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EAN : 9782757890974
264 pages
Points (07/10/2022)
3.78/5   106 notes
Résumé :
Au cimetière du Père Lachaise, des racines ont engorgé les canalisations. Alors qu'il assiste aux travaux, Florent s'égare dans les allées silencieuses et découvre la tombe de Guillaume Apollinaire. En guise de souvenir, le jeune homme rapporte chez lui un mystérieux morceau de bois. Naît alors dans son coeur une passion dévorante pour le poète de la modernité.
Entre rêveries, égarements et hallucinations vont défiler les muses du poète et les souvenirs d'un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (52) Voir plus Ajouter une critique
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C'est à partir des amours nombreuses de Guillaume Apollinaire qu'Alexandre Koszelyk construit ce roman lyrique.


Le narrateur perd quelque peu le contact avec la réalité à la suite d'une déambulation au Père-Lachaise. de l'attitude de son chat, au prénom de sa compagne, de multiples indices le contraignent à penser qu'il est en lien spirituel avec l'auteur du pont Mirabeau. C'est ainsi, de signes en signes, que les passions successives du poète sont évoquées, à partir de ses poèmes et de ce que l'on connait de sa biographie.

Une dernière partie consacrée à Gaïa, la dixième muse et se décentre peu à peu du mythe de la création de la Terre pour en arriver au destin d'Apollinaire, et de sa connexion avec la nature est particulièrement les arbres.

C'est un roman beaucoup plus lyrique que A crier dans les ruines, qui permet à l'auteur de témoigner de l'étendue de sa culture littéraire.
L'écriture est travaillée, recherchée mais accessible.

Une façon agréable et originale d'aborder la biographie du poète.

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«Le frère que je n'ai jamais eu»

Pour son second roman, Alexandra Koszelyk a imaginé un jeune homme qui se passionne pour Apollinaire et finit par retrouver dans les vers et la vie du poète toutes ses failles intimes. Vertigineux!

Philippe, qui sait que Florent traverse une période un peu difficile, lui propose de venir avec lui au cimetière du Père-Lachaise où l'on requiert ses services. Florent accepte de l'accompagner dans ce poumon vert de Paris et, en déambulant entre les tombes, découvre celle de Guillaume Apollinaire. Un nom qui lui rappelle ses cours de français.
Rentré chez lui, il décline l'invitation de Louise, sa compagne, pour une soirée télé et cherche les recueils du poète qu'il n'avait plus ouvert depuis des années. En parcourant Alcools et Lettres à Lou, il est émerveillé. Tout comme l'était Picasso qui a lui aussi pris la direction du cimetière pour accompagner son ami qui, de son vrai nom s'appelait Kostrowitzky (avec des k y z comme Koszelyk), vers sa dernière demeure. Emporté par la grippe espagnole deux jours avant l'armistice, le 9 novembre 1918, le poète laisse le peintre démuni. Il ne refera plus le monde avec lui.
Au réveil, Florent n'a pas oublié ses lectures, même s'il se sent vaseux. Il se décide alors à prendre l'air et s'arrête dans une librairie pour y dénicher une biographie de l'auteur qui désormais l'obsède. Feuilletant Apollinaire et Paris, il va essayer de mettre ses pas dans ceux du poète, se rend au Café de Flore. Mais au moment de partir, il est heurté par une bicyclette et finit à l'hôpital. À son réveil Louise ne comprend pas ce qu'il lui raconte, quelle est cette Marie Laurencin? Quel atelier de peintre évoque-t-il? Tout s'embrouille...
Une vieille dame lui confie une enveloppe, souvenirs d'une «polack» qui a suivi Olga aux obsèques de son fils Guillaume. Puis il rêve de Madeleine Pagès, la maîtresse qu'Apollinaire a suivi à Oran avant de rompre. Florent est désormais habité par cet homme, le frère qu'il n'a jamais eu, et court à la bibliothèque de Beaubourg dès qu'il a une minute pour tout apprendre de lui, de ses amours, de ses oeuvres, des lieux qu'il a fréquenté. de sa naissance à sa mort, plus rien de la vie du poète ne lui échappe. Il peut aisément dresser la liste des neuf muses qui l'ont entouré, se son premier amour à cette épouse qui le conduira à sa dernière demeure. Une liste à laquelle viendra s'ajouter Gaia.
Car Alexandra Koszelyk a trouvé La dixième muse, celle qui lie Gui à la nature, celle que nous avons oubliée dans notre folle course au progrès.
Quel plaisir de retrouver ici la plume inventive et les fulgurances de la romancière qui nous avait offert avec À crier dans les ruines, un superbe premier roman. Elle confirme ici tout son talent, jusque et y compris avec un épilogue aussi surprenant que poétique.


