Oh yes… Yes !
Cet incroyable livre, ce trésor d'intelligence et de profondeur, de philosophie légère et d'observations et d'interrogations graves sur l'état du monde, cet abîme de drôlerie et de plaisir, ce bordel de roman « foutraque » et même « fabifoutraque ». Ce bouquin-niche où une forme de communion entre l'homme et l'animal devient possible, ce creuset d'écriture, mots et choses enfin en harmonie, dans lequel, lecteur, on se sent si bien ! Un livre où l'on apprend aussi à aimer une paire de groles, des Buffalo, des comme celles de
Brigitte Fontaine, des qui permettent encore de se tenir debout. Un livre contre la vieillesse, ou pour apprendre à la vivre différemment. Un livre, enfin, pour mieux résister aux dérives du monde, à la sixième extinction, à notre propre pouvoir de destruction. Et un livre-bibliothèque, aussi, capable de convoquer Démocrite et Kafka, Tolstoï et
Duras, et mille autres grands témoins, apportant çà et là leurs lumières. « Un livre couleur de digitale. Un livre pourpre. Un livre tonicardiaque… un livre qui fasse battre les coeurs ». Eh bien, yes,
Claudie Hunzinger, yes,
Un chien à ma table, c'est réussi, yes, puisqu'à vous lire, nos coeurs battent la plus endiablée, la plus rebelle des chamades !
Yes, c'est le nom du chien, qui déboule un soir, dans un trou perdu de montagne, devant la maison de Sophie Hunzinga, la narratrice « écri-vaine » (Sophie Hunzinga,
Claudie Hunzinger, hum… vous m'avez compris !) et de Grieg, son compagnon – qui n'aime rien tant que dormir le jour pour mieux lire la nuit dans sa chambre, un terrier-bibliothèque. Yes, immédiatement nommé ainsi, parce qu'il fait resurgir les derniers mots de l'Ulysse de Joyce, « and yes, I said yes I will yes », comme un acquiescement au désir, un cri d'amour, le nom même de la joie…
Mais Yes, pourtant, une chienne, en fait, est blessée, le sexe salement abimé par un zoophile, et Sophie a à peine le temps d'observer ses plaies et de lui donner un peu d'eau et de pitance, que déjà elle s'enfuit, détalant si vite vers la forêt proche qu'elle n'est bientôt plus visible. Tant pis. Sophie partira quand même à Lyon le lendemain, les pieds chaussés de ses Buffalo, des bottes de sept lieux pour lui permettre d'avancer encore, afin d'honorer une invitation à une rencontre en librairie. Au retour, Grieg est là, à l'attendre dehors, et à ses pieds, la petite chienne, revenue, comme accueillante à son tour…
Commencent alors, dans cette maison des Bois-Bannis – un territoire d'exil ? un lieu de retraite ?- les nuits à trois, Sophie, Grieg et Yes, allongés sur le grand lit au sommier fait de liasses de vieux exemplaires du « Monde ». Commencent, surtout, les journées de courses folles à travers la montagne, à marcher devant ou derrière Yes, cette chienne devenue l'incarnation de la joie, cette chienne devenue la meilleure des guides dans les territoires de la pensée, cette chienne qui entend le langage humain, cette chienne-Logos. Parfois, pourtant, Sophie laisse Yes aux Bois-Bannis, au risque qu'elle se mette à copiner avec Grieg, à construire un abri avec lui sous la table de la salle commune, pour y dialoguer comme deux clochards complices, et qu'elle Sophie se sente comme une épouse trompée à son retour, essuyant les sarcasmes de Grieg… Ce qu'il en restera, au bout du compte, de cette « chienne à leur table », c'est la possibilité d'une communauté non « spécifique », où le couple humain et l'animal auront découvert la possibilité de veiller sur leur territoire, en le gardant des atteintes d'un monde en pleine déréliction, d'apprendre aussi à mieux vieillir et affronter la mort ensemble. Ce qu'il en restera aussi, c'est un livre, ce livre peut-être qui nous est offert… Avec tant de pages si lumineuses, dans la réflexion ou le rire, que lorsque l'on veut sélectionner des extraits que l'on pourrait citer (sur Babelio, par exemple…), on est paralysé par l'embarras du choix, et puis, au fil des pages, des images comme des perles rares – « un sourire de géranium aux fenêtres », « des framboises belles comme des bouches »… -, des expressions comme des concentrés d'allègre sagesse : « je nous sentais alors tous les trois dans le même sac. Sac ou destin, c'est pareil… »
Oui, donc, trois fois oui, oh pardon, yes !, laissez tout tomber, abandonnez Despentes et Nothomb, et yes, yes, lisez
Claudie Hunzinger ! (Dois-je l'avouer ? Je n'ai jamais été très chien-chien, ayant été mordu par l'un d'entre eux, quand j'étais petit, et éprouvant depuis toujours une certaine méfiance à l'égard de la gent canine. Je n'ai jamais non plus été grand amateur de récits animaliers… On ne pourra donc pas juger que je fais preuve de partialité en clamant – j'allais dire en aboyant…- mon enthousiasme !)