J'ai étudié ce texte au collège, je ne sais plus en quelle année car j'ai eu le même prof de français trois années de suite. Je n'ai aucun souvenir de l'étude que nous en avions faite, mais je me souviens du malaise que j'avais ressenti à la lecture de ce livre. J'ai rapatrié il y a quelques mois les livres qui me restaient chez mes parents, et depuis je tergiverse sur une possible relecture de ce
Silbermann. Depuis ce week-end, c'est chose faite, et j'ai ressenti le même malaise qu'à l'époque. Je suis en fait effarée de me dire que ce livre nous a été proposé par un prof que pourtant j'estime beaucoup.
Silberman, jeune lycéen du début du XXème siècle dans un établissement parisien huppé est un élève brillant et qui aime briller. Il se retrouve très vite aux brimades de plus en plus vachardes de ses camarades du fait de sa judaïté. le narrateur, qui lui n'est jamais nommé, est un camarade de classe qui prend fait et cause pour Silberman. Vu comme cela, ce livre est une dénonciation de l'antisémitisme qui s'épanouit alors dans la société française, et c'est bien ce qu'il est et ce qui lui a valu le prix fémina l'année de sa publication, en 1922,
Mais il n'y a pas que cela. Silberman, avec sa manie de se mettre en avant, de systématiquement chercher à briller, est finalement assez antipathique. Impossible de s'attacher à lui. Vous me direz, une personne n'a pas besoin d'être sympathique pour mériter que l'on ne fasse pas preuve de racisme à son égard. C'est tout à fait vrai, mais si l'on fait de ces caractéristiques des traits de sa judaïté, que l'on ajoute à cela tous les traits physiques que l'on associe aux juifs, cela en devient malsain. On ne doit pas être antisémite parce que ce n'est pas bien, mais en même temps, les traits physiques et comportementaux prêtés sont loin d'être positifs et justifient presque qu'on les prenne en grippe.
C'est cette ambivalence du propos, que l'on retrouve aussi dans le caractère exalté du narrateur, qui n'est expliqué que par son statut de protestant, nécessairement très sensible aux questions d'honneur et de sacrifice, qui m'a dérangé et me dérange encore.
Avec une grille de lecture moderne, qui ne pouvait être celle des lecteurs de l'époque, j'ai la sensation que ce livre est une belle illustration de la notion de « racisme ordinaire ».
Jacques de Lacretelle dénonce l'antisémitisme et il ne fait de manière convaincante, mais dans le même temps, il continue à associer des traits de caractère ou des traits physiques à un groupe donné, les renvoyant à leur appartenance à ce groupe (religieux ou culturel ici) avant de leur reconnaître une personnalité propre. Et c'est cela, je crois, qui définit ce racisme ordinaire qui peut être le fait de personnes se disant et se croyant non racistes. En furetant sur internet, j'ai vu que
Jacques de Lacretelle, qu'on ne peut certes pas qualifier d'antisémite, était sensible aux thèses de Gobineau, ce qui me fait penser que mon analyse n'est pas complètement infondée.
Finalement, Silberman est un livre que je ne recommanderais probablement pas (et certainement pas pour être étudié dans les écoles), mais je suis contente d'en avoir fait cette deuxième lecture qui m'a permis, avec mon regard d'adulte, de mieux comprendre ce qui s'y joue et ce qui me dérangeait déjà il y a presque trente ans.