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sur 155 notes
Comment familiariser un lectorat francophone à la culture ukrainienne sans commettre un ouvrage scolaire constitué de biographies et de chapitres historiques ?

C'est le défi relevé avec succès par Alexandra Koszelyk qui enferme K « L'archiviste » dans une bibliothèque dont les caves servent de refuge aux oeuvres d'art évacuées lors de l'opération spéciale visant l'Ukraine en février 2022.

Si K falsifie des chansons, des poèmes, des romans, des tableaux, l'envahisseur laissera la vie sauve à sa famille.

Que vont devenir K, Mila, sa soeur photographe de presse, et leur mère impotente dans leur pays envahi ?
Jusqu'où K va-t-elle collaborer, ou berner l'adversaire ?

Ainsi tenu en haleine le lecteur observe K modifier les chefs d'oeuvres fondateurs de la culture ukrainienne ; au fil des quarante-neuf chapitres, une petite vingtaine de créations cinématographiques, musicales, littéraires, d'événements historiques (Holodomor, Tchornobyl, Maïdan) sont revues et corrigées puis un détour par Odessa rappele l'origine homérique de ce port.

Chaque falsification blesse l'imagination de K qui se projette dans l'événement ou rejoint ses acteurs en s'incarnant à leurs cotés.

Alexandra Koszelyk alterne les points de vue. L'évocation du roman « Taras Boulba » permet de caracoler avec les cosaques et de chanter leurs hymnes puis « Les âmes mortes » du même (Mykola) Nicolas Gogol, nous enferment dans le modeste refuge de son exil parisien (1836-1837) d'où est sorti cette critique féroce de la Russie tsariste.

L'alternance entre le passé et le présent est structurée par une romancière qui maitrise parfaitement les cliffhangers et rédige d'une plume très visuelle des chapitres courts et percutants qui nourrissent l'imaginaire et la culture du lecteur.

Mais il est évident que ce mémorial ukrainien nous interpelle sur notre fidélité à la culture léguée par les générations qui nous ont précédé. Car les falsifications existent aussi chez nous et « L'archiviste » attribue fort justement « Maroussia » à Marko Vovtchok, pseudonyme masculin de l'écrivaine et traductrice Maria Aleksandrovna Vilinska. (1833-1907) l'une des premières femmes de lettres ukrainiennes. Cette nouvelle a été adaptée en français par l'éditeur Pierre-Jules Hetzel, alias Pierre-Jules Stahl, qui a publié l'adaptation française sous son pseudonyme en occultant totalement l'auteur qui avait le double handicap d'être femme et ukrainienne… et cent cinquante ans plus tard le moteur de recherche de Babelio attribue encore et toujours Maroussia à Pierre-Jules Stahl en relèguant Marko Vovtchok !

Quand on observe l'acharnement avec lequel des révisionnistes envisagent, par exemple, de supprimer la statue de Napoléon à Rouen ou les calvaires au bord de nos routes, quand on analyse les ouvrages scolaires de nos collèges qui effacent des pans entiers de l'histoire de France, on est obligé de constater que le combat de « L'archiviste » est le même que celui que nous menons pour que vive « l'espoir d'un peuple à survivre toujours, malgré la barbarie ».

Merci à Babelio et Aux Forges de Vulcain pour cet envoi lors de l'opération « Masse critique meilleurs voeux » et bravo Alexandra Koszelyk pour ce trésor littéraire !
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Appréciez-vous l'art sous une ou plusieurs des formes multiples que ce terme peut désigner : musique, danse, littérature, peinture, sculpture … ?
Abominez-vous la dictature, surtout quand celle-ci non contente de s'exercer à l'intérieur d'un pays cherche à s'imposer par la force aux pays voisins et déclenche des guerres, et non une « opération militaire spéciale » ?
Alors ce livre est pour vous.

K. est archiviste. Les oeuvres d'art de sa ville, maintenant aux mains des assaillants, ont été entassées dans la bibliothèque où elle travaille. Et elle se délecte de les contempler, jouissant de la richesse culturelle de son peuple. Mais l'envahisseur ne se contentera pas de détruire le pays physiquement, Il exige la réécriture de l'histoire de l'Ukraine, par la falsification des oeuvres d'art originelles. C'est K. formée par sa mère à de nombreuses formes d'art qui est en charge de ce travail. Elle obéit ou sa soeur aux mains de l'ennemi est assassinée.

