Les misérables, c'est un peu Cyrano, Romeo & Juliette ou bien l'Odyssée. On a tant vu d'adaptations que l'on croit connaitre l'oeuvre. On se trompe.
Il y a dans cet accomplissement littéraire du grand Hugo de la Bible.
Le parallèle n'est pas innocent. Les deux textes présentent une jolie épaisseur, une foule de personnages forts et, par-dessus tout, traitent du bien et du mal.
Les bons et les méchants.
Des bons, selon Rousseau, qui deviennent méchants au contact des autres, ce que nous nommons la société.
Des méchants qui peuvent, au prix d'un grand effort de remise en cause, devenir les meilleurs hommes du monde.
Jean Valjean en est le prototype.
Autre similitude avec n'importe quel livre religieux : la possibilité d'ouvrir à n'importe quelle page ces quinze cents feuillets et y trouver une réponse à la question que l'on se pose, du moins quelque phrase à savourer comme un grand Bordeaux.
La puissance des mots joliment agencés. Cela coule comme une musique. Il suffit d'imaginer Fabrice Luchini déclamant du Cambrone ou jouer à le lire à haute voix en l'imitant pour que cela devienne magique.
Et Hugo n'est pas avare en métaphores, accumulations, images, métonymies, hyperboles, anaphores, graduations, épanadiploses.
Epanadi quoi ?
Je ne reviendrai pas sur les rebondissements et les scènes fortes (que celle ou même celui qui ne verse pas de larme lors de la rencontre entre Valjean et Cosette se présente : il est à mettre en bonne place dans le musée des coeurs de pierre). C'est un foisonnement ! Juste entrecoupé de quelques réflexions chères à Hugo.
Le rejet sans conditions de la peine de mort, une fibre républicaine sans faille, la foi absolue dans le progrès.
Les misérables, c'est aussi une formidable visite du
Paris du XIXème, jusqu'à ses égouts.
On y retrouve cette flamboyance des « mystères de
Paris » de son compatriote
Eugène Sue qui m'avait emballé. le propos est identique. La plume semblable. Les personnages pareils. Les rebondissements de même facture. En revanche ce qu'on perd en suspens (tout le monde connait le fil grossier de l'histoire – contrairement au roman fleuve de Sue, passé à l'oubli), on le gagne en témoignage historique.
Il y a dans la saga d'Hugo un précis d'histoire et de sociologie pour les élèves du XIXème siècle.
Ecrit il y a plus de 150 ans, la pléthore de références auxquelles Hugo émaille son récit peut ne parler qu'à un cercle très réduits de gens cultivés. Il est bon de choisir une édition encombrée de notes, afin de pouvoir si on le désire, s'y retrouver. Ne serait-ce que la simple traduction des vers en latin. Rares sont les latinistes érudits de nos jours et laisser ne serait-ce qu'une phrase non comprise revient à contempler un tableau au travers d'un grillage.
Si le diable a acheté l'âme de Faust, Dieu a acquis celle de Valjean pour une paire de chandeliers.
Hugo pousse le détail jusqu'à insérer dans son récit fleuve ce qui passe pour être la meilleure des quatrièmes de couverture :
« le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, c'est d'un bout à l'autre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de l'injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de l'appétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de l'enfer au ciel, du néant à Dieu. Point de départ : la matière, point d'arrivée ; l'âme. »