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Guillaume Apollinaire de Kostrowisky et ses poèmes à Lou, lus et relus, à une époque, et récemment pour aider ma fille à concevoir une anthologie sur l'Amour et la Guerre. Ils sont de belles déclarations à sa muse aimée qui fut pour Apollinaire un véritable soutien psychologique, une évasion salutaire qui lui a donné le courage d'affronter les dures réalités de la Première Guerre Mondiale.

J'ai aimé lire ses poèmes, comme j'ai aimé retrouver Apollinaire dans cette bio-fiction originale que nous propose Alexandra Koszelyk. Elle redonne vie à Apollinaire (à d'autres également) qui nous parle de ses amours, de ses relations d'amitié avec Pablo Picasso et Henri Rousseau, de son vécu militaire. le fantôme de Guillaume Apollinaire, quant à lui, hante Florent, personnage mélancolique de ce roman, en proie à ses démons et qui va se laisser prendre dans les filets d'une douce, fascinante et ésotérique voix, au point que ce dernier semblera, pour le lecteur, flirter avec la folie. Mais c'est pourtant dans les pas de Guillaume Apollinaire que Florent trouvera un semblant de paix.

« Grâce à la vie du poète, à ses écrits, je m'affranchissais désormais de mes anciennes souffrances, elle dissipait ce vide qui me hantait depuis l'enfance et dont je n'avais jamais cicatrisé : l'absence de ma mère. »

La construction de ce roman en fait sa force, l'idée de cette dixième muse est superbe ! Mais je ne vous en parlerai pas ici... À vous de la découvrir, de vous laisser bercer par sa voix, par ses charmes. Elle est l'inspiration, elle est notre muse aussi.

« Depuis mon réveil, dans cette forêt de Stavelot, pas un seul jour n'était passé sans que j'eusse écouté ses poèmes : sa musique sur le monde pansait mes cicatrices aux boursouflures éternelles. Les hommes n'avaient-ils pas saisi l'importance d'Apollinaire, lui qui racontait l'amour, qui posait un regard nouveau sur les choses, qui magnifiait et métamorphosait le réel, qui agissait avec la même philosophie qu'un arbre, qui transmettait un message de la manière la plus libre, sans ponctuation, se délestant des atrocités du réel, se riant de tous les risques, même ceux de la guerre ? »

Un très beau roman, une belle histoire empreinte de magie, une ode à l'amour, à la poésie, à notre environnement naturel. Ouvrir ce livre, c'est accepter de lâcher-prise, de se laisser entraîner dans un voyage onirique, de déambuler lentement d'une époque à l'autre.

« le poète pose un autre regard sur la vie : il la tord, la malmène, l'embellit. Il ose le symbole, rapproche deux réalités et crée un monde nouveau. »
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Pour rendre service à son ami Philippe, qui n'a pas de moyen de transport, Florent se retrouve au cimetière du Père Lachaise un jour triste de novembre. Il a perdu son père quelques mois auparavant et son ami cherche à le distraire par tous les moyens.
Désoeuvré, en attendant que Philippe ait fini son travail, Florent erre parmi les tombes. Les souvenirs douloureux des derniers jours de son père remontent à la surface. Voilà que peu à peu, il tombe sous le charme du lieu, et qu'en suivant un chat, il se retrouve devant la tombe de Guillaume Apollinaire. Il ramènera de sa balade dans le cimetière un bout de bois que Philippe vient de couper, sur lequel les cernes de croissance sont visibles et marquent les saisons, mais sur celui-ci, la belle saison semble éternelle.
A partir de ce jour-là, connaître la vie de Guillaume Apollinaire (Gui ou Kostro pour les intimes) va devenir pour Florent une véritable obsession d'autant plus qu'il semble en lien spirituel avec le poète...

