La vie d’Ingrid est une illustration du mot tragique. Elle a tiré la courte paille. C’est notre cas social. Voilà ce que disent les gens. Ingrid a cinquante ans et depuis plus d’un an elle n’ose plus mettre un pied hors de sa maison. Parce que, dehors, elle a des crises de panique. Elle étouffe et ne peut plus respirer. Je l’ai vu de mes propres yeux. Je n’ai pas l’habitude de me mêler des affaires des autres, mais ça s’est trouvé comme ça, j’ai vu Ingrid partir en ambulance pour les urgences. Ce jour-là, elle a cru mourir, mais finalement elle n’avait rien. Rien. Les médecins ont diagnostiqué un banal cas d’agoraphobie. Comme si c’était banal pour une femme de cinquante ans de rester chez elle parce que le monde extérieur la terrorise. Elle ne quitte sa maison sous aucun prétexte, pas même pour prendre son courrier, arroser une fleur, ou arracher une mauvaise herbe.
Cappuccetta. Ce mot venait, d’après mon grand-père italien, de cappuccini, nom donné aux moines capucins pour leur capuchon, dont la couleur évoquait celle du café du même nom. C’est donc au cappuccino que pensait mon grand-père quand il regardait ma grand-mère dans les yeux en l’appelant Cappuccetta.
C’est la première fois que je vois cette femme en ville, et aussitôt je sais que c’est elle. Celle que j’attendais. L’étrangère dont je rêve depuis si longtemps, celle qui doit venir un jour bousculer la monotonie de ma vie.