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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ce court roman a été écrit alors que la Hongrie, pays de l'auteur, faisait encore partie du bloc de l'est. Imre Kertész, a tout intérêt alors à exporter l'action dans un pays d'Amérique latine, fictif, car son livre est une sévère critique d'un régime totalitaire, aux mains de militaires et policiers, faisant régner la terreur et n'hésitant pas à mettre à mort des innocents après des procès arbitraires, des enquêtes à charge et des interrogatoires musclés menés par des sadiques sanguinaires.
Beaucoup de violence dans ce livre... qui provoque un grand malaise. Un livre fort.
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Écrit en deux semaines et publié pour la première fois en 1977, ce court roman avait pour but de dénoncer un régime totalitaire parvenu au pouvoir légalement tout en contournant la censure de l'époque en Hongrie.
L'avocat commis d'office d'Antonio Martens nous présente le manuscrit de son client.
Antonio a en effet demandé du fin fond de sa prison de pouvoir relater l'affaire qui l'a mené devant le tribunal du nouveau régime politique : l'affaire Salinas.
Martens raconte son passage de « naif » policier à la criminelle à membre de la Corporation, chargée de faire « descentes, arrestations, interrogatoires, liquidations » des éléments hostiles au gouvernement au pouvoir depuis le jour de la Victoire.
Un jeune homme idéaliste qui rêve de lutter contre le totalitarisme, un père inquiet, une femme qui tente de vivre malgré la dictature, tels sont les principaux protagonistes de ce qui paraît être un complot sur fond de menaces d'attentats.
Antonio Martens se dédouane, se justifie en expliquant qu'il n'était qu'un simple « bleu », qu'il obéissait aux ordres de sa hiérarchie tout en pensant parfois « qu'ils allaient trop loin ». Il est poursuivi par des migraines qui semblent figurées son sentiment de culpabilité. Lorsqu'il achète le journal intime du fils Salinas, les frontières se brouillent plus encore, diluant les notions de bien et de mal.
Le livre présente une réflexion sur les fondements de l'humanité et ses lois trop souvent bafouées : « D'abord, on croit être malin et maîtriser les évènements, mais après on aimerait seulement savoir où diable ils nous entraînent. »
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Je ne peux être qu'admirative encore une fois de ce grand écrivain qu'était Imre Kertész. Écrit en deux semaines pour répondre à une exigence de son éditeur, il écrit, dans la préface : « C'est alors que je me souvins de Roman policier. C'était une vieille idée fugace qui m'avait occupé l'esprit pendant un temps, et que j'avais oubliée en écrivant Être sans destin. À première vue, il n'y avait pas de quoi régaler un éditeur. En effet, comment, dans une dictature arrivée au pouvoir par des voies illégales, publier au nez et à la barbe de la censure une histoire qui parle des moyens illégaux de s'emparer du pouvoir ? Par ailleurs tout détour « astucieux » aurait menacé l'efficacité et la radicalité de l'histoire. Je décidai finalement de ne pas renoncer à son caractère « scandaleux », en revanche, je situai l'action dans un pays imaginaire d'Amérique du Sud. » (p. 8) Roman policier se lit comme un roman policier, et malgré le propos qui peut être parfois à la limite du soutenable – l'auteur nous donnant à voir les rouages d'une police politique sous un régime dictatorial -, le récit s'avère prenant. Nous lisons le manuscrit d'Antonio Rojas Martens, policier à la criminelle avant d'intégrer les rangs de la Corporation, tel que remis (et un peu corrigé…) par son avocat commis d'office. À travers des personnages broyés par le système, Kertész revient à la notion d'être sans destin, et de ce que cela suscite, individuellement et collectivement. Un texte éclairant.
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Effroyablement efficace.

L'auteur, hongrois, a voulu raconter son pays sous la tyrannie, mais « comment, dans une dictature arrivée au pouvoir par des voies illégales, publier au nez et à la barbe de la censure une histoire qui parle des moyens illégaux de s'emparer du pouvoir ? » Tout simplement en transposant les faits en Amérique du Sud.

