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Citations sur Un chant dans l'épaisseur du temps (60)

La nuit…



La nuit, on se connaît par la voix, par la respiration,
par une noire tendresse des bras ;
on se connaît lentement,
comme si on ne s’était jamais rencontré,
ni échangé les mots étranges d’un adieu ;
on se connaît par le désespoir de l’ignorance,
qui aux uns et aux autres dérobe le sentiment,
les laissant livrés à la sécheresse d’un reflet.

/Traduction Michel Chandeigne
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CAMONIENNE



Qui es-tu, barbara, qui demeures
dans un poème que l’on étudie et récite
dans les écoles,
— toi qui t’es limitée à être aimée
d’un poète qui, peut-être, ne t’a
rien donné d’autre en échange de cet amour
qu’un poème que toi, peut-être,
tu n’as jamais entendu? Qui es-tu,
ô femme plus réelle que ce
poète qui t’a chantée, et dont nul ne
sait rien — si ce n’est
qu’il t’a aimée, et mise dans
ce poème où tu vis encore, et respires,
comme au jour où il l’a écrit,
se rappelant ton corps, et tes
lèvres, et les jours, ou les nuits,
qu’il passa près de toi? Qui es-tu,
femme réelle et rêvée qui habites
tous les poèmes que ce poème
a inspirés, et tous les rêves qui
ont trouvé en cette barbara une image
précise et définitive ? Retourne-toi,
dans ces vers, pour que nous voyions
ton visage, et dis-nous ton nom — ton nom
authentique, et non pas celui que le poète
a inventé pour t’appeler dans un poème
qui ne garde le secret que de toi seule ;
et ensuite, dors, oublie
ce que l’on a dit de toi, et les commentaires
dont tu as été le prétexte, et les images
où chaque fois davantage, tu as perdu
cette image unique, la tienne.

/Traduction Michel Chandeigne
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ÉPITAPHE



Ils moururent de l’épidémie, les meilleurs : les uns,
la peste les emporta ; d’autres, la grippe que l’on
appela espagnole ; et il y eut ceux de la
danse de Saint-Guy ; ceux de la lèpre, ceux de la
phtisie, galopante ou non. Et cela, quand
ils ne se tiraient pas un coup de feu dans la tête, ne se
pendaient pas à un réverbère, ne se jetaient pas
dans le fleuve. Il y eut encore ceux qui cessèrent
d’écrire ; ceux qui burent jusqu’à perdre
la raison ; ceux qui, purement et simplement,
renoncèrent sans explication. Comme si
la vie dépendait de si peu —
des lignes griffonnées sur du papier brouillon,
des phrases qui pouvaient rimer ou non,
des pensées… qu’ils auraient pu
garder pour eux-mêmes. Cependant,
quand je les lis, je comprends leur
désespoir. La beauté n’apparaît pas
tous les jours aux yeux d’un homme ;
la perfection ne paraît pas toujours
une chose de ce monde. Oui :
je monte les escaliers jusqu’en haut,
d’où l’on voit la ville, bien que
le temps soit à la tempête. Que
se passe-t-il, en cet instant, sous
ces toits ? Quelle épidémie, plus
subtile, saisit au sol ceux qui,
naguère encore, rêvaient de s’envoler ?

/Traduction Michel Chandeigne
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Marée

Je parcours les mers aux rivages
de papier ; dans les détroits couverts de brume,
je plie les dernières tempêtes de la mémoire. Je franchis
cet horizon fermé comme les yeux d’Adamastor,
déchirant la peau des tropiques jusqu’à trouver
le sang de la terre. Je me laisse porter par la lenteur
des rythmes, par la houle nonchalante des voyelles,
perdu dans l’immensité de la phrase.

Je reviens au poème. Je m’abrite sous d’infinies
strophes obscures ; je me heurte aux vers, ballotté
de tous cotés ; puis j’arrive dans ce couloir
où tu m’as attendu, et je vois ton image
se refléter encore sur le mur des mots, avec
l’écho lumineux qui naît de ton visage. « Viens
avec moi », je te dis, « trouver ce port où les bateaux
reviennent de leurs voyages silencieux, où des êtres
dépourvus d’yeux nous attendent qui nous offriront
leur abri de pierre ».

