Nous n'admettions l'existence d'aucun secteur privé, pas même dans le cerveau d'un individu.
La porte de la cellule claqua en se refermant sur Roubachof.
Il demeura quelques secondes appuyé à la porte, et alluma une cigarette. Sur le lit à sa droite étaient disposées deux couvertures relativement propres, et la paillasse semblait fraîchement remplie. Le lavabo à sa gauche n'avait pas de tampon, mais le robinet fonctionnait. À côté, le seau hygiénique venait d'être désinfecté et ne sentait pas. De part et d'autre les murs étaient de briques pleines, qui étoufferaient tout tapotements, mais là où les tuyaux de chauffage et d'écoulement pénétraient dans la paroi, elle avait été replâtrée et elle résonnait très suffisamment ; d'ailleurs le tuyau du chauffage lui-même paraissait conduire les sons. La fenêtre commençait à hauteur des yeux ; on voyait dans la cour sans avoir à se hisser par les barreaux. Ce n'était en somme pas trop mal.
À l’époque, nous avons fait l’histoire. Aujourd’hui, vous faites de la politique.
Car le mouvement était sans scrupules ; il roulait vers son but avec insouciance et déposait les cadavres des noyés le long des méandres de son cours. Son lit faisait de nombreuses boucles et bien des méandres ; c'était la loi de son être. Et quiconque ne pouvait pas suivre son cours sinueux était rejeté à la rive ; car telle était sa loi. Les mobiles de l'individu ne lui importait pas. Sa conscience n'importait pas au Parti, qui n'avait cure de ce qui se passait dans sa tête et dans son cœur. Le Parti ne connaissait qu'un seul crime : s'écarter du chemin tracé ; qu'un seul châtiment : la mort.
Selon ce que je connais de l'histoire, je vois que l'humanité ne saurait se passer de boucs émissaires. Je crois qu'ils ont été de tout temps une institution indispensable.
Mais comment peut-on, dans le présent, décider de ce qui se passera pour la vérité dans l'avenir ? Nous faisons oeuvre de prophètes sans en avoir le don.
Celui qui comprend et pardonne, où donc trouvera-t-il un mobile d'action ?
En nous montrant le but, montrez-nous le chemin,
Car l’enchevêtrement des moyens et des fins,
Veut qu’en changeant les uns vous transformiez les autres ;
Chaque nouveau sentier découvre un but nouveau.
Nous ressemblions aux grands Inquisiteurs parce que nous persécutions les germes du mal non seulement dans les actes des hommes mais aussi dans leurs pensées. Nous n' admettions l'existence d'aucun secteur privé, pas même dans le cerveau d'un individu.
Il est impossible de formuler une politique à force de passion et de désespoir.