Le Livre Rouge

Une plus grande hauteur exige une plus grande vertu. Nous ne la possédons pas. Il nous faut d’abord la créer en apprenant à vivre avec notre incapacité à pouvoir. […]
Celui qui apprend à vivre avec son incapacité à pouvoir a beaucoup appris. Cela nous conduira à apprécier les moindres choses et à sagement nous limiter, ce qu’exige une prise de hauteur.

L'Amour ne cesse jamais.

J'attends toutes sortes de choses, et j'attends en particulier qu'une part de la richesse du monde que nous ne voyons pas veuille bien venir à moi.

J’étais alors dans ma quarantième année et avais obtenu tout ce que j’avais souhaité. J’avais obtenu célébrité, puissance, richesse, savoir et tous les bonheurs humains. C’est alors que mon désir de voir ces biens se multiplier s’arrêta net ; ce souhait fut relégué au second plan et l’horreur m’envahit. La vision des flots diluviens s’empara de moi et je sentis l’esprit des profondeurs, mais je ne le compris pas.

Mon langage est imparfait. Ce n’est pas par désir de briller avec des mots, mais par incapacité à trouver ces mots que je parle en images. Car je ne peux exprimer autrement les paroles des profondeurs.

Ce fut la Grande Guerre. Or l'esprit des profondeurs veut que cette guerre soit comprise comme une dissension dans la propre nature de chaque homme. [...]
Comme les hommes ne savent pas que la dissension se trouve dans leur propre être intérieur, ils deviennent fous, et chacun rejette le tort sur l'autre.

Tu penses peut-être qu’un homme qui consacre sa vie à la recherche mène une existence spirituelle et qu’il se voue à son âme à un plus haut degré que n’importe quel autre. Mais même une telle existence est extérieure, tout aussi extérieure que l’existence d’un homme qui vit les choses extérieures. […]
Va à un colloque de savants, et tu les verras, ces pitoyables vieillards avec leurs grands mérites et leurs âmes affamées, assoiffées de reconnaissance sans jamais pouvoir étancher leur soif. L’âme désire ta folie, non ton savoir.

L’être humain n’est pas à sa place seulement dans un monde ordonné, il est aussi à sa place dans le monde merveilleux de son âme. C’est pourquoi vous devez rendre effroyable votre monde ordonné afin de vous dégoûter d’être trop souvent à l’extérieur.

Mon esprit a vagabondé en quête de tout ce qui est rare et inhabituel, il a épié les possibilités qui n’avaient pas encore été trouvées, des sentiers qui cheminent en secret, des lumières qui brillent dans la nuit. Et lorsque mon esprit a fait cela, tout ce qui était ordinaire chez moi a subi des dommages sans que je le remarque et s’est mis à désirer impatiemment la vie, car je ne la vivais pas. C’est pourquoi cette aventure m’est arrivée. J’ai été saisi par le romanesque. Le romanesque représente un pas en arrière. Pour parvenir sur le chemin, il faut parfois faire aussi quelques pas en arrière.

Le Diable est un élément mauvais. Mais la joie ? Que la joie comporte aussi le mal en elle, tu t’en aperçois quand tu la poursuis, car tu tombes alors dans le désir, et du désir directement en enfer, dans ton enfer qui t’est propre et qui pour chacun prend une tournure différente.
Lors de mon arrangement avec le Diable, il me prit une part de mon sérieux, et moi une part de sa joie. Cela me donna du courage. Mais si le Diable a gagné en sérieux, il faut se tenir prêt à tout. C’est toujours chose risquée que d’accueillir la joie, mais elle nous conduit à la vie et à sa désillusion dont est faite la totalité de notre vie.