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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La littérature n'est pas aussi accessible que le cinéma pour le grand public car l'art de l'écriture, s'il semble plus facilement accessible - nul besoin d'argent ou de moyens techniques - est en fait aussi complexe, et même plus complexe que le cinéma. Combien de fois, d'ailleurs, oublie-t-on de mentionner qu'un film a un livre pour origine ? Un savoir-faire qui n'est pas enseigné car le talent cela ne s'enseigne pas, c'est naturel. Par conséquent, de nombreux lecteurs ne comprennent pas les sens sous-jacents, ils s'indignent qu'un protagoniste boive à chaque page et ne donne pas un sou aux valeurs du monde libéral. Je suis sincèrement déprimée par cette attitude. Mais il n'y a pas d'affaire plus ennuyeuse que d'expliquer des livres...

Christian Kracht, l'auteur de "Faserland", est un garçon talentueux et mélancolique. e protagoniste de Kracht à "Faserland" passe d'une soirée de bar à une rave-partie, puis à une villa sur le lac de Constance et achève enfin ses déplacements chaotiques en Suisse idyllique. Tout, autour, tourmente l'âme d'un jeune alcoolique : les employés de l'aéroport, sous les regards réprobateurs desquels il remplit ses poches de yaourt, une voisine décrépite dans l'avion, dont les taches de rousseur se sont transformées en taches séniles sans transition douce, les homosexuels sur une plage grecque abandonnée et, bien sûr, ses amis lui offrant une drogue et un gangbang avec la participation d'une mannequin noire.

Douloureusement sensible comme un personnage de Proust le protagoniste dans "Faseland" se souvient de ses peines d'adolescence, de sa déception et de la honte associées à son premier amour, car alors qu'il rendait visite aux parents de sa première petite amie, il a fait pipi dans sa culotte et puis il s'est enfui pour de bon.

Kracht est un enfant d'un monde suranné, il est né dans les années soixantes et son modèle de comportement dépassé n'est plus adapté au mode de vie contemporain, sa personnalité est une relique étrange, regardons-le ensemble. C'est comme s'il se trouvait dans le plexus solaire de la modernité, parmi des junkies, des clochards riches et des filles vaguement séduisantes, dont aucune n'ose approcher notre héros douloureusement timide...

Je suis très proche mentalement de ces personnes vulnérables, observatrices qui écrivent dans l'angoisse en écoutant rêveusement les cris des mouettes au loin et avec un pessimisme sombre se rendant compte de tout le besoin pressant d'asservissement corporel et social.
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« Faserland » est le premier roman du suisse allemand Christian Kracht (2019, Phébus, 160 p.). Il est annoncé comme étant aussi « Eurotrash #1 », donc on peut attendre une suite. Elle viendra avec « Eurotrash » (2024, Denoël, 192 p.). Entre temps, il y a eu « Imperium » traduit par Corinna Gepner (2017, Phébus, 192 p.), qui narre l'histoire vraie de August Engelhardt (1870-1919), « barbu, végétarien, nudiste », qui s'est exilé en 1902 en Nouvelle-Guinée allemande pour fonder une colonie dénommée « les cocovores » reposant entièrement sur la culture de la noix de coco. Il fonde également une secte, appelée l'Ordre du Soleil dont les principes sont ceux d'une vie libre de toute contrainte, près de la nature. « En compagnie du jeune Makeli, il parcourait l'ile tout nu, avec un simple sac sur l'épaule ».
Le roman fait suite à « Ich werde hier sein im Sonnenschein und im Schatten », traduit par Gisèle Lanois en « Je serai alors au soleil et à l'ombre » (2019, Jacqueline Chambon, 142p.), une uchronie révolutionnaire. Il narre l'installation de Lénine en Suisse où il fonde une république de type soviétique. C'est le prélude à un futur où l'Europe vit dans un état de guerre permanent. Les Alpes ont été creusées et transformées en une gigantesque fortification, forteresse imprenable contre les fascistes allemands et anglais.
« Faserland » (1995) introduit le thème du voyage, sous forme d'un texte souvent central dans la discussion sur la littérature actuelle allemande telle qu'elle est analysée par les critiques littéraires et les universitaires. En effet, les protagonistes des fictions de Kracht partent dans des voyages qui les emmènent à la recherche d'un moment improbable, et surtout insaisissable, de situations d'immersion, plus ou moins utopiques ou d'expériences spirituelles dans des nation ou du moins des cultures différentes. C'est bien un fantasme allemand.
En 1999, Christian Kracht se réuni avec quatre autres écrivains à l'Hotel Adlon à Berlin. Avec Joachim Bessing, Eckhart Nickel, Alexander von Schönburg et Benjamin von Stuckrad-Barre, ils projettent de jeter les bases d'une « pièce situationniste ». Cette réunion est retranscrite dans le livre « Tristesse Royale » (2001, Ullstein Taschenbuch Verlag; 201 p.) qui ne rencontre pas le franc succès éditorial escompté. Plus tard, Kracht qualifiera cet évènement de « grosse erreur ». le texte aura toutefois l'effet de renforcer l'existence d'une « popliteratur » fondée sur une équipe d'écrivains, dont Kracht serait en quelque sorte à la tête pensante. Tout le monde n'est pas André Breton, ni Guy Debord pour faire tendance, ni même CF Ramuz pour faire plus simplement hélvète.

