"Circonscrire le désespoir avec la langue" (Elfried
Jelinek)
« Vous voilà confrontés, chers lecteurs, chères lectrices, à un texte bien singulier. ». prévient Elfried
Jelinek. Nous pénétrons les méandres de son âme, de ses obsessions ; comme tout âme, un magma, mais celle de
Jelinek est pleine de morts.
Dans un paysage autrichien idyllique, les personnages principaux : trois morts.
Edgar Gstranz : espoir du ski, mort au volant de sa voiture : « Maquignon en articles de sport ».
Gudrun Bichler : étudiante qui a mis fin à ses jours : « le sexe d'une femme sourit »
Karin Frenzel : n'appartenant qu'à sa mère, à laquelle elle « obéit au doigt et à l'oeil », morte, elle aussi en voiture : « la dame blanche »
Anciens vivants, ils le redeviennent. Ainsi leur vie, leur mort, forment un écheveau emmêlé qui finit par supprimer toute chronologie.
Jelinek brouille les pistes et il est difficile de déterminer si ces personnages accomplissent des actions nouvelles ou ne font que répéter des bribes de leur existence antérieure.
En toile de fonds, si l'on peut dire, mais en réalité nous baignons dedans, les meurtres de masse des Nazis : assassinat industriel, sa politique qualité et son recyclage des déchets.
Elle tend à rendre palpable cette mort industrielle où l'individualité précisément disparaît. « Ces millions et ces millions d'êtres qui, eux aussi, à l'infini, sont morts, pas un oeil ne les a vus ».
Ceci dans, une oralité recréée, non pas logorrhée, mais un flux de paroles faisant la part belle aux outrances de nature sexuelle, aux obscénités de ses personnages, utilisant le calembour le plus noir.
Y transparait sa haine de l'Autriche où "même morte et enterrée, l'histoire ressort toujours un bras de la tombe », sa haine d'une société « de consuméristes qui se consument », marquée par le culte de l'exploit sportif et Imprégnée de religion catholique, deux « vaches sacrées » de la culture autrichienne.
Elle met surtout à mal le langage, véritable muselière de l'émancipation de l'homme, qui croit être autonome, alors qu'il en est extraordinairement prisonnier. Prisonnier des médias, des stéréotypes de la télé, des magazines féminins, des phrases et des mots appris par dressage.
« Il faut toujours que j'arrache la croûte des plaies pour montrer la viande crue dessous »
La fin: éliminer, nettoyer.
Ce livre sur la mort est tout sauf apaisant.
Quelque fois un peu long mais elle avait tellement de choses à écrire !
Elle se laisse emporter par le flot de ses mots .Elle en jouit, presque.
Quand la musique est lancée, sans véritable notion de chronologie, où est la fin ?
Ne vous arrêtez pas pour chercher la signification des mots : vous pensez les comprendre, tant mieux ! Vous n'avez pas ou mal compris tant pis ! Ça passe ou ça casse !
“Le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l'absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux». A dit l'Académie de Stockholm.
Un chef d'oeuvre, mais, sachez-le, c'est affreux.
Bravo au « traducteur !!!» :
Olivier le Lay.