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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Comment une nouvelle de 1805 peut-elle être écrite comme un film de cinéma de la nouvelle vague? Quel est ce sortilège? Zweig m'avait prévenu: Kleist c'est le démon! (Le combat avec le démon) Je sais bien qu'il n'y a pas de sens de l'histoire (de l‘art) mais... on m'a tellement appuyé le moule à gaufres sur la tête qu'une partie de moi a fini par y croire, à ce sens. Alors? Pour me permettre de croire que je suis autre chose qu'une gaufre, pour élucider le mystère de la Marquise d'O, et sauver l'hypothèse d'un sens de l'histoire, il faut bien admettre une rencontre entre Heinrich von Kleist et les extra-terrestres. Soit. Cette Marquise d'O dictée par un écrivain venu du futur est un genre de Mademoiselle Else à quelques nuances près : 1) pas de flux de conscience, c'est du cinéma de 1805 2) Tandis qu'Else se dénude avant de s'évanouir, la Marquise, elle, s'évanouit avant d'être dénudée 3) Else finit moins bien que la Marquise, pourtant odieusement abusée par un fieffé cochon, dont l'identité est l'objet de l'intrigue. 4) En effet, la Marquise, plus pragmatique qu'Else, pour résoudre son drame d'immaculée conception, a la présence d'esprit de passer une petite annonce. On sent bien que cette histoire fait doucement marrer Kleist et les extraterrestres, comme avant eux, Montaigne, pour qui l'alcool explique 100% des cas de grossesses miraculeuses chez les paysannes (Les Essais, Livre II, Chapitre 2, 141) et Voltaire qui se délectait des querelles entre cordeliers et dominicains sur le sujet. Et pourtant, à en croire Mary Jacobus, l'autrice de « In Parenthesis: Immaculate Conceptions and Feminine Desire » il n'y a pas de quoi rire car « le corps de la femme, le O vide et creux, qui est le sens du nom de la Marquise, demeure le lieu de quelque chose d'indécidable et de contradictoire, qui excède la narration. » le scénario de Kleist, finalement tourné par Eric Rohmer en 1976 fut salué par le grand prix du festival de Cannes. Un prix célébré comme il se doit à bord du vaisseau spatial de l'auteur.
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Die Marquise von O ... , Das Erdbeden in Chili, Die Verlobung in St. Domingo, Das Bettelweib von Locarno, der Findiling, Die Heilige Cäcilie oder die Gewalt der Musik, der Zweikampf
Traduction : M. L. Laureau & G. La Flize
Introduction : Antonia Fonyi

Rejeté par Goethe, courant d'échec en échec littéraire, optant en définitive, après avoir assassiné la femme qu'il aimait, pour un suicide par balle, Von Kleist mérite amplement la place d'ovni qu'il occupe dans la littérature allemande. Romantique, il l'est par le style (ah ! ces paragraphes à la Balzac, qui n'en finissent pas d'en finir !), par l'amour du mélodrame et aussi par la caractérisation, très début du XIXème, de ses personnages. Néanmoins, au beau milieu de ce que certains (moi la première) considèreraient comme une soupe de mots et d'intrigues un tantinet trop épaisse, jaillissent des fulgurances, des audaces même d'une surprenante - voire choquante - modernité.

L'auteur donne l'impression de se dédoubler et de confier la rédaction de certains passages à son alter ego. Quand on sait l'importance du double dans la littérature romantique et fantastique allemande - fascination que l'on retrouvera au XXème siècle dans la grande époque du cinéma de l'UFA, entre les deux guerres - on se dit que la chose n'est certes pas un hasard. A moins que Kleist ait parfois écrit sous l'influence de certaines drogues - c'est une idée qui vient tout naturellement à l'esprit, je vous l'assure.