« Faserland » suit un narrateur qui voyage en avion ou en train ICE à travers l'Allemagne errant de ville en ville pour finalement arriver à Zurich, où il part à la recherche de la tombe de Thomas Mann. On ne lui a pas dit que ce dernier était enterré dans le caveau de famille à Kilchberg, située sur la rive gauche du lac, tout près d'ailleurs de l'usine de chocolat Lindt. Il y a un magasin d'usine, à la fin de la visite, où les dames se font morigéner, car faisant des provisions de chocolat dans leurs sacs, provisions qui fondent rapidement. Donc, faute de friandises, peut-être le narrateur est-il diabétique, l'errance se poursuit dans les huit chapitres qui suivent. le tout est rythmé par les incertitudes, les réflexions et les considérations sur le monde qui l'entoure et observe.
C'est finalement un roman sur l'affirmation des marques et de la culture de consommation. C'est ainsi que l'on retrouve 6 fois la mention de Prosecco sur une page, ce vin effervescent étant un sous-produit de notre crémant. Il faut dire, à décharge du voyageur, qu'il s'ennuie, d'un ennui existentiel », ce qui n'est pas une raison ou justification suffisante pour s'alcooliser, surtout avec du mauvais vin. Il est vrai que Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir buvaient. « Plus d'un litre d'alcool par jour - vin, bière, alcool blanc, whiskies, etc ». On sait que le futur philosophe a vomi sur les chaussures du proviseur du lycée Henri IV, avec son camarade Paul Nizan, pour fêter leur réussite au baccalauréat. Sur la tombe De Chateaubriand, au Grand Bé en face de Saint Malo, il s'est content de soulager sa vessie. Serait-ce un signe d'incontinence des philosophes existentialistes.
Un véritable catalogue de marques, à croire que l'écrivain a été sponsorisé. « Sergio, c'est un de ces types qui portent en permanence des chemises Ralph Lauren roses et une vieille Rolex, et s'il n'était pas pieds nus avec le pantalon retroussé il serait chaussé de mocassins Alden, je le vois immédiatement ». Donc, du déjeuner à Sylt dans les iles frisonnes, la plus grande et la plus septentrionale des îles allemandes de la mer du Nord jusqu'à l'hôtel établi de longue date à Francfort, le narrateur conserve partout cette complaisance. « Donc, au commencement je suis chez Fisch-Gosch, à List-auf-Sylt, en train de boire une Jever à la bouteille. Fisch-Gosch, c'est un restau de poisson très célèbre parce c'est le restau de poisson situé le plus au nord de l'Allemagne. Il est à l'extrême pointe de Sylt, juste en bord de mer, et on croit qu'après vient une frontière, mais en fait il n'y a qu'un restau de poissons. Donc, je suis chez Gosch à boire une Jever. Comme il fait un peu froid et qu'il y a un vent d'ouest, je porte une veste Barbour doublée. Je mange ma deuxième portion de scampi à la sauce à l'ail bien que la première déjà m'ait donné mal au coeur. le ciel est bleu. de temps en temps, un gros nuage se glisse devant le soleil ». La Jever, ou plutôt Jever Pilsener, c'est une bière allemande blonde. Alors que la veste Barbour est une veste à la coupe classique et droite, généralement en toile coton huilée, à manches raglan.
Et cela continue aussi hors établissements. « Au wagon-restaurant, je vide d'affilée quatre petites bouteilles d'Ilbesheimer Herrlich pendant que le soleil se couche sur Husum. Je regarde au-dehors en tartinant un petit pain avec le beurre Meggle placé dans la coupelle en plastique, et la plaine de l'Allemagne du Nord défile, des moutons ». C‘est pire que la pub à la télé. Même si le beurre aux fines herbes du maître beurrier Josef Anton Meggle dont la composition est secrète, je lui préfère celui aux algues de chez Bordier, ou un tout simple beurre au lait cru d'Isigny qui sent la noisette. Tant que l'on en est aux produits laitiers et à la Suisse, il convient de rappeler la différence d'aspect entre le Gruyère et l'Emmental. le second a des trous issus des gaz de fermentation, alors que le vrai Gruyère, fabriqué dans la ville du même nom n'en a pas. Les meules sont alors quelquefois envoyées à Bâle pour y ajouter mécaniquement les fameux vides.
Bref, on a hâte de le voir arriver à la Zurich Hauptbahnhof, il est vrai, rebaptisée ShopVille. C'est tout dire. Puis de prendre le train pour Kilchberg, il y en a pour 18 minutes et 7.03 €, on peut même payer en euros. Avec 146 connexions par jour de 01.58 à 21.27, il y a de quoi faire et l'arrêt pour le cimetière est celui de la gare ZH Kilchberg Kirche. Après, il faut voir les heures d'ouverture de cimentière, le « gemeinde friedhof kilchberg », il y a même une adresse mail (friedhof@kilchberg.ch), mais j'ignore qui répondra.
Par contre, en tant qu'usager fréquent es transports ferroviaires, il met en garde les autres usagers. « ça me fait penser qu'autrefois je me penchais toujours par la fenêtre, visage au vent, jusqu'à ce que j'aie les yeux larmoyants, et que je me disais, s'il y a quelqu'un aux toilettes en train de faire pipi, la pisse va s'envoler de sous le train et se pulvériser en minuscules gouttelettes sur ma figure, de sorte que je ne m'en apercevrai pas, sauf que j'aurai comme ça une pellicule d'urine sur la figure, et si je passe ma langue sur mes lèvres, je sentirai le goût de cette pisse d'étranger ».

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