Dans cette oeuvre,
Niels Lyhne (Entre la vie et le rêve) publiée en 1880 et traduite par R.Rémusat, le poète et botaniste danois
Jens Peter Jacobsen (1847-1885) nous emporte dans une balade romantique en suivant le parcours chaotique de
Niels Lyhne dans une société en train de s'ouvrir aux changements.
Un roman d'apprentissage d'une âme sensible.
Un chemin tout tracé avant-même sa naissance car puissamment pensé et rêvé par sa mère, Bartholine. « Pour elle, ses parents, ses frères et soeurs, les voisins, les amis, ne prononçaient jamais un mot digne d'attention, car leurs pensées ne s'élevaient pas au dessus de la terre qu'ils faisaient valoir, et leurs regards n'allaient pas au-delà de ce qui s'offrait à eux tout naturellement. Mais les vers !… Ils étaient pleins de pensées nouvelles et d'enseignements profonds, montrant la vie telle qu'elle se déroule sur la vaste scène du monde, où la douleur et la joie sont intenses ; ils suscitaient des images parmi les rimes qui ruisselaient comme des perles. »
Se considérant comme un être à part, elle se laisse séduire par le jeune Lyhne de Lonborg dans lequel elle reconnaît celui qui pourra répondre à ses aspirations et s'éprend de lui : de cette union naît Niels.
Une enfance choyée sur le domaine de Lonborg mais déchirée entre l'amour paternel et maternel car depuis que le couple se désagrège Niels reste le seul lien entre ses parents.
Bercé jusqu'aux portes de son adolescence par les récits, la poésie et l'imagination fertile de sa mère, Niels est formaté pour devenir un homme au destin exceptionnel, un héros ; lui se rêve poète.
Niels atteignant l'âge adulte, et ayant confirmé ses aptitudes et ses appétences littéraires, va découvrir et affronter la réalité avec son cortège de joies et de peines.
Nous le suivons étudiant à Copenhague évoluant au milieu des artistes et de l'avant-garde intélectuelle .
Pour l'accompagner, son ami d'enfance de la ferme voisine, Frithjof , et depuis l'adolescence, Erik
Refstrup, recueilli et adopté sur le domaine de Lonborg, futur artiste, avec lequel il tisse une indéfectible amitié.
Comme un preux chevalier, il part en quête de l'amour qu'il aura du mal à trouver.
« Il aimait. Il se dit à voix haute qu'il aimait. Il le dit bien des fois. Ces paroles avaient comme une dignité, une noblesse, et leur signification était grande. Il n'était plus soumis aux influences diverses de ses chimères d'enfant, il n'était plus le jouet de désirs sans but, de vagues rêveries : il s'était échappé de la forêt fantastique qui avait grandi autour de lui, où cent bras l'avaient tenu captif, où cent mains s'étaient posées sur ses yeux pour l'aveugler. Il avait secoué ce joug, il s'était retrouvé, reconquis. »
Ainsi au gré du temps qui passe, de la vie qui s'effeuille, nous allons subir ses déceptions, ses désillusions, ses deuils, ses peines mais aussi être témoins de ses joies, de ses extases même si ces dernières sont beaucoup moins fréquentes .
Après la découverte de Copenhague, où il étudie, il découvre l'Europe , toujours sur les traces d'hommes mémorables ou d 'artistes, à Clarens en Savoie sur les pas de Rousseau pour la dernière retraite de sa mère, en Italie à Riva au bord du lac de Garde.
Au fil des années, après les désenchantements, les ruptures, les séparations, sa quête d'amour et de l'âme soeur reste inabouti. Toujours épris d'absolu et enfermé dans ses rêves, il souffre de la solitude et la ressent comme un isolement et un abandon.
Un destin qui ne sera pas à la hauteur de celui que sa mère attendait.
Une mort héroïque pourra-elle racheter sa vie ?
Une balade dans l' univers romanesque et romantique de
Jens Peter Jacobsen entrecoupée et illustrée par de magnifiques visions et descriptions de la nature où l'on sent l'oeil averti du botaniste.
Cette immersion dans le 19ème siècle nous rappelle sans cesse les conditions de vie difficiles de tout être humain à cette époque: tout le long du récit des jeunes gens succombent dans la fleur de l'âge aux maladies (
Jens Peter Jacobsen, phtisique, mourra à 38 ans), une jeunesse encore enchaînée arrive peu à peu où partiellement à se libérer des conventions bourgeoises et religieuses…
Une découverte et une très agréable lecture. Un style limpide et empli de poésie.
« Ce petit livre est de cette lignée de grandes oeuvres ; je voudrais qu'on le lut comme on les lit . C'est l'histoire des âmes trop grandes pour leur vie ; des âmes trop spiritualisées pour le monde où elles ont vécu et pour les amours dont elles ont souffert ; des âmes obscures et profondes que la destinée à enfermées dans un cycle de malheurs moyens. Certains êtres ont donné toute leur foi à ce désir éperdu de beauté qui vaut seul que l'on vive, mais ce désir, brutalisé par les circonstances, ne peut s'épanouir que dans le renoncement aux satisfactions terrestres et dans la création d'un songe plus beau qu'elles. » Extrait de l'avant-propos de
Edmond Jaloux 28 mai 1928