Et l'on parcourt ainsi avec K une partie de l'histoire de l'Ukraine, aux cotés des nombreux artistes qui y ont vécu, en ont été chassés, y ont été enfermés. A chaque demande de falsification, l'archiviste revit un épisode de la vie de l'artiste dont elle doit modifier l'oeuvre. Ce qui permet de constater que ce pays a vécu à de nombreuses reprises des heures sombres, et que son envahisseur actuel n'en est pas à son coup d'essai. C'est une façon originale de balayer la richesse culturelle de ce pays et pour moi de la découvrir, et si je ne dois retenir qu'une chose de cette lecture c'est ce poème magnifique :
« L'espérance
Je n'ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m'est restée :
Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,
Contempler encore le Dniepr si bleu
- Y vivre ou mourir importe bien peu -,
Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes...
Je n'ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m'est restée.

Loutsk 1880
Lessia Oukraïnka »

On redécouvre aussi avec elle des moments forts de l'histoire ukrainienne, tel l'Holomodor qui a vu plus de 5 millions de personnes mourir de faim sous Staline ou bien sûr Tchernobyl. Et là aussi, la version expurgée doit dédouaner la Russie de toute responsabilité.

Une analyse très intéressante est aussi faite sur l'importance de la langue, qui a été plusieurs fois interdite. Dans le début de ce roman, K. voit les soldats démonter les panneaux de signalisation. Ceux en Ukrainien seront remplacés par des russes. Mais cette langue reste celle du coeur.
« Il n'y avait qu'à voir comment une culture bafouée dormait en chacun des êtres, attendant d'être délivrée de son supplice et libre au grand jour. Dans chaque foyer, alors que la langue ukrainienne avait été interdite, on s'échangeait des histoires de cosaques, on riait en ukrainien, on rêvait en ukrainien. L'autre langue était celle de l'administration, l'officielle. On gardait l'officieuse pour les échanges importants, nos joies, l'intime. On faisait l'amour en ukrainien. Quand une langue permet à deux êtres de s'aimer, toutes celles qui n'ont pas reçu ce rôle peuvent s'en aller un jour. »

Mais cette femme va se montrer plus intelligente que l'homme qui exige ces mutilations, et introduira dans chaque oeuvre falsifiée des indices permettant de comprendre les changements effectués.

L'histoire d'un peuple est ce qui lui donne son identité, et ce livre nous le rappelle magnifiquement.
Merci à NetGalley et aux éditions Les forges de Vulcain pour ce partage #LArchivisteukraineartpatrimoine #NetGalleyFrance
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« Il faut que les gens d'ici se sentent étrangers chez eux. Déraciner les peuples conquis a toujours été, sera toujours la politique des conquérants. Il faut tuer la cité au point que les citoyens sentent qu'une insurrection, même si elle réussissait, ne pourrait la ressusciter ; alors ils se soumettent. »
Simone Weil, Venise sauvée (1943)

*
L'histoire de K se situe vraisemblablement en 2022, année tragique de l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe.
Le personnage principal de ce récit, K, est conservatrice dans une bibliothèque spécialisée dans les archives. Au commencement des bombardements, de nombreuses oeuvres d'art vont être mises à l'abri dans les sous-sols de cette ancienne abbatiale parcourue par de nombreux souterrains. C'est ainsi que K devient la gardienne des trésors culturels et artistiques de son pays, une façon pour elle de lutter contre l'envahisseur.

Un soir, elle reçoit la visite d'un homme austère, menaçant, portant un chapeau. Il se présente à elle pour lui demander un étrange travail : il ne désire pas que les oeuvres d'art qu'elle cache soigneusement soient détruites, il désire qu'elles soient modifiées de manière imperceptible, falsifiées pour en détourner les messages.
K a les compétences artistiques et les connaissances pour mener à bien ce projet. En contrepartie, sa soeur retenue prisonnière aura la vie sauve et sera libérée.

