Oui, j'ai obtenu et goûté à tout ce qu'une petite fille pouvait rêver d'avoir, mais je ne ressentais pas la moelle de la vie, je ne possédais pas l'essentiel : la raison d'être.
Chaque personne devrait avoir le droit de mourir dignement. Quel que soit le mal dont elle souffre, invisible ou pas
Du reste, il a raison, j’ai eu l’enfance qu’il soupçonne : idéale au yeux des hommes. De l’amour, de la tendresse, des jeux… Mais le vide en moi s’étirait chaque jour davantage. J’étais comme étrangère à ce monde, à ce qui m’entourait, perdue quelque part, cachée dans un corps qui ne me semblait pas être le mien. Aux questions innocentes sur l’existence, sont venues se greffer de véritables réflexions. Pourquoi étais-je née, à quoi servais-je? Quel était le but de la vie si tout avait une fin? Se lever, manger, travailler, dormir, cent fois, mille fois, dix mille fois, et mourir un jour. A quoi bon? Il m’arrivait d’espérer que la terre disparaisse. Qu’il ne reste plus rien. Parce que je n’étais rien. Je détestais vivre.
Je n'en pouvais plus de me battre contre quelque chose que je savais impossible à vaincre.
Mais jamais je ne perds de vue le but ultime. La liberté. J’avance vers elle, déterminée.
Être libre de mourir comme on le souhaite, c’est aussi être libre de vivre comme on l’entend.
Tout le temps où Jonathan et moi étions ensemble, j’avais presque oublié combien je me détestais, combien mon corps était lourd à supporter, combien il m’était difficile de l’accepter. Ce jour-là, je me suis effondrée intérieurement, quelque chose s’est brisé, une pièce essentielle de mon subconscient qui ne pourrait plus jamais être réparée : l’espoir de me sentir mieux un jour, celui où j’admettrais avoir le droit d’être telle que j’étais. Dès lors, j’ai su que je fonçais droit dans le mur. Ma résilience était à zéro, mes démons ont repris leur place, et je me suis jetée sur la nourriture pour essayer d’oublier jusqu’à mon existence. Je suis entrée dans un cercle infernal dans lequel je mangeais puis vomissais pour m’empiffrer toujours plus. Je n’avais plus aucune limite. Mon corps était devenu un sac qu’il me fallait remplir, une poche que je ne pouvais laisser vide de peur d’y découvrir qui j’étais à l’intérieur : une erreur de la nature. Une anomalie. Mes parents ne se doutaient pas un seul instant de ce que je vivais. J’avais honte. Je me cachais pour me goinfrer, je m’arrachais les cheveux, je pleurais des heures entières, sur mon sort, sur ma vie, sur mes échecs. Je me haïssais.
– Aimeriez-vous être heureuse, Camille ?
Je n’ai pas besoin de beaucoup réfléchir pour répondre à cette question.
– Je l’ai longtemps désiré. Plus maintenant.
– Pourquoi ?
Les mots fusent.
– Parce que le bonheur m’empêcherait de mourir.
Je sens ses doigts sur mon bras qui se contractent. Je poursuis :
– Il m’obligerait à résister et je ne veux plus me battre. Je n’en ai plus la force.
- Vous êtes injuste.
- La vie est injuste.
... et j'avais enfin compris qu'il était temps de me prendre en main, qu'inverser la vapeur ne dépendait que de moi, car alourdi par la mesestime de soi, l'humain ralentit. Les doutes le font stagner. La peur, reculer.