C'est l'un des romans dont j'avais noté le titre sur ma liste à lire - forcément puisqu'il est question de l'Ukraine - sans avoir pu trouver ni le temps ni l'occasion de le lire : encore une fois Netgalley et la maison d'édition Aux forges de Vulcain ont exaucé mes voeux en le proposant à la lecture. Je n'avais pas non plus pris le temps de m'intéresser à Alexandra Koszelyk avant de lire ce quatrième titre hormis une rencontre zoom via vleel il y a quelques semaines de cela. A priori, ce n'est pas la première fois qu'elle évoque le pays d'origine de sa famille. A crier dans les ruines, son premier roman, qui a reçu toute une flopée de prix, avait quant à lui pris ses marques à Tchernobyl. La guerre en Ukraine semble cette fois avoir stimulé son imagination de romancière, concentrée autour de cette volonté sans faille du dictateur russe de changer et modeler la réalité selon son propre narratif.
Je l'annonce de but en blanc : l'idée qui fut celle de Alexandra Koszelyk, je la trouve totalement géniale. K. notre fameuse archiviste, plongée dans la guerre, comme chaque Ukrainien, réfugiée au creux de ses archives de la bibliothèque, est surprise et contactée par un homme aux allures patibulaires. Celui-ci ne manque pas de l'intimider et de proférer un chantage odieux, en échange de la vie sauve de sa soeur, K. devra modifier les documents historiques de l'Ukraine que celui-ci lui transmet. Ce ne sont pas n'importe quels documents, ce sont un vitrail, des poèmes, des peintures, des photographies, des témoignages des plus grands artistes d'Ukraine. Modifier, effacer, réécrire l'histoire et l'identité de l'Ukraine pour de nouveau la rattacher à cette grande soeur toxique, dominatrice et envahissante, jamais nommée précisément dans le récit.
À chaque visite du fâcheux individu, à chaque oeuvre falsifiée, la mémoire et l'histoire, l'identité de l'Ukraine sont encore un peu plus profanées. Si Alexandra n'a pas souhaité s'attarder sur la violence des combats, les pertes, les blessés, les estropiés, les femmes violées, elle a choisi de se concentrer sur la culture ukrainienne, que la Russie, l'Empire ou la fédération, l'Union, s'emploie méthodiquement à annihiler depuis des siècles, à commencer par la langue ukrainienne, et ses villes qui viennent tout juste de retrouver leur identité vernaculaire : Kyiv, Kharkiv, Lviv... C'est ici une excellente occasion de découvrir les symboles forts du pays de ses racines que l'auteur se plaît à commémorer de façon très pittoresque et métaphorique, malgré tout, se refusant à tout prix à nommer l'ennemi voisin qui s'incarne en un sinistre Méphistophélès. De même,
l'archiviste ne porte ni nom, ni prénom, tout juste un K. mystérieux - le K de Koszelyk ? - que pourrait porter n'importe qui aussi bien l'auteure que tout autre Ukrainien en charge de la mémoire de son pays.
Il y a cette culture à préserver dans l'antre de
l'archiviste K, il y a les combats extérieurs pour défendre le pays et ses habitants, où sa soeur Mila s'est retrouvée mêlée. Et si Alexandra Koszelyk y fait une brève excursion et ne manque pas de nous mettre un bon coup de semonce sur la tête - l'image de la mère et son bébé reste gravée -, la violence de cette culture victime des coups de griffe mesquins et sournois et répétés de l'homme au chapeau est aussi retentissante. Elle illustre l'inversion accusatoire d'un homme qui prend une prétendue dénazification du pays pour attaquer son autonomie. Elle illustre la méthode employée pour enlever toute aptitude et tout droit à revendiquer une identité propre à cette Ukraine, une méthode d'effacement qui s'applique aux individus. Ce n'est pas tant le dénouement qui me marquera, parce qu'on se l'imagine peu à peu au fur et à mesure de la progression de notre lecture, mais le processus qu'Alexandra Koszelyk a mis sur pièces pour illustrer ces méthodes de déculturation. Sans oublier cette forme de résistance, dont K.
l'archiviste fait preuve. Une résistance qui nécessite un sacrifice plein et entier immédiat pour, peut-être, une libération future.
Un récit qui remet à jour les symboles forts de l'Ukraine et les méthodes d'appropriation culturelle que se font fortes d'utiliser les pires dictateurs : s'il fallait le rappeler, le tout dernier épisode de rectification historique, sur la révolution de Maïden, démontre à quel point c'est aussi cette volonté de se rapprocher de l'Europe qui a mis le feu aux poudres d'un pays à l'impérialisme exacerbé. Ce qu'il faut retenir du récit de Alexandra Koszelyk, c'est cette forme impressionnante de résistance, dont font preuve les Ukrainiennes et Ukrainiens depuis le début du conflit, symbolisée par l'action en double de K. menée par un président qui s'est ainsi redonné une vraie forme de légitimité de leader solide et sans faille. Et cet espoir que la mémoire et l'intégrité du pays retrouvent son bien-fondé malgré l'acharnement du voisin à la reléguer aux oubliettes.
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