L'Homme au chapeau a compris que la destruction physique des oeuvres du patrimoine ukrainien desservirait sa cause, constituant au contraire un terreau propice à la nostalgie, à la colère voire à la révolte. Il veut au contraire utiliser la jeune femme pour déformer puis effacer peu à peu toutes les voix du passé et ainsi poser les bases d'une nouvelle culture.
La guerre prend ainsi une autre forme puisqu'il s'agit de dénaturer, mutiler puis effacer un patrimoine culturel, en adoptant comme armes, des plumes et des mots, des pinceaux et des oeuvres d'artistes.

Pour K, c'est un crève-coeur de dégrader des oeuvres inestimables auxquelles elle tient tant. K est habitée par la peur, mais elle doit trouver un moyen de duper l'Homme au chapeau.

« K se demandait ce qui constituait pour chacun l'attachement à un pays, si ce n'était pas ce legs des personnes décédées qui portent les suivantes et les animent de leur souffle souterrain. »

*
C'est un livre instructif qui traverse les époques et quelques tranches de vie, le temps d'un rêve, peut-être. Grâce à une structure narrative qui entremêle habilement présent et passé, Alexandra Koszelyk fait revivre l'Histoire de l'Ukraine à travers plusieurs chapitres douloureux de son histoire, comme la catastrophe nucléaire de Tchernobyl ou encore l'Holodomor, une famine à grande échelle orchestrée par le régime stalinien au début des années 30 qui coûta la vie à plus de 5 millions d'Ukrainiens.

A la frontière entre le fantastique et l'actualité, Alexandra Koszelyk met magnifiquement en lumière un pays riche d'un patrimoine, d'une culture et d'une identité qu'elle porte par ses racines ukrainiennes.

J'aime beaucoup la forme irréelle que prend le courant qui emmène K dans d'autres époques. Ici, la magie s'invite sous la forme d'ombres qui entourent K, qui se pressent autour d'elle et l'entraînent dans les méandres du temps. Réelles ou imaginaires, ces ombres venues du passé n'ont rien de menaçant, ni de maléfique, elles sont plutôt des anges protecteurs.

« le réel prendrait peu à peu la dimension d'un songe. »

L'autrice célèbre la mémoire de certains grands artistes et écrivains ukrainiens dont les pensées et la résistance ont traversé le temps et dont les messages sont encore présents dans les mémoires collectives. Des noms connus, Mykola Gogol, Alexandre Pouchkine, Sonia Delaunay, d'autres noms qui m'étaient inconnus, comme le poète Taras Chevtchenko ou les artistes peintres Alla Horska et Maria Primatchenko.

« Pour les Soviétiques, seul le réalisme socialiste a sa place : reproduire avec exactitude le réel est pour ces hommes le seul horizon valable … À leurs yeux, l'imaginaire est dangereux, car il peut conduire à un autre monde, une autre réalité qui échapperait alors au pouvoir. »

*
L'écriture est belle, poétique nous emportant dans le carrousel de vies passées dont les mouvements entremêlent l'intime à l'universel.

« Comment réduire ma patrie à quelques mots, elle, la changeante, l'ambiguë, comment mettre sur le papier ses coquelicots, ses cosaques dont chaque geste porte la liberté, comment dire l'étendue de ses jaunes, de ses dorés, sous un ciel sans nuage, et ses steppes que le soleil arrose ? »

Pour un récit assez court puisqu'il fait moins de 300 pages, je l'ai trouvé particulièrement profond et riche en réflexions sur la littérature et l'acte d'écrire, sur la guerre et la suppression impassible d'une nation en gommant ce qui fait sa richesse et son caractère unique : sa culture, son art et sa langue, sa mémoire et son passé.
Il est aussi question de liberté, de force morale, de combat, d'engagement.

« Pour avancer, il faut tenir entre ses mains la lampe de son passé. Sinon, aucun génie ne pourra en sortir. »

C'est aussi un magnifique hommage au peuple ukrainien, à leur courage, à leur incroyable capacité de résistance et de résilience, à leur attachement à leur terre, à leur culture et à leur patrimoine.