Mon avis
Le choix de nous faire connaître la vie du poète à travers le regard de ses proches, est tout à fait intéressant.
L'auteur donne la parole en alternance à Florent qui nous raconte son quotidien et à un ami, une muse ou une autre personne faisant partie de la vie du poète. Ainsi le lecteur découvre le ressenti de Pablo Picasso, du Douanier Rousseau, de Marie Laurencin, Madeleine Pagès, de Lou (Louise de Coligny), de Jacqueline son épouse, puis Ruby...toutes ces personnes nous parlent du poète, de ce qu'il leur a apporté, de leur séparation, de la vie quotidienne avec lui.
Le roman ne suit pas une chronologie précise puisqu'il suit les découvertes faites par Florent, ses hallucinations lorsqu'il se trouve dans un lieu, ou lorsqu'il fait d'improbables rencontres, ses rêves éveillés ou nocturnes. Les deux vies de Guillaume et de Florent s'entremêlent au point que par moment la lecture demande beaucoup d'attention pour démêler le réel du rêve.
J'ai aimé ce que Florent nous apprend sur son enfance, ses blessures, la mort de sa mère, le silence de son père, les manières un peu brutales dont celui-ci fait preuve pour le faire grandir (comme le "larguer" seul dans la forêt en lui demandant de retrouver la voiture sans aucune aide extérieure).
J'ai aimé, bien que je sois restée simple spectatrice, le fait de mieux connaître la vie et les amours d'Apollinaire, son enfance, ses blessures, son engagement durant la guerre et bien entendu ses derniers instants. N'ayant pas fait d'études littéraires, je connaissais seulement quelques épisodes de sa vie.
J'ai été conquise par l'étendue de la culture de l'auteur, heureuse de relire entre les pages des poèmes d'Apollinaire, des extraits de lettres, des citations.
J'avais beaucoup aimé le premier roman de l'auteur, "A crier dans les ruines" et j'ai donc abordé cette lecture avec grand plaisir. J'avais hâte en effet de retrouver la plume à la fois plaisante, poétique et très fluide de l'auteur.
Je savais que ce roman serait aussi un hymne à la nature, tant vantée par le poète. Sur ce plan-là je n'ai pas été déçue.
Je sors pourtant de cette lecture avec un avis mitigé, car j'ai été déçue par la dernière partie du livre qui représente pourtant peu de pages.


Est-ce le style trop "scolaire" à mon goût de ces quelques pages ? L'impression que l'auteur a voulu étaler sa culture ? Je n'ai pas la réponse et vous me connaissez, je privilégie toujours la sincérité.

