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Critique de LeScribouillard


En bon nerdo-geek inculte fier d'être ignare dans tous les domaines sur la littérature blanche (excepté ce noble courant qu'est le RRRRÔMANTISME), je ne suis presque pas les parutions de la littérature générale. Ou plutôt si : de loin en loin, je regarde François Busnel du fond du canapé parental. J'aime ce présentateur populaire, et Dieu sait que c'est rare de ma part, mais voilà : toujours attentif, bienveillant et heureux, il ressemble au genre d'intellectuels que j'aimerais devenir le jour où j'en aurais marre de chanter du Gilles Stella sous la douche. Vient donc le jour où je n'ai pas regardé La grande librairie depuis au moins un an, quand ma soeur m'annonce qu'un gars de sa classe va passer dans son concours de lecture à voix haute. Perplexe, je me rends compte que je n'ai rien à faire de ma soirée, ou que je suis trop épuisé par mon stakhanovisme habituel, et je décide de venir.
La lecture à voix haute n'est pas un exercice facile. Prenez Juan Branco : avec sa voix posée dans la version audio de Crépuscule, il est sans doute ce qui se rapproche le plus de la lecture dans ma tête. Pas d'emphase, pas de cris non signalés par la ponctuation, une simple voix calme sans pour autant tomber dans la monotonie. Mais lorsque vous tentez de réciter un texte, vous vous rendez compte que votre voix ne colle pas avec celle dans que vous vous imaginiez, dans le timbre bien sûr, mais aussi dans les intonations. Et quand vous êtes en public, on attend de vous un minimum de spectacle ; dès lors le texte prend une toute autre dimension. L'idée de François Busnel avait ainsi toutes les chances d'aboutir à un concours d'éloquence.
Et pour être éloquent, il faut donc de la fougue. Exit l'actor's studio et place au jeu shakespearien. Je hausse un sourcil et m'avachis un peu plus entre les coussins. Pourquoi pas, après tout ? Au fil de cette première manche, les prestations d'abord juste bonnes s'améliorent, et je passe au final un moment agréable. Quand soudain arrive le candidat de notre lycée, et là les portes s'ouvrent.
Si vous avez eu la chance de fréquenter le lycée Léonard de Vinci (et plus particulièrement la filière l'avant qu'un guignol à lunettes décide de détruire l'Éducation nationale), vous connaissez ce type très particulier d'élève malin, qui a su tirer le meilleur de son établissement chouchouté par Laurent Wauquiez. Il a des notes nettement meilleures que la moyenne, il a des rêves d'artiste, est bien souvent cheveux au vent, dressant de grands projets avec son cercle d'amis et squatte moins souvent que les autres la remise de la salle d'arts plastiques pour y sniffer les pistolets à colle. Ce sont des gens charismatiques qui redonnent foi en la jeunesse, qui ont ce génie vibrant dans l'âme que les circonstances socioculturelles si endémiques ont bien voulu lui offrir. Une admiration se dégage tout naturellement d'eux. On sent qu'ils seront les meilleurs, souvent pas de beaucoup, mais qu'ils ont cette étincelle qui forme les grandes aventures — et pour certains les grandes amitiés.
Je n'ai pas eu la chance de connaître Gaspard, mais qu'importe : « Les rencontres sont toujours décevantes », a dit un jour Deleuze. Oui, qu'importe car il s'élance, tenant déjà dans sa main un très fort atout : un livre de Sylvie Germain. Et là… se fait sentir un souffle. Une sensation comparable aux meilleures déclamations de Feu ! Chatterton, une sorte de transe sacrée élevant l'esprit mais plus encore l'âme. Pendant deux minutes, moi, mon frère, et peut-être même ma soeur habituée à ses répétitions, nous restons là, bluffés.
Alors les jours suivants, peu à peu je commence à lire à voix haute. Ce sont d'abord des philosophes matérialistes, Marx et Engels dont j'entame enfin la bibliographie, et dont pourtant se dégagent désormais des allures épiques ; puis je commence une longue promenade liseuse en poche vers la forêt de Miaune. Un peu d'un feu que je croyais mort en moi refait timidement surface. Alors que je quitte cette montagne touffue, je me perds un moment parmi l'immense campagne écrasée par le soleil qui se dresse autour. Presque aucun habitant, seulement les champs, la marche, et les griffures d'ortie. Je n'ai pas préparé suffisamment d'eau, ni même de nourriture. Je m'assieds sur un rocher dans un petit bois longeant une départementale, et je m'estime suffisamment épuisé pour pouvoir me plonger intensément dans un texte. D'abord, je refuse de lire à nouveau à voix haute. Puis je me rends compte que je ne parviendrai pas autrement à faire sortir l'âme du récit.
En cette fin d'année sortira sur le blog la mini-critique d'un livre que j'ai attendu une décennie pour pouvoir lire, le livre secret des elfes, de Katherine Quenot et (surtout) Civiello. Il y aurait beaucoup de choses à redire, mais j'apprécie profondément l'idée de ces créatures tapies au fond des bois, étranges et fascinées par des humains. Les détenteurs de royaumes infinis cachés dans l'écorce d'un sapin ou derrière la racine d'un chêne. D'autres portes.
