Dans toutes ces toiles, de même que dans les vues du Havre, Pissarro fut un magicien des lumières aquatiques. Nul prisme ne saurait rendre la fluidité, les frôlements ou les épanouissements de la lumière avec autant de prestige que l'eau, cet élément qui devient, par le rayonnement de la clarté, un prisme composite et merveilleux. Sa couleur propre, qui varie à l'infini, suivant sa densité ou sa profondeur, ses ondulations, ses palpitations et ses moires, lui font une transparence hétérogène. Pissarro se plaît à capter ces mille reflets qui sillonnent les eaux, zigzaguent, fuient, se replient, s'effacent ou se croisent en gerbe lumineuse. Les incandescences stagnantes des couchants, les symphonies spectrales des crépuscules ou les opalines blancheur des aubes ont leur reflet dans les moires glauques ou polychromes des eaux. Toute la clarté diffuse ou vibrante du soleil se condense dans le champ illimité du miroir, rayonne aux mille facettes du prisme coloré, zèbre la toile de tons et de nuances qui se fondent en une délicieuse harmonie.
Pissarro fut plus humble, et peintre davantage. Il a compris dans Paris le paysage et la foule, le décor est la vie anonyme qui donnent au premier la raison d'être de ces vastes espaces, de ces monuments, de ces longues avenues peuplées de fenêtres derrière les- quelles s'agitent les drames, se vivent les existences de passions et de rêves, s'élaborent les problèmes de la Science et de l'Art. C'est la vie extérieure, anonyme et frivole, comme la foule dont l'âme jaillit dans un désir, une passion, une fugitive association d'idées et qui passe, s'enroule, se croise et s'écoule au fond des perspectives bleues, pour rentrer dans l'inexprimé et le silence.
La sincérité de l'artiste s'affirmait dans la recherche constante du rendu, adéquat à la sensation et, pour ce faire, il trouva des procédés nouveaux. L'évolution technique de sa peinture n'est pas un des moindres mérites de cet homme, qui changea jusqu'à ce qu'il eu découvert la gamme lumineuse de sa palette d'où sortirent les belles toiles de Pontoise, Eragny, Rouen, le Havre, Paris. Son arrêt dans le pointillisme ne doit pas lui être reproché davantage que sa première manière, où l'influence de Corot est manifeste.
En 1866, Pissarro fit la connaissance de Manet. C'était l'époque héroïque où le maître de l'Olympia tenait ses assises au café Guertois près la place Clichy. Là se rencontraient des artistes et des littérateurs, des gens qui allaient un jour imposer leur nom à l'Art et à la Littérature : Duranty, Zola, Monet, Renoir, Cézanne, Cladel, etc. Pissarro s'adjoignit au groupe, s'éprit de leurs théories qu'il pratiquait déjà isolément et se lia d'amitié avec Monet et les autres.
D'intuition en intuition, ils en sont arrivés peu à peu à décomposer la lueur solaire en ses rayons, en ses éléments, et à recomposer son unité par l'harmonie générale des irisations qu'ils répandent sur leurs toiles. Au point de vue de la délicatesse de l'œil, de la subtile pénétration du coloris, c'est un résultat tout à fait extraordinaire. Le plus savant physicien ne pourrait rien reprocher à leurs analyses de la lumière...