Éric Poindron - Comment vivre en poète : questions au lecteur et à celui qui écrit
Je me disparais
Voyageur arlequin
Piéton collin-maillard
Flâneur de chandelles
M'empressant de prendre le temps
À déambuler espiègle en compagnie oisillonne
Flâneur comme les eaux de pluie
Filou filant de toutes les rives
En pas-à pas frémissant et
en écho pas-à-pages
avec l'Apollinaire des petits chemins
« Je me souviens d'une autre année
C'était l'aube d'un jour d'avril
J'ai chanté ma joie bien-aimée »
Tous les poissons sont des poètes
Et par essence astrologique
Tous les poètes sont de drôles de poissons
Il manque une case « Printemps » au jeu de la marelle
Les dimanches soir et de presque hiver
Il faut savoir écrire des pas d'autrefois
de dimanche soir et d'hiver
Comme la neige qui s'approche à petits pas-à-pas de loup blanc
Comme une dictée de Francis Jammes
– Dis-moi, dis-moi, guérirai-je de ce qui est dans mon cœur ?
– Ami, ami, la neige ne guérit pas de sa blancheur.
Rue de L'Hirondelle discrète rue comme une hirondelle
Au Caveau de la Bolée
Verlaine trompe l'ennui
Et les joueurs d'échecs le temps
Il y a des flocons déposés dans les verres tristes et usés
Et des quatrains gravés sur les tables
Échecs et toc
Mac Orlan et les rôdeurs et Carco sont des parages
Baudelaire arrive
Les fers de ses bottines titubent rue Gît-le-Cœur
Sous une image enneigée, le photographe Nicolas Yantchevsky a écrit
« Je n'ai gardé de ton amour que l'amitié d'une hirondelle »
Et l'amitié est à vendre à la salle des ventes
Estimation sur simple demande
De l'autre côté du fleuve
À côté de la vieille boutique du marchand de chemises
Et de cette table en vitrine
où nous riions autrefois
Rue d'Autrefois
Des nostalgiques ont dévissé la plaque de rue
Il neige sur les souvenirs argentiques
Sous la photo blanchi, Nicolas – ou était-ce Jean Cocteau – a écrit
Au porte-mine de rien
« Et lorsque vient le soir ici nos amis morts viennent parfois s'asseoir »
Rue Séguier passe une Aurélia de théâtre fragile comme une porcelaine
Un texte n'est jamais terminé
Le lierre enraye le métronome
Une ombre blanche s'essouffle rue de la Vieille-Lanterne
Et toutes les histoires se passent en 1912
Ne me demandez pas pourquoi
Question d'estimation
– Sur simple demande –
Ou de pas chuchotés
Tiens, une dernière hirondelle
Pour un voyage en poésie,
qu'emporteriez-vous comme mot-valise ?
Extrait 3
La poésie commence toujours
par une citation en forme de nuage.
…
p.9
Écrire sur une pierre trouvée, c'est lui offrir des yeux et le don du regard.
On a vu des poètes écrire sur des galets, et les pierres se mettre à sourire.
Je suis allé dormir sur la plage
J'aurais pu en profiter pour flâner
Ou boire la tasse
Ou la bouteille à l'amer
Pour un voyage en poésie,
qu'emporteriez-vous comme mot-valise ?
Extrait 4
Vivre en poète,
c'est chercher une perle
dans une botte de neige.
Lire des silences et raturer des vides.
p.9
Ce qui m'intéresse et me passionne depuis toujours
ce sont les gens qui se perdent
Les inspirés que l'on ne connaîtra jamais
Qui laissent seulement quelques traces
C'est un peu de moi-même dans ces terrains vagues
Où se déploient lentement
Et sans mon consentement
Les souvenirs de celui que je fus
Quand j'étais enfant,dans la grande maison,je ne croyais pas aux ténèbres. Et pourtant je sentais que ça existait. Les branches des arbres venaient griffer les fenêtres fragiles de ma chambre comme la main d'un spectre...Je me rassurais,faute de mieux. C'était moi qui inventais les histoires.Plus tard...
VIVRE EN POÈTE
par Jérôme Leroy
Vivre en poète
c'est se réveiller toujours au même endroit
toujours à la même heure
même si ce n'est pas le même endroit
même si ce n'est pas la même heure
Pour moi c'est dans une petite maison de Milos
Au moment du matin profond
par une journée de vent dans les arbres
Celle que j'aime dort encore
je suis sur la terrasse dans le calme des coqs
je bois du thé noir
et je lis mon vieil exemplaire à dix francs
des Illuminations.
Vivre en poète
Je ne le répète pas trop mais je suis là
chaque matin
même quand je ne suis pas là.
p.15
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