« La vérité règnera-t-elle
Et ce monde, parmi les hommes ?
Il faut que cela soit, sinon
Le soleil arrêtant sa course
Brûlera la terre souillée. »
Taras Chevtchenko

*
Entre rêve et réalité, « L'archiviste » est une lecture originale et émouvante, un voyage intime et tendre à travers les mots de l'auteur et son histoire familiale, à travers des rencontres inattendues, à travers la clameur du passé et la mémoire d'un pays.
Ce roman engagé est une vraie surprise, de celle qui m'autorise à vous le recommander tout particulièrement.
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Dans l'Ukraine en guerre, de nos jours.
K. est une jeune archiviste responsable de la bibliothèque municipale. Dès les premiers bombardements, les oeuvres d'art des différents musées de la ville ont été abritées dans les sous-sols de la bibliothèque.
Un jour, K. reçoit la visite de l'Homme au Chapeau, à la solde de l'ennemi, qui lui ordonne de falsifier les oeuvres d'art entreposées dans les caves, pour en expurger toute trace de culture ukrainienne. Achever d'anéantir un peuple en annihilant ce qui fait son identité...
Tout doit y passer : hymne national, poèmes, romans, tableaux, sculptures,... K. est atterrée, mais l'Homme au Chapeau s'est assuré de sa « collaboration » en exerçant sur elle un chantage abominable.
Mais K. va trouver le moyen de résister, en intégrant dans les oeuvres qu'elle doit « retoucher » d'infimes indices de cette falsification, destinés aux générations futures.
« L'archiviste » est un conte tragique qui permet au lecteur de découvrir la culture et l'histoire ukrainiennes, par le biais des rêveries de K. qui l'emmènent au coeur même des oeuvres qu'elle doit modifier et du processus de leur création, et qui lui font vivre de l'intérieur les événements plus contemporains de Tchernobyl, de la Révolution Orange et de Maïdan.
Un roman onirique et touchant, un livre de résistance et un émouvant hommage à l'Ukraine.

En partenariat avec les éditions Aux Forges de Vulcain via Netgalley.

#LArchivisteukraineartpatrimoine #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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(*4 novembre 2022 )

Plus d'un mois et demi que j'ai acheté et lu ce roman, en forme de fable , et comme je veux faire partager cette lecture étonnante, l'offrir, je me hâte de rattraper mon retard !!...

Une très belle lecture et la toute première découverte de cette auteure d' origine ukrainienne, dont la famille est arrivée en France dans les années 1930..

Le personnage central est une jeune femme, archiviste à Odessa; pour sauver sa soeur de la mort,elle se voit contrainte d'accepter un contrat honteux de la part d'un homme gradé, appartenant à l'envahisseur russe...qui lui demande dans son domaine des Archives où elle exerce ses talents de falsifier documents anciens, textes littéraires...jusqu'à falsifier des oeuvres d'art...afin qu'aux yeux de la postérité et de l'histoire, la Russie ait le
beau rôle , encore et toujours...!

Ce qui vaut pour tous les systèmes fondés sur la terreur : propagande du vainqueur et transformation des faits, à son profit !

"K.avait aussi sorti de l'enveloppe une autre feuille.C'était le fac-similé de la partition de l' hymne.(..)
Il fallait avoir l'esprit retors et la méthode de toute une administration pour produire et se permettre une telle infamie, et réviser ainsi un chant national !
Dans la balance des âmes, la vie de sa soeur d'un côté, l' hymne de l'autre.Comment se résoudre à choisir ?
K était encore une enfant, quand l'Ukraine était devenue indépendante ; c'était d'ailleurs son premier souvenir, la liesse de ses parents lors de cette annonce historique.
L' hymne avait résonné dans toute la ville, le drapeau était brandi dans le flot des mains.
Ce chant adopté par la République populaire d'Ukraine en 1917 avait été interdit dès 1920 par les Soviétiques, mais avait continué d'être fredonné dans l'intimité des maisons, comme une prière dans cette vie d'emprunt, un appel au passé éternel contre le provisoire. Les paroles s'étaient révélées prophétiques : " L' Ukraine n'est pas morte ".

