AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,29

sur 373 notes
5
51 avis
4
30 avis
3
6 avis
2
1 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avec Zouleikha ouvre les yeux, Gouzel Iakhina, jeune autrice russe de la République du Tatarstan, signe un premier roman envoûtant et touchant sur la « dékoulakisation » des années 1930, expropriation des propriétaires terriens dans le cadre de la collectivisation conduite par Staline.

Les ouvrages, y compris de fiction, sont pléthores sur le sujet de l'Union soviétique. Ils apportent chacun leur pierre à l'édifice et une contribution utile au travail de mémoire sur cette période complexe du continent russe. Dans cette multitude d'offre littéraire, le roman de Gouzel Iakhina est une perle qu'on ne peut que conseiller de mettre entre toutes les mains, a fortiori de ceux intéressés par l'histoire de l'URSS.
Sur ce thème largement traité, l'autrice adopte une perspective originale : celle, en premier lieu, de Zouleikha, une jeune paysanne tatare qui, à quinze ans, a été mariée de force à un homme violent et bien plus âgé qu'elle. Elle a donné naissance à quatre filles, mais aucune n'a survécu. Dans leur village du Tatarstan, elle mène une vie aliénante, de travail permanent, sous la coupe de son mari et de sa belle-mère autoritaire.
Dans son village, Ioulbach, le paganisme cohabite avec l'islam : si Zouleikha sent le regard d'Allah sur ses actions, elle est également soucieuse de respecter les esprits qui l'entourent et règnent sur le village. La politique de l'URSS, importée de la ville, de Kazan, vient se superposer à ces croyances. À travers les yeux de Zouleikha, on observe les événements historiques se dérouler avec une candeur touchante, et l'éloignement relatif de son village tatar par rapport aux cercles du pouvoir engendre chez elle une confusion que nous fait ressentir l'autrice : Zouleikha, se souvenant des histoires qu'on lui a racontées sur la Horde d'Or de Gengis Khan, nomme les émissaires du régime soviétiques « la Horde rouge » : « Les émissaires de la Horde rouge récoltaient également le tribut. Mais Zouleikha ne savait pas à qui ils l'apportaient ».

Puis, tout semble s'accélérer : expropriée, son mari assassiné, Zouleikha prend la route avec des dizaines d'autres « déplacés », déportés en Sibérie, vers une destination qui n'existe pas encore. Mais ce n'est que le début de longs mois de voyage, au cours desquels l'autrice adopte également le point de vue d'autres personnages : Ivan Ignatov, le commandant du convoi, lui-même relégué sans encore le savoir, un homme droit et intègre, aux convictions inébranlables et sans pitié, mais sincèrement soucieux malgré lui de la charge humaine qu'on lui a confiée et de tous ces déportés qu'il doit amener à bon port ; Wolf Karlovitch Leibe, un médecin de Kazan devenu fou, et vivant dans un déni des événements politiques qui se déroulent autour de lui.
La sensibilité de ces personnages vient se mettre au service de la violence terrible du récit de cette déportation, du voyage en train long de plusieurs mois, des morts par dizaines qu'Ignatov refuse d'oublier, les retraçant avec sa conscience professionnelle de fonctionnaire appliqué dans son dossier bleu, et qui en viennent à l'obséder.

Finalement, au bout du monde, sur les rives de l'Angara, un affluent de l'Ienisseï, ces prisonniers déportés retrouvent, sous les ordres impitoyables d'Ignatov, une forme de liberté. Zouleikha, qui avait découvert au cours de son voyage qu'elle était enceinte de son mari, accouche à son arrivée en Sibérie, alors qu'elle n'était jamais parvenue à donner la vie asservie au Tatarstan. En cela, elle est assistée par Wolf, le médecin qui force enfin le voile qui pesait sur lui se soulever et recommence à vivre. Ivan, lui-même, après avoir longtemps rêvé de retrouver sa vie d'officier et ses conquêtes amoureuses inconséquentes, finit par devenir un membre à part entière de cette colonie.
Zouleikha n'est au bout du compte pas la seule à ouvrir les yeux au terme de cette ode à la vie et à la résilience de l'homme, capable de faire société et de planter ses racines même dans une terre inhospitalière.
Commenter  J’apprécie          30
En 1930 commence la déportation en Sibérie par trains entiers de tous les opposants au régime soviétique, et d'abord les koulaks, petits propriétaires coupables de posséder une vache, une charette, un cheval et quelques outils. Leurs terres et leurs biens confisqués seront la base de la collectivisation et des kolkhozes.

La jeune Tatare Zouleikha aux yeux verts, petite et menue, mariée à 15 ans, est traitée comme une bête de somme par son koulak de mari, brutal et grossier, et une belle-mère hargneuse et autoritaire, La Goule. Les croyances de Zouleikha mélangent survivances païennes et Islam : les esprits habitent tout, gens, choses, paysages, il faut se les ménager, et les événements de la vie se déroulent sous l'oeil perçant d'Allah. En ce compris la perte de quatre petites filles en bas âge et l'assassinat de son mari. Femme de koulak, elle rejoint à Kazan un train de déportation, train dont le commandant Ignatov, aux fortes convictions communistes, a la responsabilité.

