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Critique de kielosa


Pour mon premier livre de Miljenko Jergovic, je commets probablement l'erreur d'opter pour son dernier "Volga, Volga "au lieu de "Buick Riviera", sorti 7 ans plus tôt. Surtout qu'à comparer les caractéristiques de la belle américaine à l'ersatz fabriqué à Nijni Novgerod - de 1932 à 1991 très littérairement appelée Gorki, d'après l'auteur Maxime Gorki - dans la région du bas-Volga, il n'y a pas vraiment le choix, à moins d'être un membre nostalgique de l'ex nomenclature. C'est assurément la photo qu'Actes Sud a mise en couverture de ce monstre à 4 roues qui m'a fais dévier de toute logique.

Je regrette d'avoir découvert cet écrivain si tard : presque 3 décennies après la parution de son premier ouvrage, en 1988, et au bout de 26 livres avant sa Volga. le fait qu'un certain nombre n'existe qu'en croate/bosniaque me console un peu, quoi que 6 ont été bel et bien traduits en français.

À part son oeuvre, il y a l'homme et Miljenko Jergovic est 'un cas' à plus d'un titre.

À commencer par sa ville natale, Sarajevo, où il est né en 1966 et où il ne veut plus vivre depuis l'horrible siège par les Serbes qui a duré 43 longs mois (1992-1995). Qu'il préfère Split ou Zagreb se comprend ne fût-ce que pour éviter le cauchemar des courageux tireurs d'élite serbes, qui, cachés dans la montagne environnante, s'amusaient à canarder les civils locaux qui s'aventuraient dehors pour aller acheter du pain. Les témoignages de cet abominable épisode sont légion. Je me limite à 3 : le très émouvant et authentique témoignage de la très jeune Zlata Filippovic "Le Journal de Zlata" ; le captivant "Mort à Sarajevo", l'histoire d'un 'sniper' relaté par le journaliste-écrivain américain Dan Fesperman, qui se lit comme un bon thriller et de la croate Slavenka Drakulic (célèbre pour son "Je ne suis pas là") "They Would Never Hurt a Fly" (Ils ne feraient pas de mal à une mouche) sur le procès de ces criminels de guerre à La Haye.

Miljenko Jergovic, homme aux idées fortes qu'il n'a pas comme habitude de relativer et encore moins de cacher, est entré en conflit ouvert avec d'autres artistes du Balkan. Notamment le cinéaste Émir Kusturica, sarajévien comme lui et hautement apprécié au Festival de Cannes, où il a obtenu la Palme d'or pour son "Papa est en voyage d'affaires" et celui de la mise en scène pour son merveilleux "Le Temps des Gitans". Dans ses déclarations comme dans ses oeuvres la réalité balkanique est toujours très présente, et il s'offusque aisément pour ce qui'il considère être des déviations politiques ou idéologiques. Tout comme la faiblesse humaine, qui, dans ses yeux, est inacceptable. Que ses critiques lui reprochent d'être pédant et de jouer trop souvent le monsieur-je-sais-tout est le prix à payer pour ses prises de positions parfois radicales. Quoi qu'il en soit, sa grande qualité réside, à mon avis, dans son art de créer une atmosphère ou l'individu est ou se sent marginalisé. Fréquemment il s'agit de croates ou bosniaques à l'étranger. Comme son héros, Hasan, en Oregon aux États-Unis par exemple, qui passe un temps fou à réparer et fignoler son 'oldtimer' de bagnole, ce qui irrite non seulement copieusement ses voisins, mais aussi son épouse qui le met devant l'alternative : elle ou son antiquité.

Autre qualité de notre auteur balkanique : son goût pour l'ironie et l'humour qui sont rarement absents dans ses ouvrages. Humour parfois cynique, parfois même grotesque comme dans les tableaux de Jérôme Bosch, mais qui bizarrement contribue à alléger cette atmosphère si importante pour lui. Bref, un humour proche de la mystification, un ingrédient cher à 2 prix Nobel : le péruvien Mario Vargas Llosa dans son "Pantaléon et les visiteuses" et l'auteur turc Orhan Pamuk dans son chef-d'oeuvre "Neige" de 2002, pour ne citer que ces deux.

Dans son pays, Jergovic a raflé pratiquement tous les prix littéraires existants, mais aussi dans d'autres pays ses qualités littéraires et autres ont été reconnues. Ainsi, tels Svetlana Alexievitch, Henning Mankell et Tahar Ben Jelloun, il a reçu, en 1995, le Erich-Maria-Remarque Prix de la Paix à Osnabrück en Allemagne pour son ouvrage "Le jardinier de Sarajevo".

Je vous invite donc à prendre place à côté de Dželal Pljevlak à bord de sa Volga, lorsqu'il couvre les presque 100 km de Split sur la côte dalmatienne à Livno dans les Alpes dinariques pour sa visite hebdomadaire à la grande mosquée. Ces 2 heures de route sont l'occasion pour l'héros de ce roman de commémorer des épisodes de l'histoire mouvementée de cette partie du globe, tout en passant d'autres, étrangement, un brin trop en vitesse ou sous silence. Comme quoi si la guerre détruit tout sauf les souvenirs, ce n'est apparemment pas le cas de tous les souvenirs !
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