Pour rentrer dans cette fable des plus évocatrices, il faut juste faire abstraction de quelques invraisemblances...Ce roman a le grand mérite de nous faire parcourir le parcours et les oeuvres d'artistes dissidents Ukrainiens et de "réactualiser" notre connaissance de
l' histoire de l' Ukraine... :

Parmi ces artistes rebelles et talentueux :

- Taras Chevtchenko ( poète, peintre et ethnographe)
- Gogol
- Pavlo Tchoubynsky ( poète et ethnographe)
- Alla Horska ( artiste peintre)
- Lessia Oukraïnka ( poétesse, écrivaine et critique)
- David Bourliouk ( peintre et illustrateur)
- Alexandre Archipenko ( sculpteur)
- Alexandra Exter (artiste peintre)
- Alexandre Dovjenko ( cinéaste)
- Vladimir Tatline ( peintre et sculpteur)...etc

Un livre des plus instructifs sous le couvert d'une fiction...menée allègrement !

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«Ni la gloire ni la liberté de l'Ukraine ne sont mortes»

Le troisième roman d'Alexandra Koszelyk est né dans l'urgence de réagir à l‘envahissement de l'Ukraine par l'armée russe. À travers le portrait d'une archiviste chargée de détourner les trésors du patrimoine, nous découvrons la richesse d'une culture et la force de résistance du peuple.

Jamais terme n'aura été aussi juste: ce roman est brûlant d'actualité car il parle du conflit en Ukraine. Mais si Alexandra Koszelyk a ressenti l'urgence d'écrire, ce roman évite l'écueil de la colère aveugle pour s'élever au rang de conte universel qui souligne toute l'absurdité de ce conflit grâce à un scénario habile.
Dès les premières heures du conflit, la nécessité de sauver les trésors du patrimoine et les oeuvres d'art ont conduit les responsables des biens culturels à choisir de transporter les pièces les plus précieuses dans les sous-sols de la bibliothèque où travaille K. Quand la ville a été prise par les troupes russes, l'archiviste était toujours présente, un peu par choix et beaucoup par nécessité, car sa mère est mal en point et a besoin de soins. Dans la journée, elle reste près d'elle et part le soir contrôler et répertorier les biens entreposés.
Ce ne sont pas les bombes qui vont les mettre en péril, mais un homme énigmatique qui vient lui proposer un bien curieux marché. Elle sera chargée de falsifier certaines oeuvres, d'en modifier d'autres afin qu'elles correspondent davantage à la vision de l'envahisseur. Son mystérieux visiteur lui expliquant alors: «Il n'y aura plus qu'une vérité, celle que vous allez créer, grâce à vos connaissances et vos compétences artistiques». En échange de quoi il la renseignera sur les conditions de captivité de Milla, sa soeur jumelle. Partie défendre son pays, elle est désormais aux mains des Russes et sa vie est au coeur de cet abominable chantage.
Contre son gré, K accepte cette mission présentée comme salvatrice: «Il ne s'agit pas de tout changer, vous l'aurez compris, mais seulement certaines parties, détourner quelques vers, mettre un mot à la place d'un autre, gommer un personnage sur un tableau, remplacer un chef d'État sur une photographie, détourner un objet folklorique de son usage premier. Vous voyez bien, ce n'est pas grand-chose! Il ne s'agit même pas de destruction mais de réorganisation, voire de création! de devenir l'autrice de cette nouveauté!»
La première oeuvre à modifier n'est autre que l'hymne national qui doit défendre et illustrer la fraternité et les bienfaits qu'apportent le pays voisin. Puis ce sont des tableaux qu'il faut retoucher, des poèmes et des chansons qu'il faut réadapter, ou encore des vitraux qui doivent être «réparés» pour réécrire l'histoire originelle qu'ils retracent. Après cela, il faudra s'attaquer aux événements contemporains, à l'accident de Tchernobyl, à la révolution orange, à Maïdan. Des classiques russes comme Les âmes mortes de Gogol jusqu'aux toiles de Sonia Delaunay, rien ne semble faire peur à l'homme au chapeau.
Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que l'obéissante K est entrée en résistance. Elle a trouvé le moyen de contourner son travail de sape.
Quant à Alexandra Koszelyk, elle a trouvé avec ce récit un formidable moyen de nous faire découvrir la richesse de la culture ukrainienne. En suivant K jusque dans le processus créatif, en entrant littéralement dans les oeuvres, elle fait à son tour oeuvre de résistance. Et inscrit ce troisième roman dans la lignée de ses précédents, à commencer par le premier, À crier dans les ruines, qui évoquait Tchernobyl pour mieux parler de l'Ukraine. Plus étonnamment peut-être, je vois dans le second, La dixième muse, l'histoire de ce jeune homme passionné par Apollinaire ce même désir de faire de la culture une arme et de sauver un patrimoine, ou au moins de le redécouvrir. Urgence et cohérence font donc ici bon ménage. C'est comme ça qu'Alexandra est grande et que nous sommes tous Ukrainiens!


