La terre ne m'intéresse pas du tout . Sauf quand elle est frangée par la mer , alors elle est belle : un champ de blé agité par les brises marines où se mêlent l'odeur du blé qui est en train de mûrir et l'air frais qui vient de la mer , ça , c'est extraordinaire .
(...) toujours se souvenir que le voyageur est un peu comme un type qui attendrait l'autobus . Il ne doit jamais rien imposer à l'autre , ni son verbe , ni ses idées . Les choses sont très différentes aujourd'hui puisque le voyageur est un consommateur . Il choisit , compare et parfois assigne devant les tribunaux si les frites sont molles .
Je n'ai vécu que pour faire cette chose pleine et entière : tourner autour du monde. Pourquoi ?
Nous vivons dans un monde de bignoles et de concierges, de rumeurs et de commérages. La Samaritaine du témoignage, c'est la télé et internet.
J'avais, en quelque sorte, le devoir de prendre des risques. Oui, le devoir. Le "devoir d'intelligence" de prendre des risques.
J'ai sept ans et la perception aiguë de la fin d'une souffrance qui a marqué nos pères. Mon frère Yves et moi étions très liés et avions compris très petits les nuances de l'horrible. Mes parents étaient tous deux orphelins de la Grande Guerre. On ne disait mot à la maison de ces deuils mais les silences, les centaines d'illustrations d'époque dans les malles du grenier, les clichés sur tous les guéridons de la maison, les photos jaunies des grands-parents et oncles disparus parlaient pour eux. La guerre n'était pas une fiction.
C'est étrange mais depuis mes huit ans, je pensais que j'irais faire la guerre et que je ne pouvais déroger à cette règle qui conduisait à sacrifier une génération d'hommes entre dix-huit et vingt-cinq ans.
Parfois la mer est laide. Elle est sans brillance, grise. J’ai alors cette impression de me retrouver à terre, dans une sous-préfecture, à contourner des enfilades de ronds-points. La mer est alors un univers d’ombres portées. Mais cette mélancolie peut être enchanteresse. Cette mélancolie, c’est celle de l’ombre qui se détache de mon verre dans un bistrot du port.
Mouiller au pied de Manhattan, c'est passer d'un monde horizontal à un monde vertical.
La nuit, je revoyais les fantômes de l'émigration, tous ces gens débarquant de ces paquebots venus du vieux continent, hagards et mal vêtus. Femmes et enfants qui venaient ici pour une nouvelle vie. On ressent tout cela très bien sur ces quais. Souvent, je me pose la question : qu'est-ce que c'est que la souffrance de ne jamais revenir ?
Mais je crois que, en prenant de l'âge, c'est un peu comme ce carnet d'adresses où il y a le nom des copains et leur téléphone : je sais que je ne pourrai plus jamais joindre certains et, pourtant, je n'ai pas le courage de les rayer moi-même alors que la vie les a rayés. Ces Juifs polonais qui remontaient l'Hudson eux aussi avaient laissé derrière eux leur carnet d'adresses.
L’Australie
Les découvreurs devaient faire une drôle de tête sur ces mers parsemées de récifs. Découvrir, c’est reconnaître, identifier et donc nommer. Et à ce jeu-là, Anglais et Français se sont surpassés. Les monts Trafalgar et Waterloo sont voisins ainsi que les îles Molière, Racine, de l’Institut. Le mathématicien daxois Borda est plusieurs fois nommé. Que fait Du Guesclin à côté de Fénelon, Buffon, Forbin, Jussieu, Lamarck, Bernoulli et Tournefort ? La passe Voltaire et le cap Lacépède voisinent avec Snake Island et Nelson, Bougainville et Brunswick, sans omettre l’île d’Arcole suivie du récif Rouge, du récif Bleu et du récif Arc-en-ciel. Je n’ose penser aux noms de ces côtes si elles avaient été découvertes à l’époque de la téléréalité : la passe Steevy menant à la baie Loana ? Seigneur !
La mer, c'est le coeur du monde. Vouloir visiter les océans, c'est aller se frotter aux couleurs de l'absolu.