UN AGE OÙ…
Il doit y avoir un âge où l’on se pacifie.
Où l’angoisse et le doute ne guident plus
nos pas. Mais peut-être que cela n’arrive pas,
que l’on ne grandit jamais, finalement.
Je me demandais ce qui était le plus dur :
un mot ou une pierre.
Lorsque, sur scène, la parole devient litanique,
que le rythme s’enfièvre, je sens en moi
le reflux du sang, violent, et ce rythme passe
à l’intérieur de mon corps, il me prend,
me remplit, m’assouplit, me malaxe, tambourine
contre ma peau, la parole est ma parole
et sa fièvre est ma fièvre, mes cordes vocales
s’ébranlent et tressautent sur la poussée d’un cri.
Hululement de la chouette.
La langue d’un loup qui lape un filet de sang
sur la carcasse d’un petit mammifère.
Dorsales
Quelle incroyance tout de même
avec la culbute des paupières…
Savoir que tout s'écoule,
le vent comme le sable, et que les doigts même
apprennent à disparaître.
La bouteille débouchée ‒ l'odeur
d'une vieille lettre dont le papier
s'est auréolé d'espérance.
Écrire c'est croire.
Main tendue, paume ouverte
Mon tendre suaire clouté de mots.
On l'accroche au mât ‒ un drapeau.
Tandis que sur des rives opposées,
nous nous adressons des baisers
de noyés, l'ennui m'étouffe.
Manque de salinité. Nos dorsales assoupies.
Les souvenirs sont des pissenlits sans fleur ni racine. Ils ne disent ni la mort ni la vie. Peut-être l'entre-deux - sur le fil.
Ecrire, c'est dompter le rivage, s'engouffrer dans la mer et nager jusqu'à cette ligne qui, là-bas, scintille.
Ophélie Jaësan présente son livre "Iceberg memories" (publié chez Actes Sud)