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Dans une ville d'Ukraine détruite par les troupes russes au tout début de la guerre, nous faisons la connaissance de K qui a dû rester sur place, sa mère étant gravement malade, tandis que sa soeur, journaliste est quelque part sur les lieux de combats. Elle est archiviste dans une bibliothèque dans les caves de laquelle ont été mis à l'abri des objets d'art, des tableaux et chefs-d'oeuvre en tout genre.

Un jour surgit devant elle celui qu'elle appellera « l'homme au chapeau », Russe, gradé, qui lui demande de modifier certains évènements historiques, oeuvres diverses : tableaux, vitraux… pour les rendre « conforme » à l'histoire révisée à la mode soviétique, moyennant quoi elle aura des nouvelles de soeur actuellement entre leurs mains (il n'est pas à un mensonge près !)

Pour commencer, il s'agit, ni plus ni moins que modifier les paroles de l'hymne national ukrainien en faisant l'apologie du grand-frère russe : « Il n'y aura plus qu'une vérité, celle que vous allez créer, grâce à vos connaissances et vos compétences artistiques ».

Comme à l'époque de Staline, on va modifier les photographies pour que certaines personnes n'y figurent plus, d'apporter un nouvel éclairage sur la grande famine (Holodomor), Tchernobyl et les évènements de la place Maïdan !!!!

L'auteure nous propose ainsi une alternance passé-présent dans le récit ainsi que des rencontres extraordinaires avec des artiste connus ou non : on croise Gogol, son séjour en France, « Les âmes mortes » ou Taras Boulba, Marko Vovcok née Mariya Vilinska femme de lettres ukrainienne traductrice (elle a traduit notamment les romans de Jules Verne), à qui l'on doit notamment « Maroussia », ou encore Sonia Delaunay.

On croise aussi des poètes comme Taras Chevtchneko ou Lessia Oukraïnka, des peintres Maria Primatchenko ou Vladimir Tatline ou encore un cinéaste Alexandre Dvojenko et tant d'autres… (j'espère avoir orthographié correctement tous les noms)

Alexandra Kozlelyk, à travers ce récit évoque le courage et la résilience du peuple ukrainien qui force l'admiration depuis le début de cette guerre immonde, initiée par un avatar de Staline. Elle montre également comment on falsifie des oeuvres pour modifier l'Histoire et faire un récit adapté à la négation d'un peuple, ce qui résonne particulièrement quand on voit grandir le révisionnisme, et son cortège de nationalismes.

Enfin, Alexandra Kozlelyk m'a permis de me rendre compte que je connais peu la culture ukrainienne, les auteurs très souvent rangés sous la bannière russe, la manière dont la langue a été « interdite » puisque tout l'administratif se faisait en russe, alors que comme elle le dit si bien, l'ukrainien était la langue intime.

La couverture illustre le propos de fort belle manière.

J'ai beaucoup aimé ce livre, dans lequel je reviens de temps en temps (ne serait-ce que pour mémoriser les noms des artistes) et pour réaliser une chronique à la hauteur. J'ai retrouvé un écrivain que j'aime beaucoup : Nicolas Gogol, (les personnes qui suivent mon blog peuvent en attester !) et j'ai chevauché avec plaisir avec les Cosaques…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Aux Forges de Vulcain qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteure qui a déjà plusieurs titres à son actif.

#LArchivisteukraineartpatrimoine #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Ce roman se déroule en Ukraine à une époque indéterminée, puisqu'il semble se passer sur une dizaine d'années, mais il pourrait se dérouler dans n'importe quel pays envahi et détruit à un moment de son Histoire !

Les vainqueurs veulent remanier l'Histoire de l'Ukraine, anéantir sa culture et ses souvenirs d'indépendance. K est chargée de modifier des oeuvres d'art précises qui prendront la place des originales. Elle accomplit cette tâche pour sauver sa soeur jumelle prisonnière des envahisseurs.

