Pour eux, les soldats de chaque camp avaient eu leurs raisons d’agir comme ils l’avaient fait. En ce sens, ils reproduisaient la fameuse phrase de Jean Renoir (« l’ennui, c’est que tout le monde a ses raisons »), même s’ils l’ignoraient, car la culture n’était pas leur fort.
Toutes les places sont déjà prises. J’en vois une, inoccupée, au cinquième rang. Je m’assieds à côté d’une inconnue, une jeune femme au visage limpide et au nez mutin, une beauté lumineuse. Nous nous présentons l’un à l’autre. Elle est réalisatrice et me dit qu’elle a bien connu les Gus. Elle deviendra la femme de ma vie, la mère de mes enfants.
Ainsi, par ce que l’on appelle un « concours de circonstances », l’homme qui avait prétendu m’avoir eu dans sa « ligne de mire », et m’avait répété « à quoi ça tient les choses », aura été celui qui, sans qu’il le sache, me permit de rencontrer la femme dont l’amour constitue un des tournants les plus décisifs de mon existence.
Mais je ne savais pas mentir, la vie ne m’avait pas encore appris cette indispensable méthode de progression dans la comédie humaine.
En suivant son compte rendu, je m’étais demandé quelle part d’embellissement, quelle déformation, transformation il ajoutait à un épisode qui datait de plus d’un demi-siècle dans son existence. Sa précision dans les détails, les descriptions et les dialogues, m’avait étonné. Je crois, cependant, qu’il n’inventait rien. Kertész a écrit qu’inventer, en fait, c’est se re-souvenir. James Carroll l’a encore mieux défini : « La mémoire, a-t-il écrit, c’est la faculté grâce à laquelle les êtres humains interprètent l’expérience. Se souvenir, c’est réinterpréter. »
On ne choisit rien, m’a-t-elle dit. Et rien n’est impossible, sauf de refuser la mort. Et tout est possible, mais rien n’est important. Tout est fatal.
J’aurais eu peur si je n’avais pas simultanément éprouvé la sensation de vivre un moment unique, attiré comme je l’étais par sa capacité déconcertante à passer de l’ironie à la langueur, de l’intime à la distance.