Alexandre Labruffe nous avait avisé lui-même lors d'une séance dédicace: à rebours de la tendance actuelle à écrire du vrai, voire du vraisemblable, lui préfère à contrepied "faire de l'hyperfictif".
Comme le laisse présager le titre, l'auteur nous offre une série d'anecdotes sur le microcosme de la vie dans une station-service. Un non-lieu physique, un point de passage, de transhumance, siège de fictions parfois banales, souvent loufoques.
Écrit à la manière d'un journal, de notes prises au jour le jour, ce livre s'articule autour de brefs chapitres numérotés de 1 à 189, parfois constitués d'une unique petite phrase et au maximum de quelques pages. Observations comiques, intrigues à peine ébauchées, ou encore pensées érotiques s'enchaînent dans une station service devenue miroir de notre société contemporaine.
Même s'il soutient que « tout est faux» dans son récit, on devine
Alexandre Labruffe à travers les pensées et goûts du narrateur. Dès les premières pages, « Les chroniques d'une station service» est imprégné de culture asiatique, truffé de punchlines et de références pop culture.
Il revendique une certaine filiation avec
Jean Baudrillard avec une citation tronquée du philosophe en épigraphe, mais également à travers son personnage principal qui, à de multiples reprises, comme un refrain, nous dit « J'aurais aimé être Baudrillard pour... ». C'est pourtant avec
Michel Houellebecq et
Frédéric Beigbeder que les similitudes sont les plus évidentes. Pas surprenant que
Alexandre Labruffe se soit vu décerner le « G7 littéraire », prix nouvellement créé et présidé par
Beigbeder.
Tel un meuble IKEA livré en pièces détachées - et sans mode d'emploi évidemment - ces chroniques en décourageront plus d'un. L'auteur entremêle plusieurs fils d'Ariane dans un dédale narratif fouillis. À l'instar d'un Hydre de Lerne dont trois têtes repousseraient à chaque fois que nous en achevons une, chaque micro-chapitre terminé ouvre sur plusieurs scenarii comme une Matriochka avec une infinité d'emboîtements. Véritable tonneau des Danaïdes, l'auteur part dans de multiples directions sans jamais indiquer de début ni de fin.
Finalement, c'est peut-être ce qui définit le mieux la station-service comme non-lieu ou caravansérail des temps modernes.
Nous avons très certainement apprécié l'oeuvre grâce à la grille de lecture permise par la rencontre préalable avec l'auteur. Nous nous sommes donc amusés à repérer les artifices et coquetteries du récit (chapitre manquant, citations réadaptées, etc.). L'oeuvre est bien plus recherchée qu'il n'y paraît, mais reste à savoir qui de l'auteur ou du lecteur ressort le plus amusé de cet exercice ?
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