturelle », à savoir l'idée qu'on ne peut pas écrire sur un personnage féminin si on n'est pas soi-même une femme etc. …
Cette grotte où est caché Abraham est peut-être en chacun de nous. Ce trou est d'ailleurs peut-être un nom de code. Parce qu'il y a bien un médecin viennois qui en a parlé aussi : « Lui, il appelait cet endroit autrement, « l'inconscient », je crois ou quelque chose comme ça.

« - Tu veux un cachou ? »

Lisez « Il n'y a pas de Ajar ».
Pas de hasard, Delphine Horvilleur est manifestement la plus forte.

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Ce texte n'a pas été écrit pour être lu, mais pour être déclamé devant des spectateurs. Il aborde cependant des questions, des pistes de réflexion sur un sujet qui hante même nos auteurs (et leurs lecteurs) : l'identité.

Elle s'appuie sur Abraham Ajar, le fils inexistant de l'auteur tout aussi inexistant Émile Ajar, pour faire sa démonstration.

Delphine Horvilleur combat l'idée que l'identité est unique, bien au contraire, dit-elle, nous en avons plusieurs.

Pire encore, écrit-elle, des voix s'élèvent pour dire qu'on ne peut pas comprendre le racisme sans être noir, l'antisémitisme sans être juif ou le féminisme sans être femme.

Avoir une seule et unique identité, c'est le contraire de l'ouverture à l'autre, le summum de l'entre-soi.

Après avoir lu ce texte, j'aimerais beaucoup l'entendre, c'est quelque chose qui m'a manqué pendant ma lecture.

Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour cette lecture.

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