Un ****, moyenne pondérée de mon dégradé de notation :
** pour l'attente désespérée et exaspérante de
Régis Jauffret d'un idéal de père et de ses plaintes régulières de ce que fut Alfred pour lui, un père absent et lointain.
*** pour l'interprétation romancée de l'interpellation paternelle par la Gestapo marseillaise, reproduite à l'occasion d'un documentaire. Là,
Régis Jauffret s'essaie à l'art de
Patrick Modiano et sa dextérité est moindre
**** pour la description du couple parental (leur relation charnelle et de couple, leur
histoire d'amour, leur enfance) et l'historique familial : des moments extras !
***** pour les somptueuses remarques sur la vie, sur l'écriture, sur l'acte de raconter... Des moments littéraires magistraux qui font de
Régis Jauffret un romancier d'exception, indispensable dans le paysage français, un auteur qui clive par ses écrits -et même ici à l'intérieur de son écrit-, dont une des
Microfictions m'a tellement marquée que son souvenir reste indélébile, des années après !
En repérant quelques secondes d'un reportage sur la Gestapo marseillaise et en reconnaissant son père,
Régis Jauffret profite de cet aparté historique pour évoquer Alfred (son père), Madeleine (sa mère), leur couple, son enfance, leur histoire de famille et leur existence de notables à l'aise mais sans chercher l'enrichissement à tout crin.
Le récit n'est pas linéaire, ponctué de courtes réflexions dialoguées avec ce père qui n'est plus, aimé " au bénéfice du doute ", ce père rêvé, imaginé, espéré et finalement décevant pour
Régis Jauffret (pas décevant pour moi qui chéris les héros du quotidien, les êtres humains de l'ordinaire dont Alfred fait partie : un homme qui se faisait tout petit, dont le handicap de surdité l'a peu à peu éloigné du monde parlant, parce qu'échanger avec d'autres l'obligeait à hurler et à avoir un comportement peu académique, peu acceptable en société ; un homme qui a certainement souffert tout au long de sa vie de cette "différence" parce que mal accompagnée, mais qui par sa poigne, sa volonté et son acuité sur l'humanité, s'est inséré dans la société, a aimé et a été aimé).
Bref, par contrariété, plus
Régis Jauffret râlait sur son père, plus j'aimais ce personnage parce qu'il m'a semblé que l'auteur dans ses petits complaintes a oublié le facteur de la période : il aurait souhaité un père partageur, un père qui transmette ; il a eu le droit à un fantôme, dont l'enveloppe physique était bien présente mais l'esprit ailleurs : mais comment peut-on échanger quand la moindre conversation est douleur ?
Alors oui,
Régis Jauffret avec ces évocations m'a agacée et ce sont là les uniques moments d'agacement car j'ai sinon aimé tout le reste de ce roman : la tentative d'enquête pour comprendre comment ce père si discret a pu se faire coffrer par une milice redoutable, les exceptionnelles réflexions sur l'existence et le travail de romancier, les facéties de l'auteur qui nous laisse nous dépatouiller dans le vrai et le faux, la malice à l'évocation des nombreuses copulations parentales et des tentatives Régis, l'art de raconter Marseille, une époque et sa tribu familiale, sa sincérité tout court.
Et puis, il y a les mots de
Régis Jauffret, quelque chose d'unique et de très beau, quelque chose d'émouvant, qui n'est pas forcé, qui glisse tout seul, profondément juste et implacable, direct et précis : le talent, ni plus ni moins !
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