Ce jour-là, au milieu d'une forêt comme il y en a tant dans l'Auvergne, sous le soleil d'une Haute-Loire s'ouvrant à l'été, j'ai lu pour les elfes.
Mais qu'est-ce que j'ai lu, exactement ? Une biographie qui n'intéressera pas grand-monde sous nos latitudes. Et ce qui n'intéresse pas m'intéresse. Plus particulièrement quand il s'agit de la vie d'un vagabond. Si vous vous souvenez bien, il y a un an de ça, j'avais posté sur mon blog une série d'articles montrant tout mon intérêt pour la pérégrination. Plus que toute autre chose finalement, dans une musique électronique ou une oeuvre d'Imaginaire (qui constituent l'immense majorité de ce que je poste sur le blog), c'est le voyage que je cherche, l'aventure, quelque chose qui m'arrache pour de bon à mon objectivité d'ordinaire. L'art n'a pas à être entièrement rationnel ; et l'art, dans une certaine mesure, vient également guider nos vies.
John Muir est donc une légende étasunienne, un voyageur et aventurier qui a aussi été scientifique, écrivain et philosophe au passage. Il a sillonné le monde, accompagné des missionnaires, participé aux tout premiers combats écologistes, a refusé de simplement participer à la religion du progrès technique qui trouvait son âge d'or dans le XIXe siècle. Il est en quelque sorte l'anti-John Galt, car il a refusé la gloire et l'enrichissement personnels pour une ouverture aux gens et à la nature, quand bien même le succès se trouvait à portée de main ; il est allé jusqu'à vivre dans l'ascétisme le plus total pour poursuivre ses rêves. Durant ces 350 pages sur liseuse, il s'est révélé un modèle de culture, d'ouverture et de détermination.
Le sujet est donc excellent, mais qu'en est-il du livre ? Alexis Jenni veut rendre au personnage un hommage tout particulier ; plutôt que de prendre un ton universitaire, il va au contraire délibérément se faire le plus subjectif possible et comparer l'existence de son héros avec la sienne, afin de raconter SON John Muir. Mais l'exercice a parfois ses limites : un coup on a de grandes envolées lyriques, un autre ce sont des phrases toutes simples simplement juxtaposées à la Jean-Michel Jarre. La notion d'« animisme chrétien » revient également souvent, quitte à se répéter. Je pourrais également pointer les différentes références à la pop-culture qui paraissent souvent anachroniques ou hors de propos, mais après tout il y en a de nombreuses plus érudites.
Malgré ça, le texte parvient à emporter : par ses descriptions amoureuses de la nature, sa fidélité aux grandes thématiques développées par Muir, ou encore son regret élégiaque d'un temps où le monde était plus sauvage, Alexis Jenni livre un témoignage sincère et poignant, ne s'éternisant jamais et tout à fait accessible. On regrettera juste le prix sur papier (22€ les 200 pages, comme j'ai l'habitude de dire, même Bragelonne nous a pas fait ce coup-là).
Alors qu'en est-il des concours de lecture, au final ? Ils viennent reconnecter le récit à l'oral, établir dans notre société une trêve entre celui-ci et l'écrit tout-puissant. le jeu est parfois grandiloquent, et alors ? Les lecteurs à voix haute sont les bardes des temps modernes. Ils sont ceux qui viennent donner du sens à l'éloquence, cette version de salon de la rhétorique, un sens esthétique, là où celle-ci s'était débarrassée de son versant politique. Nous avons besoin de ces moments entourés de conte et de conteurs, par des lecteurs nous soulevant aussi bien que des auteurs nous emportant. Et pour cela, je remercie aussi bien Alexis Jenni que Gaspard.
Mais nous avons plus encore besoin de nous éloigner de la civilisation, ou du moins de cette civilisation de plus en plus imposante, uniforme et médiocre. Il nous faut chanter à nouveau la nature, communier avec l'être biologique et ses illogismes somptueux. Nous sommes déjà mentalement des machines ; bientôt, à en croire les prophètes transhumanistes, nous en serons physiquement. Retrouvons le goût de l'effort, du dépassement, de la beauté qui nous surprend dans nos moments austères ; car la vie ne retrouve son sens que lorsqu'on danse sur ses limites. Retrouvons, avant tout, nos rêves d'enfants voyageurs, du temps où nous voulions découvrir l'Afrique et l'Amérique du Sud. Cette expérience est possible par le vagabondage ; elle l'est aussi par ce livre. Et pour cela, je remercie aussi bien les elfes que John Muir.
Ce mois de juin aura été très chaotique, mais en tout cas il s'achève en beauté ! J'aurais tout le temps de vous barber avec tous mes nouveaux problèmes à l'occasion ; ce soir, c'est la fête ! le retour des beaux jours s'annonce (et du Nexus VI, du NEXUS VI, flûtin !), avec des projets entre amis, des fêtes qui s'annoncent grandioses, et toujours la rage de faire déferler le Beau chez ces élèves si particuliers du lycée Léonard de Vinci : ceux qui rêvent de toujours plus de culture.
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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