Il n'est pas besoin d'écrire 500 pages pour faire ressentir au lecteur la situation d'un peuple dominé par la dictature, celle des talibans à Kaboul, de l'obscurantisme religieux de 2001, et qui prend aujourd'hui à nouveau tout son sens. Interdit de rire, de s'amuser, d'écouter de la musique. Interdit aux femmes de sortir seules et non voilées des pieds à la tête, interdit de rêver… Interdit de vivre!
Si les hommes sont obligés de se rendre à la mosquée, quitte à faire semblant, les femmes sont contraintes à porter le tchadri, véritable camisole ouverte sur le monde par une minuscule grille devant les yeux. Elles ne peuvent sortir de chez elles qu'accompagnées de leur mari, tout en marchant derrière lui, et si elles veulent retirer leur camisole, elles ne peuvent le faire qu'à la maison, tous volets fermés.
L'auteur introduit son roman avec une rare poésie contrastant avec le décor : Kaboul écrasée par la chaleur, envahie de poussière et de misère, et c'est ce qui en fait la force.
Dans
Les Irondelles de Kaboul, Yasmina Khadra nous immerge dans la tragédie du peuple afghan grâce à la vie de deux couples, celui d'Atiq Shaukat, toujours armé de sa cravache et de son trousseau de clés, gardien de la geôle où sont enfermées les femmes condamnées à mort. Sa femme, Mussarat, malade, reste à la maison.
Il y a aussi Moshen Ramat époux de la magnifique Zunaira à qui, lui, un homme de bonne famille, il avoue un moment total d'égarement : « Une prostituée a été lapidée sur la place. J'ignore comment je me suis joint à la foule de dégénérés qui réclamait du sang. ... je me suis surpris à ramasser des cailloux et à la mitrailler, moi aussi. »
Quelques personnages viennent enrichir le propos, le vieux Nazish qui était muphti à Kaboul et qui rêve de partir alors que ses fils ont été tués à la guerre, Qassim Abdul Jabbar, milicien réputé qui n'espère qu'une chose : diriger la forteresse, le plus grand centre pénitentiaire du pays. Comme tous les êtres méprisants et intéressés, pour plaire aux mollahs, il fournit des condamnés à mort dont les exécutions attirent la foule et ravissent les dirigeants.
Ce roman nous ouvre sur les rapports entre hommes, virils et hiérarchiques, entre hommes et femmes, très compliqués dès qu'une conscience émerge. Il manque celui entre femmes qui aurait pu être intéressant.
Les hommes les plus durs peuvent se révéler sensibles, tout comme les femmes dévouées peuvent se sacrifier par amour.
Ce roman, tout en émotion, en amour, en folie, en soumission et en révolte, nous dresse un portrait malheureusement intemporel de la situation vécue dans tout régime dirigé par des fanatiques religieux.
Il en ressort, de la part de l'auteur, un profond respect pour la femme. À noter, la scène où Mussarat est sommée d'attendre Atiq pendant qu'il est obligé d'assister à l'office. Elle doit rester immobile sous son tchadri, en plein soleil. On ressent sa colère, sa révolte intérieure et pourtant immobile sous la surveillance d'un taliban prêt à la frapper si elle bouge…
Une magnifique écriture, et une fin inattendue pleine d'amour et de folie.