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Arthur Koestler - le Zéro et l'infini - 1941 : " le zéro et l'infini" s'inspirait des procès de Moscou (1936-1938) qui permirent à Staline de purger les deux tiers de l'appareil soviétique par la mort ou la déportation. Il est prouvé que cette épuration fut la cause des défaites catastrophiques de 1941 et 1942 contre l'Allemagne nazi. En effet, le pays et l'armée se trouvèrent brusquement sans encadrement de valeur pour faire face aux exigences d'une guerre et seul l'hiver en immobilisant les forces ennemies leurs permis de gagner du temps pour faire émerger de nouveaux cadres et une nouvelle organisation. le titre du roman était censé définir la doctrine soviétique, le "zéro" pour signifier que l'individu n'était rien par rapport à "l'infinie" qui représentait le système. Tout cela bien sur était un leurre, l'appareil n'ayant été mis en place que pour satisfaire la mégalomanie de Staline. Roubachof est un dignitaire communiste, un de ceux qui ont fait la révolution au côté de Lénine et de Trosky, un de ceux qui pourrait se considérer comme intouchable. Pourtant, sans en connaitre les raisons il se retrouve emprisonné sous l'accusation de haute trahison. Aillant lui-même déjà mené des purges au nom du parti, il sait très bien que la machine est mise en place pour le broyer et que sa défense sera dérisoire. Arthur Koesler était un communiste qui petit à petit avait perdu la foi dans une doctrine qui loin d'émanciper les peuples les rendaient encore plus dépendants et serviles qu'au temps des tsars. A la suite d'un voyage en union soviétique, dégoutté par ce qu'était devenu son idéal, il décidait d'écrire ce livre accablant d'authenticité. C'était un véritable documentaire sur l'appareil répressif soviétique, un chef d'oeuvre qui connut un immense succès à sa sortie au Royaume-Unis en 1941 et, ce qui est plus étonnant, en France en 1945 alors que les communistes, acteurs principaux de la résistance, se désignaient comme le parti des cent milles fusillés. Ce livre est à recommander à tous car il atteint l'universalité de certain livre de Soljenitsyne sur le sujet et reste malgré les années un témoignage vivant et toujours actuel des exactions que commet une dictature pour survivre...
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" Un mathématicien a dit une fois que l'algèbre était la science des paresseux - on ne cherche pas ce que représente x, mais on opère avec cette inconnue comme si on en connaissait la valeur. Dans notre cas, x représente les masses anonymes, le peuple. Faire de la politique, c'est opérer avec x sans se préoccuper de sa nature réelle. Faire de l'histoire, c'est reconnaître x à sa juste valeur dans l'équation. "

Voilà, je suis devant le clavier et je suis toujours aussi hésitante à écrire un mot sur ce livre. Il y a quelques livres qui forment ma jeunesse et avec lesquels j'ai déménagé plus que de raison, celui-ci me suit depuis 1986, autant dire presque une éternité. Acheté adolescente pour comprendre et accepter, parce qu'il allait confirmer ce que je savais déjà. Sans doute est-ce la raison qui le fît rester dans la bibliothèque, sans cassure ni trauma. J'ai grandi dans une famille où il était de coutume de dire qu'il fallait voir rouge, on avait toujours le temps de rosir. le temps des nuances est arrivé avec l'adolescence, mais je ne voulais pas l'entendre. On n'aime pas les nuances à cet âge et on a honte de reconnaître qu'on en manquait. Alors qu'à la maison on était parti sur le mode ni dieu ni maître, une pincée d'anar là-dessus, moi je m'y perdais. Alors on m'embarquait écouter des conf sur l'utopie de Thomas. Plus j'y pense et plus je suis convaincue qu'on me nourrissait pour l'avenir, mais à quinze ans, moi je voulais du simple. Je crois que c'est pour ça que je ne l'ai pas ouvert mais je l'ai gardé parce que les graines de la raison et de l'humanisme étaient plantées. Je ne remercierais jamais assez mon père pour cette ouverture. Chez lui c'était si naturel, l'autre était presque lui et vise versa. Et puis il y a quelques jours, un babéliote a eu le mot qui donne l'action directe vers le zéro et L Infini, j'ai su que c'était le bon moment de l'ouvrir. Comme dit une autre babéliote, il y a une logique en tout, et je l'ai crue. Dire que j'ai apprécié cette lecture, oui évidemment mais d'une manière rationnelle, raisonnée, sans passion parce qu'il m'a fallu admettre que je ne puis savoir avec certitude dans quel camp je me serai retrouvée. Mais quarante ans, Roubachov, c'est peut-être un peu long pour enfin comprendre que " le facteur sans importance était devenu l'infini, l'absolu. "

Voilà, je suis devant le clavier et je sais quel mot écrire. En fait je tape sur le clavier comme d'autres ont tapé sur de la brique, et le chiffre pénètre, interprète. Et je repense à Babel 17 et je frappe :
" 2-5 ; 1-5 "
C'est exactement le mot qui me convient, parce que c'est un livre très personnel, qui me touche énormément. C'est une partie de mon histoire et de mes questionnements politiques, dont certains demeurent ...tout en nuances aujourd'hui.
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« Procès de Moscou ( 1936- 1938 ) : Tous les membres du Politburo du temps de Lénine furent jugés. à l'exception de Mikhaïl Kalinine et Viatcheslav Molotov. Et évidement de ...Staline.
Staline a arrêté ou fait exécuter la plupart des bolcheviks de la révolution russe de 1917. Sur les 1966 délégués du Congrès de 1934, 1108 sont arrêtés. Sur les 139 membres du Comité central, 98 sont arrêtés. Trois cinquième des maréchaux soviétiques et un tiers des officiers de l'Armée rouge ont été arrêtés ou/et fusillés. En dehors des prisonniers politiques, plusieurs millions d'autres sont morts durant les purges. L'accusé principal, Léon Trotski, (expulsé d'URSS en janvier 1929) a réussi à échapper aux procès du fait de son exil. Mais il fut retrouvé au Mexique par Ramón Mercader, un agent du NKVD qui l'exécuta avec un piolet le 21 août 1940 sur ordre de Staline. »
Le zéro : l'homme , l'infini : l'ensemble, l'état, l'union, l'empire, l'appareil.
L'homme : rien , l'infini : la cause.
Voilà toute la folie algébrique de tout régime totalitaire, de toute dictature.
Et plus l'individualité se soustrait plus l'homme se soumet.
Ici Staline, là un autre. Peu importe le symbole, le drapeau, l'hymne , le bruit des godillots , quelque soit la langue du credo. Au nom de la cause, de la vérité pleine et entière, au nom de la grande et unique lumière, au nom de l'ensemble, de grande machine sociale, du nouvel ordre national, de la grande cause mondiale, l'homme n'est plus que constituant, donnée, élément, ...constituant, et n'ayant pas à se constituer :il ne constitue rien. Individuellement : zéro, le néant. Voici donc l'algorithmique du système.
Mentir souvent, cacher souvent, éliminer beaucoup, dénoncer énormément, accuser , suspecter, épier tout le temps. Rapporter, juger, déporter, assassiner.
Mener, diriger, contrôler au point de ne plus même éprouver la nécessité de gouverner. N'en éprouver que son besoin. Car le besoin lui persiste, le besoin invente ses moyens. Jusqu'à ce que le le but en devienne même un moyen.
Autonomie du système ? , intelligence du système qui s'auto-régule ? En se créant, en s'inventant continuellement ; le système se dévore et se contamine. Il ne voit même si c'est son cerveau ou ses mains qu'il dévore. le prion qui rend fou.
La fin devant éternellement justifier tous les moyens. « Sainte Raison » que celle de la machine, que celle de l'appareil, du système, qui invente le concept d'un peuple , peuple qui n'est que multitude et non une unité. Concept que le système invente, peuple qu'il méprise, et qu'il désigne du doigt du haut de la tribune, et cela au nom de tous, mais évidement pour aucun d'entre eux ceux là, au nom du saint progrès qui ne cesse justement jamais de progresser et de maintenir sans cesse le peuple en retrait, au nom du bien de tous, et du mal de chien pour chacun, le système crée maintient déforme réforme l'ordre social qu'il établit, qu'il crée, qu'il réalise Pour son propre bien. Et non pour le bien de chacun. Puis le système perd son but, perd son bien. Perd sa raison, perd ses moyens.
Un ensemble d'individus ne crée pas un ensemble.
Un pays, une communauté, une classe, une famille, une entreprise, un couple, un système tout cela est une fiction. Fiction nécessaire au fonctionnement du groupe social auquel il est rattaché. Mais fiction. Tout ordre social est une fiction.
Tout va à peu près pour le mieux, tant que les individus jouent leur rôles dans la fiction. Réalité et fiction s'équilibre. Sphère public, sphère privée, Dans un certain ordre chacun vit ou survit comme il le peut ou au mieux comme il le veut. Tout va tant que chacun est en droit de penser, tant que chacun conserve son devoir de parole. Tant qu'il existe d'autres fictions, tant qu'on peut choisir sa fiction. Tant que la fiction sociale ne touche pas la réalité de l'homme, à son individualité. Tant que chacun peut lui même se réaliser. Ainsi l'équilibre peut il se maintenir. Ce n'est pas parfait, mais ça peut perdurer. Mais si un cap est franchi suite au relâchement de l'intelligence individuelle face à différents facteurs le plus souvent économiques  : la fiction sociale prend le pas. Et comme la fiction n'a pas d'intelligence, mais seulement une fonction, et donc pas de raison, le système s'emballe, peut devenir fou, devenir incontrôlable, rien ne peut plus arrêter le système, parce que le système est à présent en tout , est devenu tous, il a englobé la multitude des individualités. Il est un. Et un seul peut devenir tous. Et ce qu'il va dire, faire décider , entreprendre devra être considéré comme l'expression de la volonté de l'ensemble. Car seul « cet ensemble » sait ce qui est bon pour tous, pour chacun. Tous devront le reconnaître. L'Un n'est t il pas tous ? Tous ne se retrouvent ils par en l'Un ?
Voilà comment peut se créer un dictateur. Voilà comment peut s'implanter une dictature.
Abrutissement par la peur, abrutissement par le mensonge, abrutissement de la masse. Désertion de la volonté de toute intelligence individuelle. Tous marchent au même rythme, dans le même sens.
A ce compte le système a tôt fait de repérer l'opposant. Celui qui ne marche pas. Ou alors pas du même pas.
Et puis si besoin, on en désigne, on en invente pour l'exemple, pour bien instruire le peuple, ou pour lui donner une explication qu'il peut comprendre afin que le système justifie certaines de ses imperfections pour mieux les dissimuler.. Pour le bien de tous.
Le quota aluminium n'est pas atteint ? sabotage. le rendement des terres est insuffisant ? Sabotage. de l'intérieur, de l'extérieur. La paranoïa est injectée. L'ennemi est partout. Il est dans tout. Il peut être chacun. Il peut même être à la tête du système. le système le sait mieux que tous. Alors le système s'ampute la tête. Pour l'exemple. Et on en arrive à convaincre les morceaux amputés qu'ils doivent l'être pour le bien de tous, même s'ils sont sains, voilà comment certains martyres ne deviennent pas des saints. du moins pas tout de suite. Si le système en a besoin… on verra...le traitre d'aujourd'hui sera peut être le martyre de demain, dans un sens ou dans l'autre, selon le besoin.
On se dit c'est impossible. Ce n'est qu'une fiction ! Un cauchemar ?
Non une réalité pour chacun.
Tels furent les procès de Moscou. Une mascarade. Une terrible, épouvantable mascarade.
Ce qui est assez étonnant c'est que ce livre a paru en France dès 1945.
En novembre 1956, les tanks soviétiques attaquèrent Budapest. Certains commencèrent alors seulement à réaliser ce que Staline signifiait.
Certains décidèrent de changer de fiction. Autre système.. Qu'en est il resté de leur réalité ?
Il y a peut être différentes raisons de penser comme il doit exister peut être différentes façons de marcher. ..Mais il ne doit y avoir qu'une réalité pour chacun , celle de chaque homme et de sa liberté.

Astrid Shriqui Garain

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Arthur Koestler dénonce comment la dialectique peut mener à tout pour justifier l'inacceptable. Un classique sur les procès de Moscou des années 1930.
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Je ne crois pas aux coïncidences.

Pendant que mon mari lisait "Le fracas du temps", le dernier roman de Julian Barnes traitant de la problématique de l'art officiel sous un régime totalitaire, ma petite-fille Camille me passait ce célèbre roman d'Arthur Koestler, écrit entre 1938 et 1940 et publié en France en 1945 : le Zéro et l'Infini. Un livre que j'aurais dû lire depuis mon adolescence, avec « le meilleur des Mondes » et « 1984 ». Mais lorsque j'avais l'âge de Camille, il suffisait qu'on me recommande un livre pour qu'il me tombe des mains. C'était cependant drôlement « crâne » de publier un tel roman en 1945 alors que toute la République des lettres encensait le Petit Père des Peuples, celui qui avait terrassé la Bête Immonde !!!

Je n'avais pas besoin d'un livre pour savoir dans les grandes lignes ce qui se passait derrière le « Rideau de Fer » puisque mon père, courrier diplomatique, se rendait très régulièrement à Moscou et dans les capitales des républiques-soeurs de la patrie du Prolétariat. J'étais même allée en 1962 rendre visite à des amis de mon père à Moscou et à Léningrad, toute seule et munie de maintes recommandations de comportement … En réalité, la prise de conscience politique de l'ambiance totalitaire soviétique m'est réellement venue en 1970, avec le film de Costa-Gavras « L'aveu », d‘après le livre d'Artur London. Vingt-cinq ans après « le Zéro et l'Infini », donc !

Avec la maturité et l'expérience, j'ai tout de suite été happée par l'histoire de ce révolutionnaire de la première heure, Nicolas Salmanovitch Roubachof, intellectuel dans la soixantaine, petit bouc bien taillé et pince-nez, ancien compagnon de Lenine, ex-membre du Comité Central, envoyé en mission diplomatique à l'étranger, dirigeant de l'industrie stratégique de l'aluminium, qui a plusieurs fois été arrêté et emprisonné en Allemagne du fait de ses activités subversives en 1933 et qui se retrouve soudain en cellule, en route pour un procès à grand spectacle dont il n'ignore nullement le dénouement fatal.

Car il sait pour l'avoir pratiqué envers certains de ses collaborateurs que « l'acte de mourir n'était en soi qu'un détail technique sans aucune prétention à intéresser qui que ce soit. La mort, en tant que facteur dans une équation logique, avait perdu toute caractéristique corporelle ultime. »

Ce que veut le Parti en la personne de son N°1, celui dont le portrait moustachu surveille chaque salle d'interrogatoire (le nom de Staline n'est jamais prononcé, un peu comme celui de Voldemort !), c'est non seulement éliminer tous ceux dont la pensée est considérée comme dissidente (nous somme en 1938, le temps des grandes purges et des procès montés de toutes pièces sous des prétextes variés), mais faire en sorte que ces victimes s'humilient en avouant ces crimes qu'ils n'ont jamais commis, fassent leur autocritique afin d'instruire les masses. Pendant plusieurs jours, plusieurs nuits, Roubachof subit les interrogatoires où les moindres de ses déclarations ou actions passées, conversations épiées, confidences trahies, sont déformées.

Ses tourmenteurs – d'abord son ancien camarade de la Guerre civile Ivanof, puis, celui-ci ayant été liquidé pour son attitude indulgente, le froid Gletkin – ne vont pas le brutaliser physiquement ; simplement le priver de sommeil jusqu'à ce qu'il cède, avoue puis fustige son action destructrice contre-révolutionnaire au service d'une puissance ennemie. D'ailleurs, Roubachof connaît fort bien cette dialectique pour l'avoir pratiquée lui-même. Mais c'était alors pour lui une abstraction, la « fiction grammaticale ». Là, soudainement, il ressent une réalité physique existant dans son propre corps. Il comprend enfin ce que signifie « JE » ; le Zéro, par rapport à l'Infini : le Parti.

Pour une organisation totalitaire, la fin justifie les moyens. L'exemple-type est emprunté à la Terreur sous Robespierre. Quiconque s'oppose à la dictature doit accepter la guerre civile comme moyen. Quiconque recule devant la guerre civile doit abandonner l'opposition et accepter la dictature …

Mettre à jour de telles notions historico-philosophiques est particulièrement nécessaire dans les périodes troublées que nous vivons aujourd'hui. La foi de ceux qui sont persuadés de détenir la vérité envers et contre tout et sont prêts à sacrifier des pans entiers de l'intérêt général au bénéfice d'une idéologie farouche – de droite comme de gauche – m'effraie. Esprit des Lumières, où es-tu ?
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« Les personnages de ce livre sont imaginaires. Les circonstances historiques ayant déterminé leurs actes sont authentiques. La vie de N.-S. Roubachof est la synthèse des vies de plusieurs hommes qui furent les victimes des soi-disant procès de Moscou. Plusieurs d'entre eux étaient personnellement connus de l'auteur. Ce livre est dédié à leur mémoire. »

Ainsi commence le zéro et l'infini d'Arthur Koestler. On y suit le parcours d'un haut responsable du parti communiste russe N.S. Roubachof de son arrestation à sa condamnation. Nous sommes en Russie sous Staline à l'époque des grandes purges et des procès de Moscou. Roubachof est un « ancien » du parti, il a participé aux Révolutions de 1917 et, de ce fait, est fortement imprégné des idéaux révolutionnaires de l'époque, idéaux que Staline a, selon lui, trahi. Roubachof s'engage alors dans l'opposition mais finit par être démasqué.
Les interrogatoires qu'il subit et les périodes qu'il passe dans sa cellule sont l'occasion de revenir sur son action, ses choix, sa vision de ce qu'est devenue la Révolution.

A travers ce récit, Koestler décortique la mentalité des partisans du régime stalinien et celle de ses opposants. L'analyse qu'il fait du régime se base sur le titre même du récit : le zéro représente alors la place de l'individu au sein de la société communiste russe, l'être humain en tant qu'entité individuelle n'existe pas et doit se sacrifier au bénéfice de la communauté : l'infini. La communauté est tout et l'individu n'est rien. A partir de cette « philosophie », tout est alors excusable, peu importe que certains meurent de famine, peu importe que d'autres soient arrêtés et condamnés arbitrairement, tant que tout cela participe au bien collectif.