Le thème est intéressant et atemporel puis il devient fantastico-onirique au fur et à mesure de l'avancée des modifications apportées !

Malgré tout l'intérêt qu'il m'a suscité, je l'ai trouvé très long et relativement soporifique. J'ai mis plusieurs jours à le lire car je voulais apprécier la plongée dans la culture ukrainienne que j'ai toujours beaucoup appréciée !

#LArchivisteukraineartpatrimoine #NetGalleyFrance

Challenge Féminin 2022/2023
Challenge Multi-Défis 2023
Challenge Entre Deux 2023
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Toutes les nations n'ont pas la chance de naître sur des légendes, de celles qui inspirent de glorieux récits. Certaines surgissent d'un tas de cendre ou d'un bain de sang (Holodomor, Tchernobyl, Maïdan). En sont-elles moins légitimes pour autant ? Leur martyr les rend-elles moins respectables, pitoyables aux yeux des vainqueurs proclamés ?
L'archiviste s'appelle « K ». K comme Koszelyk, Kafka ou M. Klein. Gardienne de la bibliothèque, elle est harcelée par un émissaire de l'envahisseur, décidé à réinitialiser la mémoire de l'Ukraine. Pour ce faire, il l'oblige à réécrire les poèmes, repeindre les tableaux, falsifier les documents… dévier le cours naturel de l'histoire, tel un dieu mauvais. Sa mission est impossible. Chaque mot barré accentue la défaite (p52). En servant les dessins du censeur, elle anéantit l'espoir de recouvrer la liberté.
L'art survit aux hommes. le profaner, c'est mourir deux fois. Alors K résiste. En confiant la contrefaçon à sa faussaire, l'émissaire en oublie son pouvoir d'agent double : dissimuler les signes de la révolte sous son apparente résignation.
Chaque oeuvre examinée par K permet à l'auteure de nous faire redécouvrir les fondations de la culture ukrainienne. le procédé de la rêverie nous emmène à la rencontre de figures telles que Tchoubynsky, Chevtchenko, Horska ou Primatchenko.
Brouillon dans la forme (la construction patchwork entre récit, souvenirs et histoire contemporaine), brillant sur le fond (la culture classique de l'auteure est un régal), l'Archiviste est un hommage émouvant à la nation ukrainienne.
Bilan : 🌹
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K est archiviste dans une ville à proximité d'Odessa. Les souterrains de sa bibliothèque sont devenus le lieu dans lequel toutes les oeuvres ukrainiennes ont été apportées à l'évacuation du pays au début de la guerre. Peu de temps après, un homme au chapeau lui rend visite et lui donne une mission, qu'elle va accepter malgré elle - la raison en sera donnée dans le récit - : elle doit réécrire l'histoire du pays à travers ses oeuvres d'art, principalement ses oeuvres littéraires, en y gommant toute trace de spécificité, en gros en faisant disparaître l'idée même d'Ukraine. Histoire qui viendra, contre toute attente, lui donner des armes pour résister tant bien que mal à cette terrible mission...

Roman terriblement d'actualité, évidemment, à l'heure où Vladimir Poutine tente d'annihiler l'Ukraine pour lui redonner le statut de satellite russe dans un désir de nouvelle URSS, écrit ici avec une magistrale délicatesse évanescente et une touche de surnaturel par Alexandra Koszelyk, d'origine ukrainienne - et l'on sent, en effet, que le projet romanesque de L'archiviste est profondément personnel.

A travers l'histoire de K, archiviste qui verse dans la résistance passive contre l'ennemi, à défaut de pouvoir faire bien plus - enfin au début -, c'est toute l'histoire de l'Ukraine qui nous est contée, de sa fondation à la révolution de Maidan, dans toute sa résistance face à l'ennemi russe, et de fait c'est aussi l'histoire de tout.e.s celles et ceux qui ont résisté, et qui résisteront encore, pour sauvegarder sa littérature, son art, sa culture, plus généralement son identité qui nous est contée par l'intermédiaire d'une polyphonie narrative fluide, servant à la perfection le propos.

Je remercie les éditions Aux Forges de Vulcain et NetGalley de m'avoir permis de découvrir ce roman, que j'ai trouvé enchanteur, très émouvant, malgré la gravité du sujet et des circonstances qui en expliquent son intrigue.
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