Je n'en pouvais plus de me battre contre quelque chose que je savais impossible à vaincre.
Alourdi par la mésestime de soi, l'humain ralentit. Les doutes le font stagner. La peur, reculer.
Le problème, c'était moi, mon enveloppe charnelle et tout le mal que j'en pensais. Tous les encouragements du monde n'auraient pas suffi à me faire changer d'avis. Alors, j'ai continué à grandir avec ce malaise, cette dépréciation, cette obsession.
« Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l’illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable. » p.115
« Alourdi par la mésestime de soi, l’humain ralentit. Les doutes le font stagner. La peur reculer. Je devais avancer au risque de pourrir de l’intérieur. » p.13
- Une femme dotée d'un courage et d'une détermination exceptionnels, répète-t-il, mais cette obstination, Dieu que je l'admire et la hais.
- Chaque personne devrait avoir le droit de mourir dignement. Quel que soit le mal dont elle souffre, invisible ou pas. Je suis une mère et j'ai perdu mon unique enfant. Si aujourd'hui, c'était à refaire, je n'attendrais pas pour offrir à Rose la libération.
Elle se dégage et enveloppe mon visage dans ses paumes.
- Camille... Je ne connais pas ta souffrance ni ce qui te ronge et te brûle au point de vouloir en finir, mais ne laisse jamais personne décider à ta place. Jamais. Même pas par amour.
- Aimeriez-vous être heureuse, Camille ?
Je n'ai pas besoin de beaucoup réfléchir pour répondre à cette question.
- Je l'ai longtemps désiré. Plus maintenant.
- Pourquoi ?
Les mots fusent.
- Parce que le bonheur m'empêcherait de mourir.
Je sens ses doigts sur mon bras qui se contractent. Je poursuis :
- Il m'obligerait à résister et je ne veux plus me battre. Je n'en ai plus la force.
Hébétée par ce qui m'arrivait, sans trop réfléchir, j'ai accepté le contrat moral que les médecins m'ont imposé. Plus je grossissais, et plus j'accédais à des avantages, à leur vision de la liberté. [...] On me conseillait de ne pas me focaliser sur mon poids, mais on me mettait une carotte sous le nez en me menaçant de ne pas avoir droit de la manger si je ne grossissais pas. Aujourd'hui encore, je digère mal le paradoxe.
L'isolement m'anéantissait. Je ne voyais pas en quoi être emprisonnée m'aiderait. Je me sentais agressée dans mon corps et dans mon esprit. Je me braquais, je refusais de coopérer. On me demandait de m'ouvrir aux médecins, de me libérer de mes démons, mais en réalité, on m'enfermait. Pas de télé, pas de radio. On me disait d'avoir confiance, d'être positive, d'envisager le meilleur, mais je n'avais pas le droit de boire sans autorisation, il y avait des barreaux blancs aux fenêtres, des grilles au fond des lavabos pour s'assurer que les patients ne se feraient pas vomir, des sangles aux quatre coins du lit. On m'attachait la nuit si je me rebellais trop, on me mettait sous perfusion et me shootait aux sédatifs. Je ne pouvais pas me laver seule, répondre à mes besoins les plus intimes sans demander la permission, il n'y avait pas de toilettes dans ma chambre. Parfois, je devais me contenter d'un seau.
- Vous êtes injuste.
- La vie est injuste.