« Être libre de mourir comme on le souhaite, c’est aussi être libre de vivre comme on l’entend. »
J'ai choisi de mettre fin à mes jours, certes, rien d'autre n'a vraiment d'importance - c'est du moins ce que penseraient la plupart des gens -, mais être libre de mourir comme on le souhaite, c'est aussi être libre de vivre comme on l'entend.
Oserais-tu prétendre ressentir ce que je ressens ? Vivre ce que je vis ? Me battre comme je me bats et souffrir comme je souffre ? Il s'agit de ma vie, pas de la tienne ! Je t'interdis de me juger, car tu n'as aucune idée de tout ce par quoi je suis passée pour en arriver là. Je vis un enfer depuis des années, je me mutile, je me blesse, je me fais saigner pour oublier à quel point chaque seconde de cette misérable existence est une lutte. Tu vois l'euthanasie comme une faiblesse ? Tu te trompes, ce sera ma délivrance !
« Je refusais de grossir sans même en prendre conscience, mais avec le recul, je crois que je pensais que plus j’étais maigre, et moins on me voyait. »
Ma mère et moi nous regardons dans le fond des yeux, et il se passe quelque chose. Nous y puisons cette certitude qui n'existe qu'entre une mère et son enfant, celle qu'à un moment de leur vie, ils n'ont fait qu'un, que le souffle de l'un était celui de l'autre, que le coeur du premier distillait la vie dans les veines du second.
Au contraire, Camille, j’aurais énormément de choses à dire à votre sujet que la morale de votre famille réprouverait. A propos de votre physique, d’abords, que vous semblez avoir tant de mal a apprécier. Je devine, à travers votre jean, la plus jolie paire de fesse que je n’ai jamais vue. Vous avez des cheveux magnifiques, de grands yeux qui n’ont besoin d’aucun fard pour exprimer la fièvre qui dort en vous. Vos lèvre me font naître des envies inavouables, à commencer par celle de vous les mordre à pleines dents. Glisser les mains le long de votre corps frêle, respirer l’odeur sans artifices de votre peau, goûter votre sueur, entendre vos gémissement. J’aimerais exprimer tout ça. Dans un autre contexte, une autre histoire, c’est ce que je dirais de vous, de ce que je ressens à votre contact. Mais je ne peux pas. Ce n’est pas le genre de choses qu’on peut dire, n’est-ce pas ? Pas lorsqu’on est médecin, qu’on prend soin de vous, qu’on veille à votre vie pour mieux vous amener à la mort et qu’on a le devoir d’imposer une distance qu’il est de plus en plus difficile à maintenir. Vous m’avez happé, parce que vous êtes une femme sensible, touchante, discrète, paradoxalement nerveuse et effrontée, dotée d’un courage et d’une détermination que le plus fort d’entre nous ne pourrait affronter. Mais même ça, vous serez la seule à l’entendre, Camille. Vous devrez vous en contenter.
- ce mal qui vous ronge, est ce que....est-ce que........?
Pardon ! s'interrompt-elle. Vous ne voulez certainement pas en parler.
Je pose mes couverts avec un soin presque religieux et lève la tête vers elle.
- Je veux bien en parler avec vous.
Elle me sert un sourire gêné.
- Je suis en désaccord avec la vie depuis que je suis toute petite. Je n'ai jamais compris le sens de mon existence, bien que mes parents m'aient offert tout ce dont j'avais besoin pour vivre heureuse. Ils étaient aimants et généreux.
Elle me regarde avec une bienveillance désarmante.
- Comment l'expliquez- vous ?
- Je ne l'explique pas. J'ai mis des années avant d'admettre que cet état de fait ne changerait jamais et que personne ne serait en mesure de définir ce mal-être qui me meurtrit jusque dans ma chair.
- J'imagine que vous avez rencontré de nombreux spécialistes
- Plus qu'il en faut.
Je soupire en repensant àn tout ce par quoi je suis passée.
- Je ne suis pas psychotique, je n'invente rien de ce que je vis et ressens.
Brigitte pose une main chaude sur mon avant-bras
- je n'en doute pas un seul instant.
- depuis des années, l'angoisse et la douleur me plongent dans l'autodestruction. Ça n'a jamais de fin.
Alourdi par la mésestime de soi, l'humain ralentit. Les doutes le font stagner. La peur, reculer.
Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l'illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable.
Sachez que je vous ai aimé, et que depuis vous, la nuit est devenue jour.