Ah vous écrivez : émission du 12 août 1977
Au sommaire de ce magazine littéraire de
Bernard PIVOT, trois écrivains:
Jacques BRENNER pour "La rentrée des classes"
Jacques PERRY pour "Les fruits de la
passion"
Geneviève DORMANN pour "
Mickey l'ange"
A la question abrupte que lui posa un jour un ami peintre : « Qui êtes-vous ? », Jacques Perry répondit : « Je suis ouvert et fermé comme une huître ; je filtre, je me nourris d’invisible. Un peu de soleil le matin et, le reste du jour, dans l’ombre tiède de mon bureau. »
La seule chose qu'il faut donner aux enfants, c'est la liberté et les laisser fureter à leur aise.
La lumière toscane ne s'arrête pas, ne se réfléchit pas. Elle traverse, baigne, imprègne, saupoudre. On dirait que chaque particule irradie, que le soleil a éclaté en milliards de soleils sourds.
Ma mémoire est une personne vivante. Elle choisit et rejette sans appel. Je me suis toujours plié à ses volontés et ne lui demande pas d’efforts contre nature.
On « autorisait » le fils d'une femme de peine, d'une Marie-couche-toi-là à pénétrer une fois dans l'intimité de la première famille bourgeoise de la ville. Honneur tellement extraordinaire qu'il ne pouvait être dû qu'à la faiblesse des parents, à leur désir de céder à leur fils pour le délivrer d'un remords ridicule mais mal commode.
l y a un moment où la vie cesse d’être plastique. Je crois que c’est à l’instant où l’on cesse soi-même de l’être. Quand tu suis l’événement, tout va bien. Quand tu veux déranger le cours des choses, te dresser contre, imposer ta volonté, redresser, recommencer, retrouver, tout va mal.
Chalupt m'apprit beaucoup. J'ai mis longtemps à me débarrasser de ses leçons.
Un peu déprimé, je marchais vite, tête baissée, dans une rue noire. Mon crâne heurta violemment quelque chose; j'étendis les bras et ils entourèrent un corps; un corps si agréable à serrer que j'oubliai la douleur fulgurante à la tête. Je demandais pardon, pardon... et serrais. Et la personne ne protestait pas, demeurait parfaitement immobile et silencieuse dans mes bras.
Ils se passent du monde, parce qu’ils n’ont rien à donner au monde. Ils supportent la solitude, parce que la solitude ne les trouble point. Ils sont silencieux, parce qu’ils n’ont rien à dire. Pour eux, la forêt, c’est du bois de chauffage ; l’impétueux torrent, de l’eau pour la lessive de leurs chemises ; le rocher qui surplombe l’abîme, immense et inutile caillou.

* – Papa est ravi ? Pourquoi ?
– Parce que tu es allé dans son bureau et que tu as tripoté ses livres. C’est un homme très sensible. Il a toujours peur que ses enfants ne jugent sa vie sans intérêt. Il est étonné que tu n’aies pas touché aux bouquins érotiques.
– Il a un moyen de s’en apercevoir ?
– Je crois. Est-ce que tu y touches, toi ?
– C’est son espoir. J’ai passé ma vie à attendre de lui un grand amour et lui m’a toujours rêvée lubrique. Alors le pauvre homme bouquine, et moi aussi.
* Nicole CARCÊS se demandait ce qu’elle allait faire de sa liberté. Elle se contempla longuement dans la glace. Elle vit d’abord l’image quelle regardait tous les jours, l’image technique : silhouette, maquillage. Au-delà, s’approchant, elle étudia son visage : les yeux d’Albin, le nez d’Albin mais une structure de visage un peu molle. Pas beaucoup de rides, une peau sans éclat. Coiffure trop sage, un cou sans défaut. Un bon corps fidèle, fabriqué exprès pour ses tailleurs de Chanel. « Qui peut avoir envie de ça ? pensa-t-elle crûment. C’est bien, c’est parfait pour tromper son mari, mais pour un nouvel amour ? Paul m’a déçue jour après jour sans que je puisse lui reprocher autre chose que d’être lui. Je l’aime bien depuis qu’il est parti. Il a choisi. Il accepte d’être ordinaire. Moi, sûrement pas.»
Certaines pensées engagent. Nicole Carcès ne pouvait plus être ordinaire. Pour se le prouver, elle téléphona à ce vieux soupirant que toutes les femmes ont en réserve. Elle lui dit que Paris l’ennuyait et qu’elle aimerait bien faire un petit voyage. « Cela tombe bien, dit le vieux soupirant, je pars pour la Suisse mettre de l’argent à gauche.»-«Zéro éliminatoire », dit Mme Carcès (c’était une expression d’Albin) et elle raccrocha. Mais elle se garda bien de triompher. Maigre victoire remportée sur un mufle. D'ailleurs elle n’aimait pas Genève.
* – Êtes-vous heureux ? demanda-t-il aux Moss-Pulci.
– Nous sommes sereins, dit Moss.
– Vous ne brûlez pas.
– Le feu consume, dit Nicole. Augustin me traite comme une forêt. Il débroussaille, il aère, il conserve mes belles essences.
– Comment va la vie quotidienne ?
– Nous menons une vie d ascètes intelligents, avec quelques débauches. Chaque jour, j’apprends à Nicole un peu de ce que je sais, la peinture, la musique. Nous donnons du grain aux oiseaux ; nous lisons, La nuit nous réunit, Je désapprends la solitude. L’amour n’est plus luxure.
– Il y a un peu de mélancolie dans vos propos.
– C’est ce que j’aime chez Augustin. Sa mélancolie est suave.