Et ces faits, qu'ils soient de n'importe où, d'ailleurs, sont glaçants. Tout l'appareillage du Pouvoir est décrit, sans aucun détail racoleur. C'est cela justement qui donne froid dans le dos : le ton candide du narrateur (un des policiers préposés à la question) qui a d'effroyables migraines lorsqu'il doit interroger les suspects. le narrateur est considéré comme le « bleu » par son chef et par le bourreau. Et il ne se rend pas totalement compte de l'effroyable efficacité de ce petit bureau aux ordres du Colonel.
« C'était une conversation à deux, moi, ils ne me demandaient plus rien. Je restais donc assis à les écouter. J'avais mal à la tête, terriblement mal. Peut-être que ça se voyait.
- Il va se sauver, dit Rodriguez d'un ton soucieux.
- Où ça ? demande Diaz.
- Qu'est-ce que j'en sais ? Ces gens-là ont toujours un endroit où aller, rétorque Rodriguez nerveusement. Il va se sauver au dernier moment. le sale bourgeois.
- Nous ne combattons pas expressément le capitalisme, lui rappelle Diaz.
- Ca m'est égal, dit Rodriguez, les yeux brillants. Bourgeois, juifs, sauveurs du monde, tout ça, c'est pareil. Tout ce qui les intéresse, c'est de semer le trouble.
- Et toi, demande alors Diaz, tu veux quoi, mon brave Rodriguez ?
- L'ordre. Mais mon ordre à moi ! »

Mais c'est ce petit bleu qui va être considéré comme le responsable, qui va porter le chapeau d'une effroyable erreur : le cas « Salinas ». En prison, il va écrire, ou plutôt décomposer le cas « Salinas », du nom d'un jeune homme idéaliste et emprisonné, en s'aidant du journal intime de celui-ci, pour essayer enfin de comprendre…

Ce jeune Salinas, idéaliste, parce qu'il résume à lui tout seul toute l'opposition au Pouvoir, a été exécuté avant même d'avoir commis toute action subversive. Et ce qu'il dit dans son journal est effroyablement juste :
« Plutôt ne pas vivre que vivre de la sorte. Je lui parle de ma nausée, je lui parle de mon dégoût quotidien. Je lui dis que je déteste tout autour de moi, tout. Je déteste leurs policiers, leurs journaux, leurs informations. Je déteste ces regards sournois autour de moi, ces hommes qu'on fête aujourd'hui et qu'on méprisait hier. Je déteste la résignation, l'avidité, cet éternel jeu de cache-cache, de qui est qui, les privilèges et les gens qui s'écrasent…Je déteste la cécité, les faux espoirs, la vie végétative, les esclaves qui soupirent de bonheur pour peu que le fouet les épargne pendant une journée…Et je lui dis aussi que je me déteste moi-même, avant tout, seulement parce que je suis là et que je ne fais rien. Que je sais bien que je suis moi aussi un esclave, du moins pour l'instant, mais que je le serai de plus en plus si je ne fais rien. »

Petit roman qui donne froid dans le dos ! Effroyable. Efficace.
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Excellent et bref roman abordant l'un des rouages de la terreur politique dans un pays fictif d'Amérique Latine, sorte de bureau d'investigation de la sécurité intérieure, ou autrement dit, chambre des arrestations et de la torture. Imre Kertesz est parvenu, grâce à cette exterritorialisation des procédés de la dictature hongroise, à faire publier ce texte par l'un des deux éditeurs d'Etat en Hongrie en 1977.
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D'abord je tiens à remercier un ami babeliaute qui m'a recommandé cette lecture. Sachant qu'on allait vers du terrifiant.
Terrifiant oui mais l'écriture est si magnifique, si belle, si précise, si imagée aussi ( et là ce n'est pas facile à lire), bref.
Je ne peux pas raconter le livre mais le titre est tellement symptomatique, un roman, oui, pas de doute, l'histoire d'un policier (le bleu) face à des policiers autrement aguerris dans leur barbarie...
L'histoire linéaire que certains voudront raconter n'a à mes yeux aucune importance.
Ce que Imre Kertesz écrit c'est la barbarie. Peu importe comment. C'est la terreur, c'est la bascule de Boger. Je ne peux pas expliquer ici ce qu'est la bascule de Boger, il faut lire le livre.