Le voyage est cauchemardesque, dure neuf mois, un millier de personnes au départ, trente à l'arrivée … Dans ce cas-ci, pas de volonté d'exterminer, mais une telle désorganisation des services que les gens meurent de froid, de faim, ou sont noyés sur un rafiot pourri dans les tempêtes ravageuses de l'Angara, avant que les survivants n'abordent au milieu de nulle part entre fleuve et taïga, munis en tout et pour tout d'un révolver (celui d'Ignatov), de filets de pêche, de scies individuelles, de sel et d'une boîte d'allumettes. Durant le voyage, Zouleikha s'est découverte enceinte de son mari, et accouche en arrivant. Enfin un garçon, Youssouf ! Cette naissance lui vaut un traitement moins dur lors du premier hiver sibérien fort éprouvant de la petite colonie serrée dans une seule cabane en bois construite à la hâte. Les trente sont nourris quotidiennement et insuffisamment par la chasse d'Ignatov ou la pêche du jeune Loukka (“Il faut regarder la rivière, il faut l'écouter, lui parler. Puis attendre. Si elle veut en donner, il y aura du poisson. Si elle ne veut pas, il n'y en aura pas.” p. 268)

De 1931 à 1946, la colonie se peuple d'autres déportés. Toute une organisation économique et sociale se met en place, respectueuse des instructions du parti – Ignatov y veille – et des quotas de production imposés, soumise à des inspections régulières. La vie quotidienne reste difficile mais des rues se dessinent, bordées d'isbas individuelles, un hôpital, une école, un club pour l'instruction civique, des entrepôts, des cultures vivrières. La colonie se choisit un nom. Parmi les premiers arrivants, il y avait des intellectuels bourgeois, de Léningrad ou de Kazan, qui apportent à la communauté leurs compétences agronomiques, médicales, artistiques (mises au service de l'agit-prop, bien sûr !) et leurs souvenirs du monde d'avant. C'est eux surtout qui se chargeront de l'éducation de Youssouf. La guerre est loin, les colons ne sont pas mobilisés à cause des risques contre-révolutionnaires qu'ils présentent. Sauf un, Gorelov, personnage hypocrite, opportuniste et chafouin, qui reviendra prendre après la guerre la place d'Ignatov jugé trop complaisant envers les déportés. On pressent qu'avec Gorelov, la colonie de travail va devenir goulag.

Et Zouleikha ? Elle travaille, et travaille encore, tantôt à la cuisine, tantôt à l'hôpital, lieux qui facilitent la surveillance de Youssouf. Elle devient une chasseresse expérimentée, la taïga n'a plus de secrets pour elle. Elle cède enfin à Ignatov avec qui elle entretient une relation amoureuse passionnée. Zouleikha ouvre les yeux : le regard d'Allah ne pénètre pas la taïga, elle cesse de prier les esprits et de les ménager, la promiscuité du voyage, son accouchement et les nécessités de l'installation ont fait que la vie est plus importante qu'eux. Et dernière victoire : elle repousse enfin le fantôme de la Goule, dont l'apparition sinistre et récurrente cherchait à la culpabiliser de sa libération progressive. Mais il y aura une dernière épreuve à affronter : la séparation d'avec Youssouf.
Roman puissant et dense, qui outre son intérêt historique brasse plusieurs thèmes : l'homme dans l'Histoire, l'homme face à la Nature à la fois hostile, dangereuse, belle et nourricière – l'affrontement n'est pas sans rappeler le vieil homme et la mer - , l'appel aux ressources personnelles, la solidarité qui vient spontanément, l'éveil de la conscience, de l'amour et de la compassion. Tous ces thèmes apparaissent dans le roman sans considérations ou analyses psycho-philosophiques : seulement à travers les événements de la vie quotidienne. de nombreux passages sont d'une grande intensité poétique ou dramatique : la taïga, le fleuve, le voyage en train, le naufrage, l'accouchement difficile à la lueur d'un feu de camp … de la truculence aussi, et de l'humour. Un livre grandiose, fort et total, un livre-hommage à l'homme et à la nature.

