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Critique de Lapkast


Une tragédie noire d'encre, belle à en pleurer.


Il fallait pourtant s'y attendre de la part de Béatrice Duval. Celle par qui décidément le succès et les grands auteurs, français ou étrangers, de demain arrivent. Après, et pour ne citer qu'eux, le suédois Jonas Jonasson et « le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire », ou encore l'anglaise Elizabeth Haynes avec « Écumes de sang » et le best-seller « Comme ton ombre », l'une des premières idées qu'elle semble avoir eue, une fois directrice des prestigieuses éditions Denoël, fut immédiatement de relancer sa non moins prestigieuse et "cultissime" collection Sueurs froides. Et d'emblée, elle aura cogné fort, très fort.

Voici ce qu'on appelle un tour de force : avec seulement deux titres parus en janvier dernier, c'est ainsi toute une ligne éditoriale fort prometteuse qu'elle aura réussi à relancer. Tout d'abord, le déjà gros succès du thriller « Des noeuds d'acier », premier roman en forme de huis-clos de Sandrine Collette, toute nouvelle voix là aussi déjà très remarquée du polar français .
Mais également, et de manière subtile, à la fois parallèle et extrêmement discrète, un véritable petit chef d'oeuvre du roman noir américain, exhumé des tiroirs pourtant débordants de nouveautés de l'édition internationale, et qui, on n'y comprend décidément rien, n'avait semble-t-il jusque là jamais trouvé d'acquéreur en France...

Il s'agit bien évidemment de ce formidable premier roman de Matthew F. Jones, « Une semaine en enfer ».

Que ce soit le titre, en VO ( « A single shot » ) ou en français, Jones aura alors, dès 1996, dévoilé toute l'ampleur de son talent. Un peu à la manière aujourd'hui d'un Donald Ray Pollock ( « Knockemstiff » ou « le Diable, tout le temps » ), d'un Frank Bill ( « Chiennes de vies » ) ou d'un Kevin Powers ( «Yellow birds »), et mis à part que les deux premiers auront débuté par un recueil de nouvelles.

Car contrairement à ce que pourrait faire penser la "fameuse" accroche de quatrième de couverture, « Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance ? », ce pur diamant noir est, lui aussi, d'une beauté à couper le souffle.

Rien à voir donc ici avec les innombrables autres "losers" qui, depuis, ont peuplé la production de romans en tous genres. Non, John Moon, lui, est tout simplement un type, un pauvre type comme vous et moi.

D'emblée avec ce roman, on ne peut s'empêcher de penser aussi à David Vann par exemple, et notamment avec son déjà culte « Sukkwan Island ». Car John Moon, dont le début de vie en tant qu'adulte avait alors toujours reposé sur son son père, a désormais tout perdu.

Ainsi, il vivote maintenant au jour le jour grâce au braconnage, vit dans une pauvre caravane accrochée au maigre lopin de terre qui lui reste de son paternel; celle-ci ayant été vendue il y a déjà fort longtemps à un banquier du coin, assoiffé, lui, par sa condition de jeune "redneck" américain, qui était alors venu réclamer au père de Moon l'argent que sa banque lui avait prêté. Ruiné, acculé, celui-ci n'avait pu que vendre à regrets cette terre, celle qui les avait toujours nourri, lui et sa famille, lui et son gosse, John.

C'est pourquoi, aujourd'hui, John Moon non seulement vit dans ces conditions misérables au sein d'un paysage pourtant magnifique, et avec un voisin qui lui propose même un job pour au moins tenter de se "fixer" durablement, mais il doit également subir le départ de sa femme. Laquelle est partie se réfugier dans un petit appartement, vivotant grâce à un job de serveuse dans le snack du coin, mais emmenant avec elle la prunelle des yeux de John : son fils.

Malgré cela, John survit. C'est un battant, et s'il parvient à survivre, c'est avant tout parce qu'il vit au jour le jour, certes, mais aussi parce qu'il a des valeurs, des valeurs d'homme.

Il ne baisse jamais les bras, même aux pires moments, même lorsqu'il ne semble y avoir plus aucun espoir. Car si tout le monde voit en John Moon un loser, tous se trompent. Lui a un fils et y tient plus que tout au monde. Il ferait tout, n'importe quoi, pour que celui-ci ne manque jamais de l'appui de son père.
Tout comme John, mis à part que lui, plus jeune, a pu voir le sien mourir à petits feux des suites d'une grave maladie, laquelle aura non seulement emporté son père, mais l'aura aussi privé de tout futur possible, et même, visiblement, de tout bonheur possible.