Pour les partisans du régime, l'URSS est une grande expérience unique dans le monde et dans l'Histoire. Et une expérience n'est pas complètement prévisible et peut amener à faire des erreurs. Mais seule l'expérimentation permet d'évoluer. Peu importe les dommages collatéraux, la fin justifie les moyens.
« Chaque année plusieurs millions d'humains sont tués sans aucune utilité par des épidémies et autres catastrophes naturelles.[…] La nature est généreuse dans les expériences sans objet auxquelles elle se livre sur l'homme. Pourquoi l'humanité n'aurait-elle pas le droit d'expérimenter sur elle-même ? »

De son côté Roubachof couche par écrit ses propres réflexions, tente de comprendre comment l'idéal révolutionnaire original a pu dévier vers un régime politique autoritaire où les libertés ont disparu, il élabore des théories que ses accusateurs critiquent par la suite apportant leurs propres contre-arguments. le tout est extrêmement intéressant, pousse le lecteur à réfléchir et à se poser des questions.

J'ai trouvé ce récit extrêmement fort et poignant. J'ai adoré le personnage de Roubachof, qui loin d'être un héros, se comporte en humain avec ses forces et ses faiblesses. Il témoigne également de la grande difficulté à assumer ses idées et ses opinions dans un régime aussi oppressif et répressif, comment sauver sa tête sans en dénoncer d'autres ? J'ai admiré la force et l'intelligence avec laquelle il a résisté et répondu à l'interrogatoire de Gletkin, Gletkin modèle parfait de l'agent russe endoctriné et appliquant à la lettre toutes les ruses du système pour faire avouer aux condamnés des faits qu'ils n'ont jamais commis. Roubachof démonte les arguments de Gletkin en en faisant ressortir l'absurdité et l'incohérence donnant des passages assez jouissifs à la lecture.

Une scène m'a particulièrement touchée, c'est celle où à l'occasion d'une promenade au sein du centre de détention, Roubachof échange quelques mots avec un nouvel arrivé, occupant de la cellule à côté de la sienne. le pauvre homme est originaire d'un « petit état du sud-est de l'Europe » où il a passé vingt ans en prison avant d'être envoyé en Russie. Il semble avoir perdu l'esprit mais pourtant cet échange entre lui et Roubachof est très révélateur de la désillusion qu'ont connu nombre de soviétiques à l'époque :
« Je n'y peux rien, dit-il à voix basse. On m'a mis dans le mauvais train.
- Comment ça ? demanda Roubachof
Rip van Winkle lui sourit de son air doux et triste.
« A mon départ, ils m'ont emmené à la mauvaise gare, dit-il, et ils ont cru que je ne m'en étais pas aperçu. Ne dites à personne que je le sais. »
La Russie telle qu'elle est en réalité est bien loin de l'image de la Russie soviétique idéale telle que la véhicule la propagande communiste.

Le Zéro et l'infini est un récit extrêmement stimulant intellectuellement, le fait qu'il se base sur des faits réels en accroit d'autant plus la force et l'intérêt. Koestler a effectué là un travail remarquable et cet ouvrage devrait être plus connu et plus lu qu'il ne l'est. le style est agréable, on sent la maîtrise de l'argumentation, la logique du texte et l'intelligence de celui qui l'a écrit. Voilà un livre que je relirai assurément et qui gagnerait à être étudié et davantage lu.



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Si le communisme, et le stalinisme en particulier, n'ont pas perduré longtemps à l'échelle de l'Histoire, ils ont néanmoins inspiré une série d'auteurs de talent : Orwell, Soljenitsyne, Koestler, … Koestler a été un précurseur dans la dénonciation de ce qui se passait réellement en URSS, ce qui lui a d'ailleurs valu un accueil très froid en France.

Le roman raconte l'histoire de Roubachof, ancien cadre du parti emprisonné aujourd'hui pour sabotage, complots, actes anti-révolutionnaires, et tout le lot d'accusations habituel. Roubachof se fait peu d'illusions sur son sort : il sait très bien qu'une fois pris entre les mâchoires de l'appareil répressif soviétique, on en sort rarement indemne.

Il faut dire que Roubachof connaît très bien les mécaniques du système, pour les avoir utilisés plus d'une fois lorsqu'il était encore en état de grâce. En faisant le point sur sa vie, il remarque qu'elle n'a été qu'une succession de trahisons, de lâchetés, d'exécutions sommaires, pour servir la doctrine soviétique et, accessoirement, sauver sa peau. C'est presque avec soulagement qu'il accueille son inévitable condamnation, qui mettra un terme à la comédie qu'a été sa vie.

Mais le parti n'envisage pas de le laisser s'en tirer à si bon compte. Il ne lui suffit pas d'éliminer les éléments indésirables, il faut encore les briser et leur faire admettre avec un repentir sincère qu'ils ont eu tort sur toute la ligne.

La vie sous un régime communiste a dû être particulièrement marquante, car tous les auteurs que j'ai lu sur le sujet sont capables de disséquer avec précision la vie quotidienne et ce qui se passe dans la tête du citoyen moyen. Koestler nous décrit ici toute la « mythologie » soviétique : la certitude absolue d'être les premiers à comprendre le sens de l'Histoire et de pouvoir l'orienter, d'avoir d'avoir la capacité d'instaurer le paradis sur Terre, et que pour cette raison, la fin justifie tous les moyens. le Parti ne peut jamais être pris en défaut : si les faits lui donnent tort, il faut changer les faits, ou réécrire les prédictions faites à l'époque ; si des objectifs ne sont pas atteints, il faut trouver des saboteurs ou des traîtres, d'autant plus haut dans la hiérarchie de l'état que l'échec est grand. Koestler décrit également l'espèce de schizophrénie qui touche tous les membres assez haut placé : fabriquer des preuves et des témoignages de toute pièce, et en même temps les professer comme des vérités absolues.

L'ambiance du roman est assez oppressante, mais avec de tels auteurs, on a l'impression de connaître intimement le stalinisme sans jamais l'avoir vécu.
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Koestler , avec ce livre , mettra mal à l'aise tous ceux qui peuvent encore penser que le citoyen (le zéro ) est la prunelle des yeux du pouvoir ( l'infini ) . Certes le cadre dans lequel se déroule l'histoire est celui d'une dictature ( à tort nommée " du prolétariat " ) mais le terme "démocratie " qualifiant la plupart de nos états n'est-il pas aussi inapproprié ?

On repense à la lecture de ce livre à "L'aveu " d'un autre Arthur ( London ) , aux " récits de la Kolima " de Varlam Chalamov ainsi qu'à la vie d'Imre Kertész .

La psychologie des personnages est chirurgicalement analysée .

Inspirés de faits authentiques , cette fiction démontre combien l'individu peut être sacrifié pour la raison d'état et comment la propagande se fera fort d'inculquer aux masses que le pouvoir agit en son nom à juste titre .

Cette lecture qui parle de faits et temps anciens me semble pourtant d'actualité et mériterait d'être lue pour ouvrir les yeux du peuple aux réalités politiques ( loin de celles que nous serinent les médias traditionnels .
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Roubachov est un ancien de la révolution et du parti communiste soviétique.
Il s'est battu, il a eu des responsabilités…
Mais les temps au changé.
Il faut accabler ceux qui sont maintenant des contre-révolutionnaires.
Ceux qui sont « contre » Staline et la nouvelle garde du parti.
Emprisonné, Roubachov doit-il s'incliner ? avouer ? se révolter ?

Véritable plongée dans un système totalitaire à l'arithmétique spéciale.
L'individu est un voire zéro car quand on divise par le peuple par un million, il ne reste rien. Rien qui n'a de valeur.
Roubachov sait que sa vie est en jeu. Il est condamné d'avance.
Il a le choix entre un traitement administratif ou un procès.
Un procès de l'ère Stalinienne.

Dans sa cellule, il se souvient quand lui-même, pièce du jeu politique, il excluait ceux qui déviaient de la « doctrine » d'alors.
L'isolement le conduit à réfléchir sur la révolution, le mouvement, la politique, le peuple.