L'auteure, dont c'est le premier roman (immédiatement traduit en plusieurs langues) est présente à la semaine du livre à Paris, dont la Russie est cette année 2018 le pays invité. Elle est Tatare et a fait à l'université de Kazan des études d'anglais et d'allemand, et à Moscou une formation de scénariste. On imagine facilement tout le parti que pourra tirer le cinéma de ce livre.
Commenter  J’apprécie          30
Un livre magnifique qui retrace la vie de l'héroïne, Zouleikha, opprimée par la société tatare (en l'occurrence son mari et sa belle-mère), puis déportée en Sibérie, arrachée à son monde par les tourmentes de l'histoire et la terrible dékoulakisation (plus de 2 millions de déportés, des centaines de milliers de morts). L'évolution de ce personnage, son courage, sa découverte de l'amour sont bouleversants. L'évolution parallèle du héros masculin, communiste convaincu, bourreau au début, est tout aussi intéressante.
Superbement écrit.
Commenter  J’apprécie          20
Une pure merveille! L'histoire de cette femme m'a passionnée! L'histoire, les personnages et l'écriture ( et la traduction), tout est génial dans ce roman.
Très gros coup de coeur de la rentrée littéraire 2017 !!!
Commenter  J’apprécie          20
Magnifique et pourtant pas beaucoup de battage médiatique autour de ce livre discret mais passionnant. Une épopée époustouflante dans une Russie en pleine dékoulakisation (quel drame !) mais où l'amour peut sauver la flamme de la vie. Une très belle histoire.
Commenter  J’apprécie          20
Un roman certes, mais une histoire qui aurait pu être vraie et l'a peut être été, et pas qu'une seule fois. Je suis très sensible au réalisme russe, la magie opère toujours, et mon esprit est resté captivé tout au long de la lecture. Quelques longueurs par ci par là, et ce n'est pas une lecture facile, il faut s'habituer au vocabulaire, mais impossible à lâcher pour ma part. Je compte rapidement m'offrir le deuxième roman de l'écrivaine, "Les enfants du Volga" et je n'en attends pas moins.
Commenter  J’apprécie          10
Un livre passionnant qui raconte la déportation des koulaks, des opposants au régime… en Sibérie, dans les années 1930, à travers l'histoire de Zouleikha, du commandant Ignatov et de quelques autres figures emblématiques…. Une oeuvre digne des grands classiques russes!


















Commenter  J’apprécie          10
merveilleux de sensibilité, de finesse dans les sentiments décrits et de justesse dans le choix des mots. de la dentelle sur la fond et la forme
Commenter  J’apprécie          10
Magnifique découverte. Préparez-vous à quelques insomnies littéraires après l'ouverture de ce roman, qui a quelque chose de cinématographique. L'écriture est fluide et sert une description riche de la vie à l'époque des goulags. L'univers de Zouleikha est peuplé d'esprits et de croyances, nécessaires pour survivre à la perpétuelle violence qui l'entoure, de Ioulbach, son village d'origine, jusqu'à Simroug, colonie fondée en Sibérie. On suit des personnages profonds qui évoluent tout au long du récit : la Goule, belle-mère perverse et tyrannique, Wolf Karlovitch, célèbre médecin qui perd la tête, Ignatov, soldat de la Horde Rouge au coeur tendre, Youssouf, l'enfant miracle... Au fil des rencontres et des évènements, Zouleikha, se défait du carcan de sa religion et son éducation, pour devenir une femme « libre » et déterminée.
Pour moi, tous les ingrédients sont là, j'ai été transportée, j'ai appris, j'ai ressenti, j'ai vu à travers les yeux de Zouleikha. (Et je suis un peu triste de la quitter…).
Commenter  J’apprécie          00
La Littérature avec un grand L. Un roman magnétique, impressionnant de maitrise, de profondeur et de sensibilité. Une merveille à lire absolument.

Zouleikha est une paysanne Tatar soumise à son mari et esclavagisée par sa belle-mère, un héritage et une fatalité qu'elle subit sans les questionner. Propriétaires terriens, ces ennemis du nouvel Etat sont pourchassés, et notre héroïne se fait déporter dans un camp de travail en Sibérie. Son voyage puis son nouveau cadre de vie vont la changer, progressivement et radicalement.

En toile de fond, le passage de la Russie féodale à la nation soviétique, et l'impact concret sur la vie des citoyens de tout type (koulaks, dépositaires de l'autorité, ex bourgeoisie blanche, …) des nouveaux dogmes imposés avec force par l'URSS relativement à la propriété, à la religion, à l'égalité des sexes, à l'éducation, aux arts, …

Ce roman total est le digne héritier des plus grands classiques russes du 19ème, avec ses personnages complexes, attachants, en constante évolution. Il est haletant, certains passages allant jusqu'à m'évoquer Michel Strogoff de Jules Vernes, mais aussi plein de philosophie, de sagesse et parfois de poésie.

Le rythme du récit est parfaitement maîtrisé, les accélérations et les ralentissements ne se font qu'au service de l'histoire et des sujets traités. La plume est précise et délicate, riche mais jamais pompeuse.

Je m'empresse d'aller lire d'autres livres de Gouzel Iakhina dont j'ai lu des critiques dithyrambiques pour confirmer l'intuition que j'ai d'avoir découvert une nouvelle géante de la littérature.
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (941) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
439 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *}