Sentiment étrange à lecture de ces six nouvelles d'Yasunraki Kawabata. Sentiment d'inachevé.
Sentiment étrange mais totalement explicable du fait de mon inculture japonaise. L'inachevé est une notion dont l'accès relève ,pour nous occidentaux, d'un exercice, d'une auto discipline.
L'inachevé, l'incomplet, l'imparfait,... nous n'assimilons pas cette notion.
Nous remplissons, nous clôturons, nous cadrons, nous remplissons à ras bord et le plus souvent jusqu'au ras le bol, nous encerclons, nous terminons, bien ou mal il nous faut écrire le mot fin.
La culture japonaise a totalement maîtrise cette notion d'inachevé. On peut le voir dans le respect du geste lors de la restauration par exemple d'un objet abîmé, détérioré.
On le répare mais on met un point d'honneur à rendre visible, à rendre lisible le passé de l'objet.
La beauté est dans ce qui est et non dans ce que nous voulons qu'il soit.
C'est comme si il ne fallait jamais fermer la porte.
Nous occidentaux, nous grimons, masquons, effaçons toute trace. Comme si rien ne s'était passé.
La culture japonaise c'est tout le contraire. Impermanence, imperfection, inachevé font totalement partie de la notion du beau.
L'arbre en fleurs, l'arbre vert , l'art rouille, l'arbre nu. Mais tout est processus. Impossible de comprendre la beauté de la fleur si on ne sait pas saisir celle de la neige. Il faut accepter l'ensemble, le tout, accepter la branche brisée si on accepte le passage du cerf. Accepter ce que raconte cette branche pour entendre tout ce que le cerf a à lui répondre.
Peut être est ce que la culture japonaise porte elle en elle l'acceptation. La forme la plus sereine d'une certaine compréhension.
En tout cas c'est une lecture du monde où chaque chose qui se referme s'ouvre automatiquement sur un nouvel espace. Comme une immense mécanique spatiale où rien ne s'arrête jamais. Ne s'achève jamais mais change, évolue continuellement.
La Chine serait Souffle, le Japon serait mouvement.
Vu sous cet angle, la lecture devient intelligible pour moi. Si j'accepte cette notion, ces nouvelles trouvent leur rythme, si j'accepte que la roue tourne, tout s'accorde. Je n'abandonne rien, je ne laisse rien, je ne quitte rien, j'avance et je découvre. le fait lui même porte son avenir. Ce qui est , est parce qu'il fut, et parce qu'il fut, il sera.
L'horloge du monde que personne ne peut arrêter.
Je ne sais si cette technique d'analyse est la bonne, mais je sais que c'est en ayant cette notion à l'esprit que j'ai pu entendre tomber, pour la première fois, la neige sur le Mont Fuji.
Astrid Shriqui Garain
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Dans ces six très belles nouvelles, vous trouverez :
D'anciens amants qui se retrouvent ;
Des souvenirs de guerre ;
Un vieil écrivain qui n'écrit ni ne parle plus ;
Une revenante qui se glisse dans les voitures ;
Un retour sur la terre natale ;
Des souvenirs comme un voyage dans le temps ;
Des enfants qui jouent un jour de pluie ;
La sirène inquiétante d'une ambulance ;
Des arbres qui perdent leurs feuilles ;
La disparition d'un porte-monnaie ;
L'odeur troublante d'une jeune fille ;
Un tombeau de famille.
Poétiques et délicats, ces récits proposent plus que des images ou des descriptions : ce sont des évocations et des impressions. Contrairement à l'art occidental de la nouvelle dont la beauté repose sur une chute brillante, la nouvelle telle que la pratique Kawabata consiste surtout à saisir des instants, puis à les relâcher pour qu'ils reprennent leur place dans le cours du temps. « Mais on ne peut pas savoir si c'est la première neige ou pas. Pour nous, c'est la première fois de l'année que nous voyons le Fuji sous la neige, mais il a peut-être neigé auparavant. » (p. 10) Les nouvelles sont jamais des récits finis ou définitifs : ils s'inscrivent dans un tableau plus large dont l'auteur a choisi de ne représenter qu'un détail.
Kawabata a reçu le prix Nobel en 1968 et j'avoue que je n'avais jamais entendu parler de lui. Mais après la lecture de ce magnifique recueil, je vais poursuivre ma découverte de cet auteur qui parle si bien des choses sensibles et impalpables, comme l'amour, la neige ou la création. « Un couple autrefois séparé qui se retrouve : c'est une grande chance que cela ne se termine pas en déferlement de haine, tu ne crois pas ? » (p. 42)
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Cela faisait un moment que javais envie de lire un livre de cet écrivain japonais et prix nobel de littérature. D'une part, parce que j'aime assez la littérature japonaise empreinte de poésie et de surnaturel et d'autre part afin de me faire ma propre idée.
Me voilà donc plongée dans ce recueil de nouvelles toutes parues entre 1950 et 1956 dans des journaux de l'époque. Une belle occasion de rentrer dans l'univers de l'auteur et constater s'il est fait pour moi ou pas.
J'ai trouvé le titre très joli et il annonçait une bonne dose de poésie qui n'est pas pour me déplaire, et de la poésie il y en a eu , j'ai beaucoup apprécié l'aspect bucolique des textes qui laissent place à la nature, au surnaturel et à la vie quotidienne dans ce qu'elle a de plus simple.
Les personnages sont des personnes comme vous, comme moi avec leur passé pas si simple , leur présent, des familles brisées , des secrets, d'anciens amants qui se retrouvent pour n'être que des amis, des enfants innocents, des vieillards, des femmes écrasées par les ans et le poids des hommes. Il est souvent question de la perte. Une belle palette qui s'accompagne de fantômes .
La part belle est faite à la nature, les arbres, le Mont Fuji, les fleurs, les feuilles. J'ai vraiment aimé ce recueil qui ne ressemble à rien de ce que j'ai pu lire jusque là. Il est aussi question de sentiments humains comme l'amour, l'amitié, la tristesse, la joie, la mélancolie.
L'écriture est simple, parfois saccadée, sans fioriture allant à l'essentiel. Phrases courtes, mais emplies de tant de non-dits que le lecteur peut découvrir à loisir. Chaque nouvelle est sans lien avec la précédente ni dans le temps, ni dans les lieux.
Lire Kawabata c'est entrer dans un univers poétique et mystérieux, c'est aussi la possibilité d'imaginer des peintures , de belles aquarelles , ou de tragiques tableaux au fusain.
Je l'ai lu en deux heures et j'ai vraiment été dans ma bulle pendant ces deux heures et c'est ce que j'attendais. le succès de l'auteur est mérité et je suis partante pour lire d'autres de ses oeuvres
VERDICT
A découvrir absolument je pense que commencer par des nouvelles peut-être une belle entrée en matière et donner un bel aperçu de l'étendue du talent de l'auteur. A tout les amateurs de poésie et littérature japonaise allez-y !! Pour les autres, ça pourrait vous donner le virus.
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Un ouvrage tout simplement magnifique tant dans le fond que dans la forme. Il regroupe six nouvelles esquissées autour d'un manque, d'un silence ou d'une douleur intérieure dans un style magique empreint d'une profonde poésie et d'une infinie délicatesse dans ses descriptions.
Chaque récit est construit comme un bouquet japonais confectionné selon les règles de l'ikebana. Tout est précis, mesuré, équilibré tant pour ce qui concerne les personnages déchirés par des tourments intérieurs que dans la description de l'environnement, du décor naturel, corps à part entière du récit.
Les paysages intérieurs se fondent avec la nature, peinte par touches subtiles et délicates aux contours tantôt délicats, tantôt bien marqués : des gingkos dont les “feuilles frissonnaient, tels des papillons qui se seraient posés sur les branches” pour dire l'absence d'un fils dont l'esprit plane près des vivants, le bruit des gouttes de pluie en écho à une menace invisible ou la neige du mont Fuji qui s'accorde à la blancheur des corps des anciens amants. Chacune de ces miniatures engendre le sentiment étrange de naviguer entre le monde des vivants et celui des morts. Qu'il s'agisse d'un mort physique ou d'une mort intérieure. Comme dans l'une des nouvelles où l'un des personnage s'exprime ainsi “Je me dis parfois que mourir, c'est le comble de l'égoïsme. Pour ceux qui meurent, c'est simplement la fin, mais pour ceux qui leur survivent, c'est le début de bien des choses.”
A l'instar de ce que j'éprouve à la lecture de bon nombre d'auteurs japonais, cet ouvrage m'a vraiment fait vibrer du fait de l'esprit et de l'identité culturelle qui l'animent.. le Japon et les Japonais ayant une approche de l'Univers et de ses équilibres fondamentalement différente de celle des Occidentaux.
Quelques heures de lecture qui riment avec bonheur pour peu que l'on sache se libérer intellectuellement pour écouter attentivement la douce musique de ces récits poétiques et magiques. Ces nouvelles conservant toute la puissance des évocations recherchées par l'auteur malgré sa traduction en Français. Une touche de magie de plus !
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Mettre cinq étoiles pour ce recueil de nouvelles de Kawabata pourrait paraître exagéré. Effectivement, certaines d'entre elles sont tout juste passables.
Mais la première nouvelle, qui donne son titre au livre, est d'une telle beauté et d'une telle pureté que tout amateur de Kawabata ou littérature japonaise se doit de la lire.
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