[...] elle lui avait expliqué un jour que la fausse modestie était le début de l'orgueil.
La mort est un mystère, et la sépulture un secret.
Soyez économes, douchez-vous avec un ami.
- Je peux vous poser encore une dernière question ? demanda Louis
- Allez-y, dit Jud.
- Est-ce qu'on a jamais enterré un être humain là-haut ?
Jud sursauta avec tant de violence que son coude heurta le bord de la table et que les bouteilles de bière vides s'écroulèrent comme une rangée de quilles. Deux d'entre elles roulèrent au sol, et l'une des deux se brisa.
- Miséricorde ! s'écria-t-il. Qu'allez-vous chercher là, Louis ? Non ! Qui c'est qui s'en irait faire une horreur pareille ! Comment pouvez-vous seulement me poser la question ?
- Simple curiosité, dit Louis, mal à l'aise.
- Eh bien, il a des choses au sujet desquelles la curiosité est toujours malvenue, répliqua Jud.
Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Louis Creed lui trouva l'air vieux et décrépit, lui trouva l'air d'un homme qui sait que le bord de la tombe n'est plus qu'à quelques pas.
Un peu plus tard, chez lui, il réalisa que dans cet instant-là l'expression égarée de Jud avait trahi plus que ça.
Il avait eu l'air, aussi, d'un homme qui sait qu'il est en train de mentir.
Dès qu"il eut franchi les limites du campus, il se trouva pris brusquement au milieu d'un vaste tohu-bohu de voitures, de bicyclettes et de coureurs à pied. Deux joggers surgirent soudain à l'angle d'une allée, l'obligeant à stopper net. Il donna un coup de freins si brutal que sa tête aurait heurté le pare-brise sans la ceinture de sécurité qui le retenait à l'épaule. Il klaxonna furieusement ; il avait toujours été exaspéré par cette habitude qu'ont les joggers (tout comme les cyclistes d'ailleurs) d'affecter de décliner toute espèce de responsabilité à partir du moment où ils sont lancés. Après tout, ils font de l'exercice, EUX.
- Y a-t-il quelqu'un au monde qui s'imagine vraiment qu'on peut comprendre les enfants ? se demandait-il.
Louis avait aussi la conviction que dans les familles nanties d'enfants en bas âge, le périmètre de plancher situé sous le canapé du salon finit par acquérir une force électromagnétique puissante et mystérieuse qui aspire l'un après l'autre toutes sortes de débris et d'épaves qui vont du biberon et de l'épingle à nourrice jusqu'aux crayons gras de couleur verte en passant par de vieux numéros de magazines enfantins aux pages collées par des restes de nourriture moisis.
On a probablement tort de penser qu'il peut y avoir une limite à l'horreur que peut éprouver l'esprit humain. Au contraire, il semble qu'à mesure que l'on s'enfonce plus profondément dans les ténèbres de l'épouvante, une espèce d'effet exponentiel entre en jeu.
On a probablement tort de penser qu’il peut y avoir une limite à l’horreur que peut éprouver l’esprit humain. Au contraire, il semble qu’à mesure que l’on s’enfonce plus profondément dans les ténèbres de l’épouvante une espèce d’effet exponentiel entre en jeu. Si déplaisant qu’il soit de le constater, l’expérience humaine tendrait plutôt à valider l’idée suivant laquelle l’horreur suscite l’horreur, une calamité accidentelle engendrant d’autres calamités parfois voulues celles-là – jusqu’à ce que les ténèbres finissent par tout recouvrir à la façon d’une tache d’encre qui s’étale progressivement sur un buvard.
En dépit de tout, elle était mortellement attirante, cette idée. Belle, noire, avec un beau lustre morbide.