Entre deux mers /
Axel Kahn (1944-2021)
En mai 2013,
Axel Kahn, grand marcheur épris de beauté et d'humanité, quittait Givet dans les Ardennes à la frontière belge pour rejoindre à pied en août la frontière espagnole du Pays Basque. Après cette épopée qu'il a narrée dans un ouvrage passionnant, « Pensées en chemin », il décide en mai 2014 de refaire ce genre de performance en partant cette fois du cap Sizun à la pointe bretonne pour rejoindre la frontière italienne à Menton en août. Une randonnée
entre deux mers qu'il raconte dans cet ouvrage riche de réflexions, de descriptions et de rappels historiques. 2057 kilomètres pour gravir 43000 mètres et autant en descente !
Dès le départ, riche de l'expérience de la première diagonale,
Axel Kahn s'est fixé un objectif : trente kilomètres par jour en moyenne. 72 jours de périple sont prévus avec 4 jours de repos. Les soirées et nuits de pause se font dans des chambres d'hôtes le plus souvent pour pouvoir laver son linge, faire sa toilette et se restaurer. GPS et téléphone sont des outils indispensables. Il faut penser à tout ce qui peut arriver. Il est souvent sollicité pour faire une halte dans une librairie pour une séance de dédicace de son ouvrage précédent.
Évidemment la météorologie est un facteur important et les pluies abondantes qu'il avait connu lors de la première diagonale l'ont en quelques sorte mithridatisé et il a décidé d'accueillir les intempéries avec ironie, dès l'instant où il est bien équipé, ce qui est le cas.
La Bretagne est un moment de pur bonheur pour notre marcheur : « le marcheur solitaire et matinal est chaque fois saisi de stupeur devant l'harmonie qui se dégage du spectacle, par sa puissance à évoquer l'image du bonheur…Vivre ces moments et ressentir ces émotions vaudraient, si je savais les rendre tels que je les sens, toutes les explications du monde sur la raison de mes errances. »
L'arrivée en pays angevin est aussi un grand moment et
Du Bellay est présent pour exprimer cette douceur angevine qui émeut Axel.
La Vendée est l'occasion d'un très intéressant rappel historique se rapportant à la résistance des vendéens à l'encontre de la Révolution, à leur irrédentisme et à leur fervente foi catholique.
le passage à Richelieu et Loudun est l'occasion d'évoquer l'affaire des « possédées de Loudun » et le supplice d'
Urbain Grandier en 1634. Plus loin l'auteur revoit son village natal, le Petit-Pressigny au coeur de l'Indre et Loire, au sud de la Touraine. C'est l'occasion de réfléchir à la vie et à la mort soixante-dix ans après sa venue au monde. Nous sommes le 6 juin presqu'un mois après le départ.
« Qu'en est-il de la fin du chemin d'une vie, lui qui s'interrompt sans au-delà, qui débouche pour un agnostique sans état d'âme sur le néant ?...Le souci que l'on peut avoir de sa postérité est singulier puisque, par définition, elle débute après la mort, c'est-à-dire alors qu'on n'en pourra rien connaître… Aussi suis-je aujourd'hui aussi convaincu que je l'ai toujours été que l'on peut avancer dans une certaine allégresse aux différents âges de la vie, non pas vers son issue parce que telle serait la finalité de l'existence, mais dans le cadre imposé qu'elle constitue. Se rapprocher de sa mort, bien sûr, mais pas dans le but de s'y rendre, dans la seule conscience sereine qu'elle est l'une des données de la vie. Et dans ce cadre, cheminer avec un désir inchangé et toujours un peu inassouvi de vivre, intensément, d'être heureux, s'il se peut. »
Passage à Nohant le fief de
George Sand, là où elle reçut Chopin. L'arrivée au Mont Gerbier de Jonc, source de la Loire est un beau moment pour l'auteur qui se souvient alors des leçons de géographie de l'école primaire. L'accès n'est pas simple car il lui faut franchir des propriétés privées en douce ! Puis c'est l'Ardèche et la descente vers la vallée du Rhône.
La dernière partie du périple commence et le petit village d'Allons dans la vallée du Var donne de l'allant à notre marcheur comme l'avait fait la ville de Givet point de départ de sa première diagonale.
L'arrivée sur les hauteurs de Menton près de Sospel au jour prévu : un moment presque douloureux, la fin du défi et de l'aventure avec la Méditerranée à l'horizon… Il reste une heure de descente par un bon chemin de randonnée… 2057 kilomètres ont été parcourus…
Un récit de voyage passionnant, une invitation au voyage, un voyage au bout de soi…
Axel Kahn, médecin et généticien, essayiste réputé, est mort en 2021 d'un cancer généralisé.