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Abandon à une centaine de pages. Florent, après avoir vu la tombe de Apollinaire, devient obsédé par le poète au point de négliger sa thèse, s'imaginer avec une de ses maîtresses alors qu'il est dans les bras de sa femme, etc. Ça passe du coq à l'âne, au point de souvent me faire décrocher.
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INCIPIT
C’est là, ça serpente, caché de tous, sous nos pieds, à l’image de ces millions de fourmis qui peuplent les forêts, ça monte lentement, en silence, comme ces chants que personne n’entend, les feuilles se gorgent puis éclatent comme un feu d’artifice qui prendrait tout son temps. Fil ténu relié au reste du monde qui monte en cadence jusqu’à l’explosion finale. Bientôt, les feuilles bordent l’allée de leurs verts flamboyants et forment une arche protectrice.
Alors seulement on la voit, on prend conscience de son éclat. Elle, la taiseuse qu’on délaisse ou abandonne, crie ses invisibles appeaux. C’est l’heure de sa revanche, de sa révélation. Il est des naissances qui mettent une vie à se réaliser, il lui aura fallu quelques millénaires pour appréhender qui elle était. Mais elle est bien là. La Nature vibre et apporte aux hommes son abondance. Chaque arbre de chaque rue de chaque pays sur chaque continent porte ses fruits, fier et triomphant, comme ces mères qui offrent leur sein à leur enfant. Ils attendent qu’on cueille leurs fruits juteux, et leurs branches, alourdies de ces réussites, tombent et forment au sol un tapis nourricier. Les hommes se penchent, acclament cette terre, mais maintiennent dans leurs yeux la surprise de ce spectacle en plein hiver.
Moi, je connais la genèse de ce prodige, mais j’en garde jalousement le secret. Peut-être est-il temps maintenant de tout vous expliquer ?

