Le séisme n'a pas détruit Port-au-Prince, car on ne pourra construire une nouvelle ville sans penser à l'ancienne. Le paysage humain compte. Et sa mémoire fera le lien entre l'ancien et le nouveau. On ne recommence rien. C'est impossible d'ailleurs. On continue. Il y a des choses qu'on ne pourra jamais éliminer d'un parcours : la sueur humaine. Que fait-on de ces deux siècles, et de tout ce qu'ils contiennent, qui ont précédé l'année zéro ? Les jette-t-on à la poubelle ? Une culture qui ne tient compte que des vivants est en danger de mort.
Il y a des gens qui retrouvent leur énergie quand tout s'écroule autour d'eux.
Je me demande combien de temps cela prendra avant qu'un tel évènement (un séisme de magnitude 7) soit récupéré et transformé par le vaudou. Que disent les dieux de cette affaire? Legba, où êtes-vous? Ogoun, que dites-vous? Erzulie, qu'en pensez-vous? Pas un mot. Les dieux se taisent. Si vous êtes derrière cette histoire, avez-vous un plan? Qu'avez-vous en tête? Que voulez-vous faire? D'abord, manifestez-vous.
Au début et à la fin de la vie, on dispose d'un temps dégraissé de ces responsabilités qui alourdissent le jour. C'est temps libre qui permet cette merveilleuse complicité entre l'enfance et la vieillesse.
Certaines personnes parviennent à danser ainsi sur les braises. On les traite d'insouciants ou d'irresponsables sans savoir que ce sont pourtant des êtres d'une force d'âme exceptionnelle. S'ils ont traversé cette époque sanglante avec une humeur égale, c'est qu'ils estiment qu'on a pas besoin d'ajouter son drame personnel au malheur collectif.
Si je repasse si souvent dans ma tête ces minutes qui précèdent l'explosion c'est parce qu'il est impossible de revivre l’événement lui-même. Il nous habite trop trop intimement. Aucune distance n'est possible avec une pareille émotion. C'est un moment éternellement présent. On se rappelle l'instant d'avant dans les moindres détails.
LE CARNET NOIR
En voyage, je garde toujours sur moi deux choses : mon passeport ( dans une pochette accrochée à mon cou ) et un calepin noir où je note tout ce qui me traverse mon champ de vision ou ce qui me passe par l'esprit. Alors que j'étais par terre, je pensais aux films-catastrophes, me demandant si la terre allait s'ouvrir et nous engloutir. C'était la terreur de mon enfance.
(...) c'est l'évènement de son époque et non de la mienne. La mienne, c'était la dictature. Lui, c'est le séisme. Et il entend bien que ce soit sa sensibilité qui l'évoque.
- Je ne peux pas te faire une pareille promesse. Aucun livre ne prend la place d'un autre. (...)
Certaines personnes parviennent à danser ainsi sur les braises. On les traite d’insouciants ou d’irresponsables sans savoir que ce sont pourtant des êtres d’une force d’âme exceptionnelle. S’ils ont traversé cette époque sanglante avec une humeur égale, c’est qu’ils estiment qu’on n’a pas besoin d’ajouter son drame personnel au malheur collectif. (…) Cette grand-mère, pas loin de moi, est en train de remplacer, dans la tête de son petit-fils, ces images horribles par des chansons et des mythologies qu’elle tire de sa mémoire vacillante. (p. 49, “La conversation du matin”).
Ma confiance dans la poésie est sans limite. Elle est seule capable de me consoler de l’horreur du monde.