Imre se bat, combat toute forme de dictature, toute forme d'abrutissement, et dans Roman Policier, l'histoire,du père et de son fils , lequel voudrait s'engager dans la lutte contre le régime en place, est extrêmement belle et tragique. Et le père (donc la génération précédente) veut protéger son fils. Mais que ne l'a-t-il fait auparavant ?
Roman policier est comme une tragédie grecque qui se déroule dans une dictature communiste, vous savez nos voisines pendant 40 ans...- certes, Imre K. a dû, pour être publié, transposer cette histoire en
Amérique latine. A ce propos, c'est la transposition qui lui a pris quinze jours, et non pas l'écriture du roman entier.
Il l'a écrit, il l'a construite cette histoire, il l'a assumée, et son écriture est d'une qualité telle que beaucoup pourraient aller se rhabiller et s'incliner devant ce grand Monsieur.
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L'insoutenable cruauté de l'être humain

Roman policier” d'Imre Kertész est, ainsi qu'il le dit lui-même, son seul livre qui soit entièrement fictionnel. Cet auteur hongrois dont l'oeuvre brûle le coeur, les yeux et les mains de qui la lit, a accompli ici une sorte de livre de commande. Pour la première fois de sa vie, il n'a pas fait état de souvenirs personnels, il s'est engagé tant bien que mal dans la fiction et, comme il le confie au lecteur, cette tâche d'invention lui a été extrêmement difficile et éprouvante.

Ce “Roman policier”, malgré ce que son titre pourrait nous faire penser, n'en est pas un au sens premier du terme : nulle enquête véritable n'est menée (si ce n'est sous des prétextes fallacieux et purement criminels) et ce n'est pas un roman de gare, on s'en doute, que l'auteur de “Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas” nous livre ici. Si ce roman est policier, c'est en ce sens qu'il décrit un état totalitaire où chaque être peut devenir la proie de “policiers” aux méthodes sanguinaires et inhumaines dont la cause première n'est plus du tout de protéger les citoyens. Bien au contraire, on se demande qui pourrait bien protéger ces derniers des coups sans vergogne que donnent en toute quiétude ces parfaits petits bureaucrates du crime et de l'abjection. C'est la peinture d'une société où même le prestige et l'argent ne garantissent aucun citoyen contre la brutalité la plus outrancière. Les personnages principaux auront d'ailleurs à en payer l'amer tribut.

Ce livre fait mal, il ronge l'âme du lecteur et nous plonge dans une Amérique du Sud soumise aux manigances politiciennes, au veau d'or de l'argent sale ainsi qu'à la barbarie d'un système policier tyrannique. L'auteur l'annonce en préambule : cette Amérique du Sud n'est qu'un miroir de sa Hongrie natale, un portrait en creux des années les plus sombres de ce pays. Imre Kertész opère ici une distanciation tant spatiale que temporelle. Et c'est ce recul, aussi bien géographique qu'émotionnel qui crée l'atrocité même du récit qui nous est conté. Car, dès lors, cette histoire n'a plus de frontières établies : elle a pour scène de théâtre le monde entier.

Dans sa narration, ce livre tient presque du procès-verbal et laisse toujours hors-champ les actes de torture : c'est à demi-mot qu'il nous les suggère afin de les rendre d'autant plus insoutenables. Ceux qui les commettent semblent d'ailleurs les accomplir comme en dehors d'eux-mêmes et dans une parfaite absence de conscience morale. Fonctionnaires zélés et dénués de toute forme de compassion, rien ne leur pèse et surtout pas la souffrance qu'ils infligent à autrui. Dès lors, la cruauté exposée n'en est que plus cinglante et douloureuse. le personnage principal, petit bleu parmi ses collègues tortionnaires de la police du pays, nous relate la sinistre aventure qui l'a conduit en prison.

Avec une écriture au scalpel, Kertész nous dresse le portrait sans concessions d'un pauvre type, simple rouage d'une machine meurtrière, pris dans un engrenage dont il n'a même pas idée. Ce dernier, en livrant son témoignage, semble n'éprouver aucun remords : jusqu'au bout, il demeure totalement étranger à lui-même ainsi qu'à ses actes et à ceux qu'il a laissé faire sans broncher.

On ne ressort pas sans peine d'une telle lecture. Bien souvent, un terrible sentiment d'impuissance et une persistante nausée s'emparent du lecteur.
Ainsi que l'écrivait Georg Büchner : « L'homme est un gouffre. Il est pris de vertige celui qui y plonge le regard. »

© Thibault Marconnet
14/06/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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