Cette ingérence des nazis dans le programme du Festspiele est inadmissible. Révoltante. Faire du festival un vulgaire outil de propagande, un amusement troupier, c’est un comble. Prendre Mozart en otage. L’avilir ainsi. N’y a-t-il donc personne pour empêcher un tel outrage ?
Curieusement, Karajan sera absent du Festspiele. Un grand concert à Berlin, m’a dit Hans. Karajan est le protégé de Hitler, après tout. Pas des gauleiters autrichiens.
Lundi 25 septembre 1939
Freud est mort avant-hier. Euthanasie. Il avait un cancer de la bouche. Les cigares... Trois doses de morphine et tout était fini. Ça donne à réfléchir. Il a quitté l'Autriche "in extremis", en 1938. J'y ai songé aussi.
Mais enfin, Le Bourgeois gentilhomme ? […] Ce rustre qui se dandine avec des mimiques de grand seigneur, ce Monsieur Jourdain, imbu de lui-même, qui vocifère bien haut pour se donner des airs de tribun, n’est-ce pas un peu Hitler ?
Le génie musical, c’est le souffle qui traverse La Flûte enchantée avant même qu’elle n’émette un seul son. L’attente qui précède l’entente. C’est le geste, l’attitude, l’émotion. Rien à voir avec les notes.
Le gauleiter lui a demandé de choisir personnellement deux trois morceaux pour la fanfare militaire du district, en vue d'un événement de la plus haute importance. Il n'en sait pas plus. Je lui ai suggéré quelques œuvres où les percussions dominent clairement et pour lesquelles le reste de l'interprétation n'exige pas de grande virtuosité, juste du rythme. Il ne les a pas trouvées assez solennelles. Trop faciles. A vrai dire, il ignore de quel genre de cérémonie il s'agit. C'est un secret. Le gauleiter lui a juste laissé entendre que des personnages très éminents y assisteront. Peut-être même le Führer. Une simple marche d'escadron ne suffit pas. Du Wagner, alors ?
Nous sommes tous esclaves des mots.
A quel clan se rattachent les tuberculeux ? Quelle idéologie ? Les grands malades forment aussi une caste. Très égalitaire. Mais de quel bord sont-ils ? Ont-ils seulement un programme ?
Je suis autrichien de confession phtisique. Et fier de l’être... p 131
Au début, ça a été dur, très dur. Ça l’est encore. Un apprentissage de chaque instant, un combat au corps à corps. Mon corps. Car je lutte contre elle sans cesse, la maladie. Je ne la subis pas. Le problème c’est qu’elle n’a pas de visage, pas de nom. Pas même celui de Tuberculose. C’est pourtant avec elle que je vis, jour après jour. Et que je me bats. Sans casque ni fusil. C’est un ennemi de taille, elle. Pas un dictateur d’opérette.
Jeudi 11 avril 1940
Visite de Hans. En pleins préparatifs du "Festspiele". Il a encore besoin d'un coup de main, pour la partie rédactionnelle. Les nouveaux officiers du service culturel sont pires que les anciens. Eux étaient des brutes ignares.Ceux-ci se croient raffinés. Avec leurs gants noirs et leur rasage de près.
Le prochain festival a des odeurs de cabaret à soldats. Hans est dépité. Il a mauvaise mine. Lui aussi se fournit au marché noir. Les épiceries sont vides. Il faut des tickets.
J'ai accepté. Pas pour Hans. Mais pour sauver Mozart, malgré tout.