Chapitre I
La main droite crispée, tenant fermement un corps inerte et sans vie, la paume gauche ouverte et tournée vers le ciel, la pietà m’offrait le visage de l’abandon. Abandon de soi, des autres, figure du pardon et de la force, elle portait le Christ avec la douceur d’une mère qui enveloppe de ses bras son enfant mort. Sur ses traits de bronze, son regard désormais sourd aux plaisirs terrestres semblait vivant. L’espace d’un instant, sa poitrine se souleva, je retins mon souffle le temps de comprendre ma méprise : ce n’était qu’une illusion, le prisme d’un rayon de soleil tombé à travers les vitraux de la chapelle.
Une odeur d’encens flottait encore, vestige d’une messe qui avait dû se dérouler quelques jours auparavant ; au sol, l’arc-en-ciel des vitraux formait une marelle imaginaire dont la dernière case s’évanouissait sur l’autel. Le lieu, désert, était propice à la rêverie ou à la prière. Je ne l’aurais jamais découvert si mon ami Philippe ne m’avait pas appelé :
« Tu peux passer me prendre en voiture, Florent ? On a besoin de moi au… Père-Lachaise. »
Au son de sa voix, je le sentis gêné. Des images de l’enterrement de mon père revinrent. Six mois étaient passés depuis sa mort, mais je tenais toujours ma peine dans le creux de mes souffles.
« Ça ne prendra que quelques heures au plus. Avec les fortes pluies de novembre, les racines des arbres ont engorgé les canalisations, les gars ont besoin de mes conseils pour éviter de trop gros dégâts, mais ma voiture refuse de démarrer ce matin. J’ai pensé à toi. Mais ce n’est peut-être pas une bonne idée. »
D’autres images remplacèrent celle du corps sans vie. Des racines souterraines, tout un réseau à museler.
« Ne t’inquiète pas, Phil, je passe dans vingt minutes, le temps de boire un café. »
Je raccrochai. Combien de fois ces derniers mois avais-je vécu cette scène ? Auparavant, jamais Philippe ne m’aurait demandé un service : ce n’était pas dans son caractère. Cependant, mon apathie actuelle le poussait à me materner, et la moindre occasion était un prétexte à me voir. Sa façon à lui de me dire qu’il était toujours présent pour moi.
Le cimetière n’avait rien à voir avec celui où mon père était enterré. Deux pylônes en pierre encadraient un portail démesuré, et, en m’approchant, je pus lire sur celui de droite:
QVI CREDIT IN ME ETIAM SI MORTVVS FVERIT VIVET.
Mes connaissances en latin s’arrêtaient aux deux premières déclinaisons ; je me tournai vers Philippe, qui traduisit, impassible :
« Celui qui croit en moi, même mort, continuera de vivre. »
Je m’arrêtai et relus la maxime pour m’en imprégner, pour que sa musicalité ruisselle en moi et que ses mots deviennent miens. Puis je rejoignis Philippe, qui venait de franchir les portes en fer. Au-delà s’ouvraient de grandes allées pavées bordées d’arbres au tronc large et solide ; je sentis le regard de mon ami posé sur moi, je le rassurai d’un fin sourire. Autour de nous s’étalait un silence d’hiver, et de nos bouches muettes s’évadaient de minuscules nuages sitôt évanouis dès les lèvres passées. Sorti de nulle part, un homme me fit sursauter. Trapu et court sur pattes, il faisait de grands moulinets avec ses bras :
« C’est par là, venez, venez ! »
À sa ceinture, un trousseau de clés : il devait être le gardien du cimetière. Philippe partit de son côté, moi du mien ; il n’avait plus besoin de moi. Mains dans les poches, regard levé vers les tombes, je découvris un dédale d’allées dans lequel j’eus envie de me perdre. À mes côtés flottait l’odeur des sous-bois et des champignons, compagnons d’une promenade durant quelques heures où bientôt le temps n’eut plus cours. Dans quelle allée étais-je ? Quand je tombai pour la troisième fois sur une imposante sépulture baroque dont le sarcophage orné de têtes de mort s’élevait avec démesure dans le ciel, je compris que je tournai en rond.
Comment me repérer ? Le nez pointé vers les nuages, j’aperçus la croix d’une chapelle et m’en approchai. Derrière les arbres émergea une bâtisse austère, dont la porte laissait entrevoir une pièce sombre. La curiosité m’emporta : je m’y engouffrai et arrivai devant la statue de la Vierge tenant le Christ dans ses bras.
Était-ce l’hiver qui s’abattait, le cimetière qui m’entourait de ses murailles, ou bien tout simplement le silence des lieux ? Fasciné, je m’assis quelques instants, face à ce bronze qui criait sa détresse. Frappé par la vie qui en émanait, je me perdis dans la contemplation de ce corps, quand je sentis un frôlement contre ma jambe : une première fois, puis une seconde. Le cœur battant, je me penchai et, avec surprise, découvris le museau d’un chat. Le jaune de ses pupilles se percevait à peine tant son iris était dilaté. Le félin m’interrogeait du regard et, dans le noir brillant de ses yeux, j’aperçus mon reflet, qui avait l’allure d’une ombre. Un rayon de soleil rétrécit sa prunelle, qui prit la forme d’une meurtrière. Je le repoussai d’un geste et sortis retrouver Philippe. Dehors, le froid régnait toujours ; des voix d’hommes remplissaient le vide du cimetière, je m’orientai vers elles.
