Je fais partie de cette génération qui a vu l'Encyclopédie Universalis trôner fièrement sur les étagères des grands-parents, derrière une jolie vitrine fermée à clé, habitée de poupées du monde entier et de tout un tas d'objets improbables qui, parfois, me fichaient une frousse pas possible.
"Si l'un des enfants fait des études, vous serez bien contents d'avoir investi ! " avait lancé le commercial qui fleurait la jolie comm'. Ce fut l'argument décisif ! et voilà comment mes grands-parents ont acquis à crédit une encyclopédie en 12 volumes, fin du fin de l'accession, par les classes sociales ouvrières, à la culture avec un grand C.
Et puis, comme aucun des enfants n'en avait fait, d'étude, il n'était sûrement pas question que l'un des petits-enfants aux mains sales touchent au précieux fruit de leur labeur. Quand les petits-enfants ont fait leurs études, eux, Universalis était plus que dépassé et google a détrôné le fin du fin, qui fut revendu, à la mort de pépé et mémé, une misère lors d'un vide-grenier mémorable…
Je fais partie de cette génération dont les parents recevaient chaque mois la superbe sélection France Loisirs, vendue de force par un autre commercial qui avait, lui aussi, flairé la comm'. J'ai une petite dent contre France Loisir qui fait pourtant de bien beaux efforts pour racheter sa cause !
La Soupe aux cailloux,
Des Cornichons au chocolat, Jamais sans ma fille, pauvres (mais uniques) fenêtres culturelles qui illuminaient la vie terne et grise des smicards dans les années 80, si l'on veut bien excepter le faste petit écran qui trônait dans le salon et dont la novlangue tournait en boucle du matin au soir dans l'appartement un peu kitch. Je suis sûre que maman ne les lisait pas, mais je voyais bien qu'elle s'empourprait dès qu'un invité reconnaissait "LA" sélection, posée négligemment sur un meuble bas bien en vue.
Et puis, il y a eu plus tard, beaucoup plus tard, Irving et Une Prière pour Owen et là, s'en fut trop, trop épais ce livre, trop intello, trop tout quoi, l'abonnement fut résilié sur-le-champs et Irving me fut donné en pâture, à moi qui me donnait des airs d'intellectuelle. Alors Irving entra dans ma vie et je n'ai plus jamais quitté Owen.
Il faut savoir tout ça, vous voyez, pour comprendre le sentiment qui fut le mien lorsque je croisai la version Poche de ces Cornichons au chocolat dans une boîte à livres qui ressemblait plus à un trou à rat qu'autre chose, perdue qu'elle était dans la cité miteuse que je traversais ce jour-là. ça m'a fait chai-pas-quoi, le coeur m'est remonté dans la gorge et j'ai senti comme des brûlures étranges qui me piquaient l'estomac ; mes mains s'en sont emparé comme d'un trésor honteux. Et ce jour-là, je vous jure, j'ai balancé, dans la boîte à livres totalement désertée, au moins dix petits albums pour enfants, les beaux livres que mes enfants chéris ont lus et relus des milliers de fois, je voulais que tous les enfants de cette cité puissent se partager ces albums, en échange
des Cornichons au chocolat.
Ce journal intime d'une jeune fille de 13 ans au parler franc et au verbe haut a fait remonter en moi bien des souvenirs, des bribes de vie, des morceaux choisis enfouis si profondément que je me suis sentie, à plusieurs reprises, étonnée d'avoir pu les retrouver dans les méandres de ma mémoire. Je ne sais si c'est un vrai journal intime, mais il a des faux air de l'Attrape Coeur, version fille. Il offre un accès privilégié à l'adolescence par le prisme de leur propre voix, cette jeunesse que, comme une peinture abstraite, on contemple sans jamais vraiment la comprendre...
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