À quel moment, la « raison » révolutionnaire s'est-elle dévoyée ?
Le parti a-t-il jamais compris et représenté le peuple ?
La fin justifie-t-elle les moyens ?
Moyens effroyables. On a fusillé, envoyés dans des camps pour prétendu sabotage, contre-révolution.

> Il n'existe que deux conceptions de l'éthique humaine, et elles sont diamétralement opposées. L'une est chrétienne et humaniste, elle proclame que l'individu est sacro-saint et affirme qu'on n'a pas le droit de faire de l'arithmétique avec du sang. L'autre repose sur le principe fondamental que le but collectif justifie les moyens, que non seulement il autorise, mais exige qu'on soumette l'individu à la communauté, de toutes les manières possibles, qu'on en fasse un cobaye ou un agneau sacrificiel

Quels genres d'homme peut sortir de cela. Qui est l' « homme nouveau soviétique » ?

> Nous savons que l'histoire ne se soucie pas de la morale et qu'elle laisse des crimes impunis, mais que toute erreur a des conséquences et se paie jusqu'au septième descendant.

Le livre a une portée plus universelle que la simple peinture des purges staliniennes.
Il est beaucoup question de l'usage global de la violence, du rapport au peuple, de la capacité du peuple à résister, de sa maturité face aux changements de la société

> Tout progrès technique entraîne une complexité accrue du processus économique, l'apparition de nouveaux facteurs et de nouvelles intrications que, dans un premier temps, la masse n'est pas capable de discerner et de comprendre. Tout progrès technique subit entraîne donc dans un premier temps une régression intellectuelle relative des masses, une chute du thermomètre politique de la maturité

Vaste sujet que la maturité du peuple

> le niveau de maturité politique d'un peuple détermine la dose de liberté individuelle qu'il est capable de conquérir et de conserver

Roman de son époque, il est pourtant terriblement contemporain

> Nous sommes indiscutablement confrontés ici à un mouvement pendulaire de l'histoire, de l'absolutisme à la démocratie et, dans l'autre sens, de la démocratie à la dictature absolue.

Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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J'ai lu avec beaucoup d'intérêt dans cette nouvelle traduction ( j'avais lu le livre une première fois il y a 30 ans et je me souvenais presque de rien, j'ai eu un peu honte...). le personnage principal est isolé dans une cellule, en attendant d'être - longuement, très longuement- interrogé par le NKVD. Il communique ponctuellement avec ses voisins en tapant sur les murs et cela donne lieu aux rares dialogues détendus (si non peut dire) du livre. On est à Moscou dans les années 1930, ce sont les procès de Moscou. Enfin on le suppose car le livre donne tantôt des éléments précis sur l'URSS, et parfois se situe dans un pays à la limite de l'invention. Staline est d'ailleurs appelé N°1 dans le livre. La Sibérie n'est pas nommée en tant que telle. J'imagine que cela contribue à la portée universelle de ce livre qui précède 1984 dans la dénonciation puissante du totalitarisme, même si le livre n'englobe pas exactement nazisme et stalinisme.
le livre constitue une vaste et ambitieuse réflexion sur les moyens que l'on peut employer au nom de ses idées, dans le cadre par exemple d'une révolution. Il y a vraiment des pages exceptionnelles à ce sujet. On sera presque surpris de voir Dostoïevski (celui de Crime et Châtiment) cité dans le texte pour argumenter en faveur de l'humanisme, quand on a pris l'habitude, récemment de limiter ce grand auteur à ses sentiments excessivement nationalistes.
le livre est incontestablement beau et tragique. J'ai été sensible aux pages décrivant par ailleurs les amours du narrateur avec une secrétaire, moment de poésie douloureuse dans un univers terrifiant.
Toutefois je n'ai pas été sensible à toutes dimensions du livre et j'ai trouvé un peu datées certaines pages qui tendent à ressembler à une dissertation de philosophie.
Néanmoins j'ai été impressionné par cette dénonciation puissante du totalitarisme soviétique.
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