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Critique de Glaneurdelivres


Prague préfère résister par la plaisanterie plutôt que par l'épée.

Ces mots me paraissent bien refléter l'« Esprit de Prague » qu'Ivan Klíma cherche à définir dans cet ouvrage. Il y expose ses idées, ses réflexions et ses opinions personnelles sur différents sujets, tout aussi intéressants les uns que les autres, qui passent par l'Histoire, la religion, la politique et la littérature.

Pour lui, en tant qu'homme de lettres, Prague est « La ville » dont il est bon de rêver longtemps, avant de la découvrir. C'est l'Atlantide où l'Europe a jeté les amarres ! Gustav Meyrink, dans son Golem, en fait la patrie des fantômes. Franz Werfel, dans ses poèmes, chante ses jardins et ses dômes. Bohumil Hrabal la plébiscite pour la qualité de sa bière et son sens de l'extravagance. Rilke y plante les décors de ses Histoires pragoises. Kafka s'y égare, cherchant inlassablement la pierre philosophale dans cette rue des Alchimistes où il naquit. Vladimír Holan et Jaroslav Seifert taguent leurs poèmes sur ses murs. Vítězslav Nezval se laisse caresser par ses « doigts de pluie ». Jan Neruda décrit avec humour et réalisme les habitants de Malá Strana, quartier où il a vécu toute sa vie…

Ivan Klíma nous fait un gros plan sur sa ville natale « aux cent clochers », qu'il définit comme fruit de la fusion miraculeuse entre les trois cultures, tchèque, allemande et juive, qui s'y sont côtoyées au fil des époques. Mais si le tableau de Prague qu'il nous peint est teinté de nostalgie, il l'est aussi d'amertume. Rares sont les guerres européennes qui n'aient pas affectées la capitale de l'Etat tchèque. Prague s'est forgée dans l'adversité et elle reste pour lui une cité blessée, divisée, tiraillée entre liberté et servitude. Pour qu'une ville comme Prague prenne en charge son destin, patience et persévérance sont indispensables. En tchèque, le mot patience (trpělivost) a la même étymologie que le verbe souffrir (trpět) !

L'esprit de Prague, c'est en grande partie dans des paradoxes qu'il le voit se dévoiler.
Paradoxe religieux : voilà une ville aux cent églises où l'on ne trouvera qu'un nombre restreint de pratiquants ! Paradoxe historique et politique : avec le château de Prague, une des plus vastes forteresses d'Europe centrale, aujourd'hui résidence des présidents, dont le destin répond bien à celui de la ville, car beaucoup s'y sont retrouvés en prison. Etrange et paradoxal ce lieu entre prison et château royal ! Paradoxe littéraire : à quelques semaines de distance, Prague a donné naissance à deux génies si différents l'un de l'autre : Franz Kafka, enfermé dans son ascétisme, et Jaroslav Hasek, désopilant auteur dont l'humour légendaire a servi de bannière à la résistance tchèque. « Les citoyens de Prague ont asséné le coup de grâce à leurs dirigeants méprisés non par l'épée, mais par la plaisanterie. »

Au fil des pages de cet ouvrage, on va d'enchantements en désenchantements. La vie d'Ivan Klíma, d'ailleurs, est à cette image : né en 1931, il a connu le nazisme et ses horreurs, les camps, les régimes autoritaires, la censure pendant vingt ans, (il a dû exercer des métiers tels que balayeur ou ambulancier pour gagner sa vie), les samizdats mais aussi le Printemps de Prague, l'agitation libertaire puis le triomphe de la Révolution de velours en 1989.

Tous les textes de son livre sont variés, très intéressants et riches d'informations, plein de belles réflexions. Il les a regroupés en cinq parties. La première contient des textes de nature plus personnelle, qui révèlent quelque chose de sa vie, ce qui l'a incité à écrire, son rapport à sa ville natale… A la fin de cette première partie, il y a de longs dialogues entre Ivan Klíma et Philip Roth qui lui pose d'intéressantes questions au sujet de la culture littéraire et de la censure. La deuxième partie comprend un certain nombre de chroniques, ou feuilletons, un genre très prisé des lecteurs. Des feuilletons régulièrement signés de Václav Havel, Pavel Kohout, Ludvík Vaculík et bien d'autres qui ont beaucoup circulé parmi les lecteurs tchèques. La troisième partie comprend des essais de nature plus ou moins politique (La culture contre le totalitarisme, le commencement et la fin du totalitarisme). Dans une quatrième partie, il aborde les grands problèmes que rencontre la littérature moderne. Et son ouvrage se termine par une cinquième partie dans laquelle il nous présente une longue étude sur les sources d'inspirations de Kafka.

« Esprit de Prague » nous raconte cinq décennies vécues par Ivan Klíma, qui mêle souvenirs autobiographiques et réflexions sur les régimes totalitaires. Il nous parle de façon remarquable de Joseph K. et de Kafka, de sa jeunesse dans une famille juive agnostique, de sa déportation en 1941 dans le camp de Terezín (où il commence à écrire), des relations entre littérature et pouvoir, des méfaits du soviétisme sur la culture, des nouvelles idoles d'une modernité avide de bluff, du démantèlement de la Tchécoslovaquie et du tragique déclin de sa langue.
J'ai beaucoup apprécié la sobriété et la clarté de l'écriture d'Ivan Klíma.
C'est un écrivain qui a de belles valeurs humanistes et qui sait peser ses mots.
Je recommande particulièrement cet intéressant ouvrage très instructif auquel j'accorde sans hésitation 5/5.

« Ayant pris une certaine distance, je suis quant à moi parvenu à la conclusion que tout fanatisme, quel qu'il soit, est un préalable psychologique, un précurseur de la violence et de la terreur, qu'il n'y a pas au monde d'idée qui vaille qu'on la mette en oeuvre par le fanatisme. A notre époque, le seul espoir de salut qui reste au monde est la tolérance. »
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