L'art de la peinture était presque mort à cette époque, ou il languissait dans les mains de peintres grecs qui peignaient, à peu près, comme on fait aujourd'hui les cartes à jouer, lorsqu'un homme appelé Cimabue et son élève Giotto regardèrent la nature et s'avisèrent de la copier. Alors, d'essai en essai, de progrès en progrès, il en vint à ce point de beauté qui ébaubit tous les hommes d'aujourd'hui. Giotto était de ces gens qu'on nomme chez nous des adlesis, ce qui veut dire un peu toqué, un braque. On l'appela ainsi dans son temps, et c'est toujours l'histoire des gens qui ne pensent pas comme les autres.
Cet amour profond de son art, cet enthousiasme que n'abattent pas les défaillances, cette opiniâtreté dans la poursuite de la fin espérée éclatent à toutes les pages de ses lettres : « J'ai encore sept ans devant moi avant d'arriver à l'âge du grand prix de peinture de cette année, qui se nommait Benouville. O mon Dieu! que de choses, que de progrès on peut faire dans sept ans d'études ; j'espère et je m'illusionne, c'est là un de mes plus doux plaisirs. Que je suis heureux de n'avoir encore que dix-sept ans et d'être déjà à Paris à pouvoir étudier, travailler, travailler sans cesse cet art sublime que, plus je vais, plus j'aime...; avec quelle joie, le matin, j'arrange mes fusains, mes crayons, mes pinceaux! je les taille bien fins, et j'arrive à l'atelier, plein de plaisir quand nous avons un beau modèle. Oh ! alors, je me promets toujours de faire presque un chef-d'oeuvre, je le dévore des yeux, je fais déjà ma figure en imagination. »
Baudry avait treize ans ; il fallait faire un choix entre la musique et le dessin. Le père tenait pour le violon, Sartoris pour le crayon; tous deux rêvaient pour l'enfant les hautes jouissances de l'art qu'ils n'avaient qu'entrevues. Sartoris l'emporta : ses leçons suivies, son affectueux dévouement, avaient eu plus de prise sur l'esprit de Paul que l'enseignement irrégulier et nonchalant de Depas ?
Le père céda et confia l'enfant au maître de dessin. Dès la première visite à l'atelier, placé en face d'une Vierge aux couleurs voyantes, entourée d'anges proprets, oeuvre médiocre du bon Piémontais, Baudry s'écria : Moi aussi, je veux faire cet état-là, - pendant naïf de la fameuse exclamation du Corrège : Anch'io son pittore.
Le nom magique de Paris avait fasciné de loin le jeune Baudry, comme tous ceux qui ont ou se croient une vocation. La désillusion fut prompte : habitué à la vie en plein air, aux courses silencieuses avec le père, aux soins d'une mère aimante, l'exilé vendéen se sentit bientôt à l'étroit et seul dans cet amas de pierres et au milieu d'étrangers. Quel brusque changement ! Une chambre mansardée, après les larges horizons de la campagne; la vie sédentaire de l'atelier, après les libres promenades.