Si l'on prend par exemple la nouvelle qui donne son titre à ce volume, "La Marquise d'O ...", on s'aperçoit qu'à une héroïne aristocrate, élevée de telle façon qu'on ne l'a jamais laissée lire le moindre roman ou la moindre gazette douteuse, veuve admirable et mère dévouée, bref, un personnage qui fait corps avec les lois de son siècle, Kleist oppose ce qu'on serait tenté de définir comme un anti-héros même si, à la fin du texte, il finit par rejoindre le giron de la bonne société. Brutal, dissimulateur, guidé par la violence de l'instinct sexuel, le comte F ... est un violeur qui, en outre, a mis à profit l'évanouissement de sa victime pour abuser d'elle. Tout ce qui, dans la nouvelle, relève des pulsions non maîtrisées du comte est exposé avec une franchise qui, pour le public de l'époque, pouvait se confondre avec de la crudité pure et simple.

Mais il y a plus dérangeant : la scène au cours de laquelle la marquise et son père se réconcilient tandis que la mère, qui a facilité leur entrevue, les observe d'abord par le trou de la serrure avant de les rejoindre tranquillement :

Citation:
[...] ... L'oreille délicatement collée à la porte, [Mme de G ...] écouta et perçut les tout derniers mots d'un léger chuchotement qui lui sembla venir de la marquise. Par le trou de la serrure, elle aperçut la fille sur les genoux de son père, ce qu'il n'avait encore jamais admis de sa vie. Elle ouvrit enfin la porte et, le coeur tout débordant de joie, elle vit la marquise silencieuse, la nuque ployée en arrière, les yeux tout à fait clos, affaissée dans les bras de son père. Et lui, assis dans le fauteuil, ouvrant de grands yeux brillants de larmes, posait sur sa bouche de longs baisers brûlants et avides comme un véritable amoureux ! Sa fille se taisait et lui se taisait aussi ; il restait assis, le visage penché sur elle, comme sur la jeune fille de son premier amour, et il lui tournait la tête pour l'embrasser encore. La mère était aux anges ; ( ... ) se penchant de part et d'autre du siège, elle le regarda de côté tandis que, avec un bonheur indicible, il caressait des doigts et des lèvres la bouche de sa fille. ... [...]

Dans "Les Fiancée de Saint-Domingue", on s'aperçoit très vite que, sous le pathos romantique, c'est la question des relations sexuelles entre les Blancs et les Noirs qui sous-tend tout le récit avec une connotation dominant-dominé qui n'étonnera pas le lecteur d'aujourd'hui mais dont on se demande ce qu'en pensa celui de l'époque, surtout après l'équipée de Toussaint-Louverture à Haïti. "L'Enfant Trouvé" reprend le thème de l'inceste - mais ici, la mère du fils incestueux ne l'est pas par le sang. le sommet de l'ambiguïté est atteint par "La Mendiante de Locarno", court récit assez bâtard qui se veut histoire de fantômes et dont l'ambiguïté réside dans la première ligne, lorsque le gentilhomme demande à la mendiante d'aller derrière le poêle. Précisons que, dans cette histoire, s'il y a viol, il s'agit de celui d'une vieille femme handicapée par un homme dans la force de l'âge.

Bref, vous l'aurez compris, ce recueil, avec son étrangeté et son culte pour l'ambiguïté, titille sans cesse la curiosité du lecteur qui se demande s'il "lit double" ou pas. A découvrir, ne serait-ce que pour partager les impressions ressenties et en débattre. le lecteur a-t-il l'esprit mal placé ou Von Kleist aurait-il pu prétendre à être le Georges Bataille de son siècle ? ;o)
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Dans ce recueil de nouvelles Kleist met en action les thèmes de sa création. La violence en est le principal sujet, meurtre, suicide, torture psychologique et viol. Il en tire les ultimes conséquences que l'honneur et la religion du temps jadis aggrave de leur préjugés. L'oeuvre porte l'empreinte du tragique destin de son auteur, qui nous est moins connus que ses contemporains romantique. Pas de mièvrerie ici, ni de personne se complaisant à livrer ses sentiments sans pudeur, soliloquant sans fin. Des faits bruts, des histoires terribles et sans conscession, l'horreur de vies marquées à jamais.
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