En plus de l’ouvrage philosophique qu’il s’était proposé d’écrire, Mayrand a longtemps désiré publier un volume de souvenirs. Ayant été pendant tant d’années rédacteur en chef de « La Presse » puis de « La Patrie », il avait eu connaissance, avait été témoin de faits extrêmement intéressants qui ne sont pas connus du public, qui ont été jalousement tenus secrets. Il avait été témoin de marchandages politiques, il avait vu bien des bassesses, bien des injustices. Il connaissait les tares, le manque de conscience de personnages apparemment respectables. Mayrand aurait pu écrire un livre que le public aurait dévoré, un livre qui lui aurait valu la renommée. Il ne l’a pas écrit. C’est sa délicatesse, une délicatesse comme il ne s’en rencontre plus, qui a paralysé sa plume. Il songeait aux humiliations, aux amères railleries qu’auraient endurées les personnages dont il aurait révélé les peu odorants secrets. Et aussi, il était au courant de bien des décadences, de bien des déchéances et il prenait en pitié ces victimes du sort. Il ne voulait pas rendre leur infortune plus cruelle en la faisant connaître.
La poésie qui enivrait l’âme de Joseph-Marie Mélançon dans sa jeunesse, qui lui a permis dans son âge mûr, alors qu’il était devenu prêtre d’exprimer ses rêves de beauté dans des poèmes qui font notre admiration, est aujourd’hui la consolation de ses vieux jours. Connu dans le monde des lettres sous le pseudonyme de Lucien Rainier (prénom et nom de famille de deux de ses condisciples du Séminaire), l’abbé Mélançon s’est fait connaître très tôt comme artiste inspiré. Il était né poète et il l’a été toute sa vie. Avec l’amour de Dieu, il avait celui de la poésie et ainsi, il a vécu de très belles heures. Aujourd’hui, il approche du terme de ses jours avec la satisfaction d’avoir été fidèle à sa double vocation : celle de prêtre et celle de poète.
Tout comme Charles Gill, Ferland écrivait la nuit. Comme il l’a dit, il avait horreur de « la ville inhumaine, férocement bruyante et bouillonnante avec ses autos criards et assassins et ses radios et ses tramways ». Alors, il travaillait lorsque la fourmillière humaine est plongée au sommeil, que la cité est silencieuse, et ne se levait qu’à midi pour le déjeuner-dîner.