Là-haut, sur le sommet des dunes, j’ai dessiné
une plage aux contours de tes lèvres,
le bruissement d’ailes qui traverse tes yeux
en un battement de paupières, et la marée montante
déferlant son drap d’écume blanche.
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Robe d’absence

Si je pouvais commander aux images, une seule
existerait, celle de ton profil, et à travers lui,
ce que je touche dans l’absolue solitude de l’être ;
et si je ne le pouvais, dans leur néant je trouverais
encore le souvenir que tu as laissé en moi, la courbe
parfaite de ton sein qui éclot, soudain, et
rayonne dans le sombre de la nuit ;
et s’il n’y avait, en cet unique centre, point d’éclat,
dans son obscurité même, ton absence ôterait le vide
de la mémoire, pour le remplir de ce qui, un instant,
troubla ta quiétude et aussitôt s’enfuit
en un vol d’oiseau que je poursuis.
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Égloge blanche

(…)
Alors j’ouvre la fenêtre de la nuit. Je compte
les fils de chaque point lumineux, dans le ciel, comme si
je touchais les cheveux où brillent encore
les murmures de l’après-midi, et je sens une soudaine
inquiétude, lorsqu’un bruit d’ombre
s’immisce entre les amants. Quel
lieu plus retiré accueillera leur étreinte ? Ou
quel écho solitaire atteindra soudain la plénitude
de leurs voix ? Je collectionne le rythme de ces
cœurs dans la musique que je dérobe à leurs poitrines
accordées. Puis, j’allume des couchants, j’éclaircis
des pénombres, je fais en sorte que le coursier de la folie
dévale la colline de la passion, foulant de ses sabots
les gradins de son art. Et
je répète leurs gestes, sous un compendium
d’arbres, apprenant le chant
des feuillages dans un bruissement d’horizon,
afin que jamais plus ne se perde la racine
de l’amour planté en cette terre,

rosier éphémère dans un rêve d’arbre.
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L’arrivée de l’amour

L’amour est arrivé, il a débarqué sur le quai
où personne ne l’attendait, et il a fait
trembler toute la ville, comme si
l’amour l’avait touchée.

Mais quelqu’un l’a vu sortit
du bateau, et l’a conduit jusqu’à la file d’attente
de la douane, où on lui a demandé : « d’où
venez-vous ? Qu’est-ce que vous apportez
avec vous ? Montrez-nous
votre passeport. » L’amour n’a pas compris
ce qu’on lui demandait; il a posé l’arc sur
la table, et avec lui les flèches.

Tout a été confisqué : on ne veut pas d’agressions
dans cette ville; les armes blanches sont
interdites. Et l’amour, sans passeport, est resté sur le quai,
entre les poubelles et les vagabonds,
désœuvré.

Et la nuit, quand la ville
s’endort, tout le monde se demande
quand l’amour viendra
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La recherche de l’absolu

La recherche de l’absolu, la conquête de la beauté,
la rencontre de l’immatériel, etc., tout faisait partie
d’un projet initié à l’aube. Cependant,
les premiers rayons du soleil, et la possibilité
de contempler cet instant où l’astre
émerge de la mer et s’empare du cercle céleste,
produisent un brouillard qui obscurcit
l’imagination, l’empêchant de quitter l’intérieur
de l’esprit pour se diriger vers le centre du papier, où
les mots porteraient le reflet
de ce projet élaboré durant la nuit.
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Saudade

Je t’attends au bout du monde
ou à son commencement,
tandis que les semences sèchent au soleil
qui ne se lève pas
et que les mots se perdent dans un vers
sans poids ni mesure.

Tu es celle qui ne vient pas :
promesse de l’amour qui emplit
les miroirs, éclat
des ténèbres qui obscurcit
le cristal.

Et quand je regarde par la fenêtre,
comme si tu venais du bout de la rue,
seul le soir s’esquive au coin du trottoir
qui t’a vu partir
avec les yeux humides du matin nu.

Ombre, cendres et ruine
viennent à chaque printemps ; mais toi
tu reviens seulement de je ne sais où,
alors que je n’attends pas
et là où je ne suis plus.
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Anabase

Je remonte le fleuve de ton corps sur une carte ancienne,
avec le papier qui se déchire et les inscriptions effacées
par les pluies de la nuit. Un navire de mots
m’emporte dans cette expédition ; et les rameurs
ont tu leur rythme monotone, en entendant
le battement de la coque dans les eaux profondes.

Jadis, j’ai rêvé d’un débarquement matinal
sur ces sables inaccessibles ; entendu les oiseaux
indiquer le chemin des montagnes ; su
que les nuages étaient à ma portée, comme
si la source n’était juste qu’un point abstrait
au centre de la page.

J’éloigne tes doigts, comme des algues, à la recherche
de poissons oubliés par l’hiver. Derrière eux,
un troupeau immergé suit les pas du berger
sous-marin : Neptune aveugle dont le trident se
confond aux racines fluviales. Je traverse les limites
du songe que tu m’offres : et je trouve le lac
stagnant de tes yeux ouverts
avec l’avidité des ténèbres.
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