Alors ce matin-là, lorsque John part braconner un cerf qui le nargue maintenant depuis des jours, représentant la viande, malheureusement chère, dont son fils a besoin pour bien se nourrir et ainsi ne manquer de rien, tout bascule. La pauvre petite vie minable de John trébuche.

Car dès lors qu'il tire par mégarde sur cette fille, croyant enfin abattre ce cerf qu'il pourchasse depuis des heures, il se rend compte, petit à petit, que c'est bel et bien une vie qu'il vient d'ôter. La vie d'une toute jeune ado qui, malgré peut-être ses difficultés à elle aussi, aurait pu grandir, mûrir, devenir une jeune femme séduisante, une mère. Et une femme aussi. Peut-être pas celle de son fils, ni même la sienne, puisqu'il compte bien tout faire pour tenter d'annuler son propre divorce, mais John comprend très vite qu'il vient de commettre l'irréparable. Par erreur. Une simple, une seule erreur.
Mais qui risque bien de l'entraîner, en à peine quelques jours, et s'il ne se bat pas de toutes ses forces, en prison.
Là où plus jamais il ne pourra voir son fils. Là où plus jamais son ex-femme ne voudra ne serait-ce que lui rendre visite.
La prison, l'enfer.

Je ne suis certainement pas prêt d'oublier John Moon, ni d'ailleurs ce magnifique mais terriblement sombre roman. D'une beauté fraîche et éclatante, tout comme la nature environnante, personnage à part entière de ce roman noir typiquement américain, dans la pure veine de ce qu'on appelle aujourd'hui le « nature writing », ce premier coup d'éclat de Matthew F. Jones donne terriblement envie de pouvoir lire un jour ce qu'il a écrit par la suite - c'est-à-dire depuis maintenant près de dix-sept ans...

Mais dans tous les cas, on ne peut être surpris d'apprendre qu'il est déjà en cours d'adaptation pour le cinéma.
Espérons seulement que le metteur en scène et que la production suivent. Non pas forcément pour en faire un « blockbuster », mais au moins pour que toute la beauté et le lyrisme de l'écriture impressionniste de Jones puisse être retranscrite, ainsi que la simplicité, le courage et la force mêlés de ses personnages.
Et pour leur destin ô combien tragique, aussi, pour la plupart.

Sans même compter cette macabre atmosphère de putréfaction qui se développe au fur et à mesure que ce noir récit se déroule, implacablement.

Un mélange à la fois fort, puissant, entêtant, dérangeant même, et si parfaitement rendu par l'extraordinaire vivacité de la nature, remarquable décor qu'arrive étonnamment bien à dépeindre Matthew F. Jones, et où chaque fleur, chaque plante, chaque arbre, chaque animal ou insecte est nommé très précisément par l'auteur.

Si « Une semaine en enfer » n'est peut-être pas le roman noir le plus abordable - en tout cas au premier abord - pour certains lecteurs, qui risqueraient alors de passer notamment à côté de son caractère à la fois venimeux et pourtant terriblement moral, on ne peut tout de même que se féliciter que ce petit chef d'oeuvre du Noir américain - pourtant pas si vieux ! - ait pu enfin trouver un éditeur courageux en France pour le publier dix-sept ans après sa sortie outre-Atlantique... Mais, mieux tard que jamais !

Car non seulement cet éditeur, qui est une éditrice, l'aura extirpé d'on ne sait où il était resté enfoui jusque là, mais aussi, parce qu'elle lui aura trouvé quand même, et malgré l'avalanche incessante de nouveautés qui inondent chaque semaine les rayons des libraires, une petite place dans une décidément grande collection, elle aussi ressuscitée, et dont tout amateur de littérature policière, quelque soient ses fascinantes variantes, devra désormais surveiller de près chaque nouvelle publication...

C'est pourquoi je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement à la fois Babelio et Denoël pour m'avoir permis de découvrir ce petit bijou de littérature noire. Mais aussi, avec évidemment une pensée tout particulière pour Béatrice Duval, qui décidément, une nouvelle fois, aura fait preuve de talent, de courage éditorial et bien sûr de goûts littéraires certains !

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Lien : http://norbertlaidet.blogspo..
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