Le visage penché sur un tronçon d’arbre qui venait d’être coupé, mon ami ne m’entendit pas arriver. Son front était barré par sa ride des mauvais jours. De son doigt, il parcourait le bout de bois et faisait le tour des cercles concentriques en ronchonnant des mots indistincts ; je posai ma main sur son épaule, il mit du temps à réagir : « Je n’ai jamais vu ça, Florent ! Regarde un peu la couleur des cernes sur cette coupe. Normalement, tu devrais avoir une alternance entre le foncé et le clair, car cela indique les saisons, mais regarde ici : il y a une grande trace plus marquée, comme si le cambium avait produit du jeune bois durant plus d’une année. »
Devant ma mine perplexe, il continua :
« En somme, c’est un peu comme si l’été s’était étendu plus d’un an, que l’arbre avait puisé de l’eau pendant plus de douze mois, ou qu’il avait grandi plus que de raison. Les traces claires sont des marques de croissance ; logiquement, elles ne devraient pas être aussi larges.
— Les êtres humains ont bien des poussées de croissance ! Je me souviens avoir grandi de quatorze centimètres en un an, à l’âge de treize ans ; pourquoi les arbres n’en auraient-ils pas ? »
Mon ami leva son sourcil droit, signe de son exaspération à venir :
« L’être humain ne subit pas les saisons comme les arbres, et là, je t’assure que ce que je vois est complètement incroyable, comme si la croissance du végétal s’était emballée sur une longue période, qu’il ne s’était pas mis en dormance. Normalement, cette différence entre le bois du printemps et celui d’été ne peut se voir qu’au microscope, mais là, c’est flagrant. »
Ces histoires de cercles m’ennuyaient, nous étions un matin de novembre dans un cimetière et il me parlait de cambium, un nom que je n’avais jamais croisé, même en cinq ans de latin. Philippe vit mon peu d’intérêt et changea de sujet.
« Ici, il y a environ quatre mille deux cents arbres, c’est le plus grand espace vert de la capitale. Marrant de penser que le poumon de Paris, sa vie, est un cimetière, non ? Quand j’étais étudiant, j’aimais me balader dans ces allées : une fois le portail passé, le bruit de la ville s’amenuisait, je m’évadais. »
Je découvrais un Philippe assez romantique, l’idée m’amusa.
« Tiens, tu vois cet arbre ? C’est un chêne vert, ou plutôt une yeuse. Ses ramures sont d’un vert profond, très sombre. Il a la particularité de garder ses feuilles en hiver. Je me souviens de celui du jardin de mes parents : à neuf ans, j’ai cloué quelques planches sur les branches les plus solides, et j’y ai passé des heures cet été-là. De là-haut, j’étais le roi, j’imaginais de nouveaux mondes, m’inventais une vie inédite. Depuis la plus élevée, je voyais même la mer. C’est à cette époque que j’ai voulu intégrer la marine, mais tu vois, finalement, on ne réalise jamais ses rêves. »
Philippe se tut, son regard tourné vers la cime. J’imaginais mon ami en salopette, à l’assaut du monde.
« Je donnerais cher pour retrouver ces moments de mon enfance. »
Sa nostalgie m’amusait, il parlait comme une personne âgée et emprisonnée dans un corps moins souple et lourd des fardeaux de la vie. J’aurais pu lui dire qu’il n’avait jamais quitté les rives de l’enfance, puisque à plus de trente ans il grimpait toujours aux arbres, mais je m’abstins et choisis plutôt de m’approcher du chêne.
Ai-je voulu prouver à mon ami que notre jeunesse nous ouvrait ses bras si on la titillait, qu’elle restait tapie dans notre ombre, prête à la moindre vel
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Nous avions garé la voiture à côté d’une barrière, puis nous nous étions engagés sur des sentiers peu balisés. Nous n’avions croisé personne, je ne savais plus trop où j’étais, mais je restais content de partager un moment avec lui. C’était si inhabituel. La lumière rasante donnait de nouveaux contours au chemin, les ombres des arbres s’agrandissaient jusqu’à devenir géantes. Mon père paraissait petit au milieu de la nature.
Soudain, sa voix s’était élevée ; au-dessus de nos têtes, une nuée d’oiseaux s’était envolée.
« Tu es grand, tu dois être capable de t’orienter tout seul et de retrouver ta route. Compte jusqu’à cent, avant de me rejoindre à la voiture », dit-il, en me tournant le dos.
Je fermai les yeux, et commençai à compter. Je l’entendis crier au loin :
« Ne me déçois pas ! »
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[...]
En un trésor caché sous terre
La fée, au temps bleu des lilas,
Changea la belle de naguère
En un trésor caché sous terre.
La belle pleurait solitaire :
Elle pleurait sans nul soulas
En un trésor caché sous terre :
C'était au temps bleu des lilas.

