Anabel, jeune fille un peu triste et plutôt solitaire depuis la disparition de Marc, son compagnon d'infortune, mort pendant une cavale, vivote, depuis sa sortie de prison en travaillant dans une boutique de piercing en tous genres. Tous les jours, elle rencontre M. Jacob, spécialisé dans les pompes funèbres et la mort en général. Ils sympathisent et Anabel devient vite une employée émérite de M. Jacob. Parallèlement, Ruderi sort de Centrale (la prison) après quarante années de détention, vieillard rabougri qui ne semble plus attendre grand-chose de la vie sans famille et sans repères dans le monde contemporain. La victime de celui-ci, torturée alors qu'elle n'était qu'une petite fille vit encore et a décidé une fois pour toute de se venger.
Sur ces deux histoires montées en parallèle, Jonquet établit des connections de plus en plus étranges entremêlant les thèmes éternels du temps qui passe et du souvenir qui s'efface (comme la photo de Marc chez Anabel s'estompe avec son souvenir et son chagrin), de la mort fascinante (M. Jacob est un véritable érudit en ce domaine) et convoque tout à la fois la biologie (conservation des cadavres, vie quasi-éternelle du tardigrade...) et de la sociologie : comment réagit un être humain enfermé depuis quarante ans? Au départ, le narrateur sème quelques indices : la description de M. Jacob est en tous points la même que celle de Ruderi : mêmes phrases, même style, mêmes mots recherchés " mâchoire prognathe". On croit lire un polar et on glisse doucement dans le fantastique en passant par Kafka.
Si l'on peut déplorer çà et là quelques phrases un peu faciles proches du cliché :
« le jour où, pour la première fois, l'on se met à parler de sa jeunesse en utilisant l'imparfait, on ressent un curieux malaise. »
d'autres passages tendent franchement vers le comique. Ainsi parlant des portraits robots, alors qu'on utilise aujourd'hui largement l'informatique : « Dans les années 60, c'était bien pire! On devait faire appel à un gendarme ayant obtenu un premier prix de dessin au certificat d'études pour réaliser ce genre de prouesse. »
Reste un roman intéressant tant l'auteur s'est documenté et fait montre d'une culture communicative : j'ai dû en effet replonger dans un article de
TIME Magazine qui parlait de l'artiste allemand von Hagens et de sa méthode de "plastination". Fascinant.