De la mousse je suis la fée,
Dit à la princesse une voix,
Une voix très douce, étouffée,
De la mousse je suis la fée,
D'un bleu myosotis coiffée.
Pauvrette ! En quel état vous vois !
De la mousse je suis la fée,
Dit à la princesse une voix.

Par un homme jeune et fidèle
Seront sauvés vos yeux taris,
Dit cette fée à voix d'oiselle
Par un homme jeune et fidèle
Qui vous désirera, ma belle,
Et pour l'or n'aura que mépris,
Par un homme jeune et fidèle
Seront sauvés vos yeux taris.
[...]
Extrait de Le trésor Guillaume Apollinaire
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J’attrapai un, puis deux exemplaires d’Apollinaire : Lettres à Lou et Alcools. Je posai un des livres et le morceau de bois rapporté du cimetière sur la petite table du salon, et ne gardai qu’un recueil en main. Sur la première page, je découvris un nom, un prénom et une classe écrits d’une graphie enfantine :
«Le livre est une carte postale temporelle, quand on l’ouvre jaillissent des images d’un temps perdu.»
Je sursautai et me penchai vers elle pour l’embrasser :
«D’où tiens-tu cette phrase? D’un livre de développement personnel?»
Louise se renfrogna un peu, mais je ne lui laissai pas le temps de contre-attaquer:
«Regarde mon visage, belle infirmière, veux-tu bien me soigner?»
Elle se recula un peu, plissa les yeux et partit d’un grand rire qui emplit le salon. Il y a quelques années, c’était ce même éclat joyeux qui m’avait fait tomber amoureux d’elle.
«Mais qu’est-ce que tu racontes? Tu n’as rien sur le visage. Vous, les hommes, vous êtes vraiment des chochottes.»
Je me levai et ne vis que mon air abasourdi dans le miroir.
«Pourtant, tout à l’heure, dans le rétroviseur…»
Elle était déjà repartie. Je tapotai des doigts la couverture de mon livre avant de me rasseoir. Les lettres envoyées à Lou défilèrent devant mes yeux. Chose inhabituelle, Tirésias sauta sur mes genoux et ronronna. Je continuai ma plongée dans ce nouvel univers, le rythme des vers et les frottements du chat contre mon menton me bercèrent. Un raclement de gorge me sortit de ma lecture, je levai la tête. Sur la porte du couloir, un rayon de soleil finissait de pâlir.
« Tu comptes enlever ton manteau et tes chaussures avant de dîner ? »
Quelle heure était-il ? À travers la fenêtre, j’entraperçus la lumière vacillante du réverbère. Sur les carreaux se dessinaient des nuages de vapeur. Je me levai, passai mon doigt sur cette buée et formai un « j’arrive » éphémère.
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Un chat se faufila entre mes jambes, sa queue en point d’interrogation frôla mes doigts. L’animal ressemblait à celui de la chapelle et un frisson parcourut mon échine. Je le suivis des yeux, il se dirigeait vers la tombe la plus proche, avec l’allure princière que possèdent les félins. Il s’assit devant une sépulture surplombée d’une grande pierre qui, de loin, me sembla être du granit. Des lettres plus foncées indiquaient le nom du mort :
Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky
Je m’en approchai. Au fur et à mesure remontèrent des souvenirs du lycée. Apollinaire et ses Poèmes à Lou, les commentaires composés et les explications parfois démentielles du professeur, nos regards en biais avec ma voisine, les petits mots échangés sous la table qui voulaient égaler la prose moderne d’Apollinaire et finissaient au mieux dans les trousses, au pire dans la poubelle. Jamais je ne m’étais demandé ce que devenaient les poètes une fois morts : ils faisaient partie de ces êtres un peu à part, hors du temps, touchant presque au sacré, et surtout immortels. Le chat se frotta contre mes jambes et miaula, sans doute satisfait de m’avoir attiré.
Des images d’une autre tombe se superposèrent. Je faisais face à un trou béant et au cercueil de mon père. Dans ma main, une poignée de terre prête à être jetée. De la poussière avait virevolté puis s’était posée sur mes chaussures. Dans ma bouche, mes dents crissaient, et mes yeux avaient cillé sous la lumière crue du ciel. Au loin, le bruit d’un moteur annonçait la venue d’un autre corbillard.
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Vidéo de Alexandra Koszelyk
À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Alexandra Koszelyk vous présente son ouvrage "L'archiviste" aux éditions Aux forges de Vulcain.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2652426/alexandra-koszelyk-l-archiviste
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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